Se blinder encore plus pour repousser la réalité… et perdre la guerre au bout du compte ?

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Se blinder encore plus pour repousser la réalité… et perdre la guerre au bout du compte ?


30 avril 2004 — Jamais ne sera autant apparu en lumière le sophisme moderniste et américaniste, qui confond causes et effets. On a aussi une explication convaincante, et de la catastrophe qu’a été jusqu’ici la “guerre” irakienne des Américains, et de la catastrophe pire encore (« Failure is an option », — et comment) qui les attend.

Il s’agit de l’annonce que les Américains vont renforcer tous leurs moyens de blindage pour protéger leurs forces et tenter de réduire leurs pertes. (Avec les détails presque caricaturaux des howitzers prêtés aux stations de ski pour déclencher des avalanches et qu’on récupère presto.) En apparence, le raisonnement est impeccable. En réalité, c’est pure sophistique.


« The Pentagon is rushing more armour to Iraq to protect its troops after casualties reached record levels this month, it emerged yesterday.

» More tanks and armoured vehicles — which had been left behind by units not expecting full-blown combat — are to be sent, and the production of reinforced Humvee patrol cars has been accelerated.

» The reinforcements come at a time of rising complaints from officers arguing that their troops have been sent into war zones without sufficient protection. A leaked army report revealed that up to a quarter of the US deaths so far could have been avoided if soldiers and marines had not been forced to rely on unarmoured Humvees and other “soft-skinned” vehicles.

» A top general has complained that even the armoured Humvees are inadequate to protect troops against grenades and bombs, and called for the speedier production of a new wheeled armoured car, the Stryker.

» Scrambling to beef up its troops, the army has even requisitioned howitzers that had been used in ski resorts to dislodge snow and prevent avalanches, the Los Angeles Times reported yesterday. »


Le sophisme initial tient à la nature du jugement. Les Américains ont évolué vers des forces plus légères parce qu’ils jugeaient être dans un type de combat (guérilla légère) ne nécessitant pas des équipements lourds. Ils n’ont pas compris la dimension psychologique de la guerre, par contre bien comprise par les Britanniques.

La question du “blindage” doit être perçue dans un contexte plus large, aussi bien de sécurité que culturel, comme une volonté américaine d’isoler les forces de l’environnement où elles se trouvent. On entend donc, par cette question de ”blindage” , aussi bien les véhicules blindés que les gilets pare-balles individuels, les casques et leurs équipements futuristes, voire les lunettes de soleil systématiquement portées. Si des blindés ont été retirés depuis mai dernier, par contre les équipements individuels “blindant” le soldat vis-à-vis de tout contact extérieur ont subsisté.

L’impression psychologique d’isolement des Américains, même de leur refus de l’environnement et par conséquent de la population, est très grande, et perçue comme telle par tous les Irakiens. (Les Britanniques, eux, ont abandonné casques et lunettes depuis longtemps, et opèrent en bérets, sur des véhicules légers.) L’impression n’est pas fausse : cet équipement n’est pas une simple mesure logistique. C’est aussi une façon d’être.

On se rappelle que William S.Lind, dans une récente (22 avril) chronique, expliquait pourquoi les Américains étaient perdants : « Time is not the only factor that renders us the weaker party. So does our lack of understanding of local cultures and languages. So also do our reliance on massive firepower, our dependence on a secure logistics train (we are now experiencing that vulnerability in Iraq, where our supply lines are being cut), our insistence on living apart from and much better than the local population. »

On peut avancer aisément l’hypothèse que c’est en bonne partie ce comportement “cloisonné”, fermé, qui a conduit les Américains de déconvenues en échecs depuis mai dernier, jusqu’à la catastrophe de l’explosion de violence d’avril, — jusqu’aux pertes en augmentation et qui deviennent insupportables. Alors, les Américains décident de faire revenir des véhicules blindés, plus lourds, moins maniables, et certainement ils vont renforcer la protection de leurs forces.

Mais tout cela, c’est aussi et d’abord un isolement encore augmenté, renforçant le fossé qui sépare les Américains, non seulement des insurgés, mais de toute la population (ou bien, est-ce bientôt toute la population qui sera insurgée ? On y travaille…). Le “remède” aggravera encore le mal qu’il prétend soigner. Nous aurons encore plus d’attaques, plus de pertes, et la situation s’aggravera encore… De cette façon, effectivement, « Failure is an option ».