Seize mois plus tard, le mois qu’ils voudraient décisif

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Seize mois plus tard, le mois qu’ils voudraient décisif


1er juin 2004 — Juin 2004 est le mois décisif, disent-ils, évoquant le date du 30 et le transfert de souveraineté. Il y a seize mois, l’attaque contre et la prise de Bagdad étaient également décrites comme “décisives”. Dont acte. (En clair : pour le 30 juin, on verra.)

Il y a seize mois, également, on nous disait que la France, notamment et plus particulièrement elle, et surtout elle, ne perdait rien pour attendre. Il était temps, disaient les commentateurs, jusqu’aux plus huppés, et particulièrement en France, que la France rentre dans le rang et se mette sur les rangs pour passer à la soupe, — comprendre : demander humblement et espérer quelques reliefs du festin que promettait d’être la reconstruction de l’Irak.

Ces temps sont donc imprévisibles.

…Qu’on mesure le dilemme du Monde du 28 mai. Il avait, en page intérieure (2), un article de synthèse sur la situation diplomatique autour de l’Irak, avec notamment les USA demandant l’aide de l’ONU. Le titre indiquait clairement vers où penchait la balance du rapport des forces : « La communauté internationale pose ses conditions à George Bush. » Vu l’importance du propos, on décida de reprendre l’article et l’idée, et le titre, en manchette à la une. Mais faire deux lignes avec un tel titre est impossible, notamment avec cette expression longuette de “communauté internationale” (il faudra songer à lui trouver un acronyme parlant pour aider les rédacteurs des titres de manchette). On choisit donc l’audace de la réalité : « Chirac pose ses conditions à George Bush. » Curieuse ironie, on rejoignait effectivement la réalité car nul ne devrait ignorer que, dans ces batailles diplomatiques sur ce sujet aujourd’hui, la France est, contre les USA, maîtresse du jeu.

Nous y revoici donc : seize mois plus tard, la France est plus que jamais maîtresse du jeu. Remercions la confusion du débat politique en France, qui n’a pas permis de dégager une pression assez forte pour que le gouvernement cède et aille à Canossa en avril-mai 2003. Le propos en eut été moins net.

Entre-temps, certes, il s’est passé ce qui s’est passé, comme dirait de Gaulle parlant de l’Irak. Cela permet à Chirac de montrer une certaine assurance indulgente et presque compatissante, mais sérieuse, et aux Américains d’enrager plus que jamais. Voici comment cela s’écrit (Le Monde toujours) :


« “Nous avons, avec le projet présenté par les Etats-Unis, une base sérieuse, mais une base qu'il faut maintenant sérieusement améliorer”, a déclaré Jacques Chirac, jeudi 27 mai, lors de sa visite au Guatemala à propos du projet de résolution américano-britannique sur l'Irak. Et cela, a-t-il ajouté, afin de permettre au futur gouvernement irakien d'avoir “une capacité de décision sur l'engagement de ses propres forces et sur les opérations majeures de la force multinationale”. M. Chirac a également précisé que le mandat de la force internationale dirigée par les Etats-Unis “doit être limité dans le temps, étant entendu que le gouvernement irakien issu des élections prévues en janvier 2005 doit à tout moment pouvoir décider d'y mettre fin ou d'en demander la révision”. M. Chirac a insisté pour que le futur gouvernement irakien ait une “souveraineté entière dans tous les domaines, politique, économique, sécuritaire, judiciaire, diplomatique et qu'il aura notamment le contrôle des ressources naturelles de l'Irak”, à partir du transfert du pouvoir prévu le 30 juin. Il a prévenu que “sans cela, la situation ne pourra que se détériorer davantage”. »


Non seulement la France est maîtresse du jeu à l’ONU, comme en janvier-mars 2003 — (car le but de la France, contrairement aux arguments des simplistes réalistes, n’était pas d’empêcher la guerre, chose impossible devant le bulldozer US, mais d’empêcher que cette guerre fût internationalement sanctifiée, — elle était donc bien “maîtresse du jeu”) ; mais, plus encore, les débats du mois qui vient à l’ONU pourraient s’avérer extrêmement intéressants, autant qu’en janvier-mars 2003. En bref, ce ne sera pas une simple formalité.

Alors que les Américains, comme d’habitude, ont des analyses marquées par la suffisance (sur l’inéluctabilité de l’acquiescement français/onusien à leur demande) et continuent à intriguer à propos du futur exécutif, les Français sont, comme en janvier-mars 2003, bien décidés à ne pas céder sur des exigences essentielles. Cette fois, ils sont mieux soutenus, notamment par les Chinois, qui suggèrent des exigences de contrôle humanitaire des forces US qui les vengeraient des exigences humanitaires américaines après Tien An-men. Selon le mot d’un diplomate français : « On ne mesure pas combien le débat à l’ONU pour une résolution sanctifiant la nouvelle situation en Irak pourrait très rapidement se transformer en un affrontement entre les USA et le reste, aussi violent qu’au début 2003. »