Semaine du 14 au 20 octobre 2002

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Semaine du 14 au 20 octobre 2002

Il a fallu un bon mois pour réaliser ce qu'il se passait à l'ONU, à peu près un bon mois à partir du discours de GW (le 12 septembre) et l'acceptation des inspections de l'ONU par Saddam Hussein (le 16 septembre), — ce dernier point, une surprise totale pour les Américains, qui n'avaient pas imaginé une seule seconde que ce Saddam, complètement ratatiné en 1991, discrédité, “hitlérisé” et ainsi de suite, puisse faire montre d'un peu de jugeotte pour les mettre dans la boite. C'est fait, on s'en aperçoit un mois après.

Jamais un débat à l'ONU n'a autant passionné. Jamais le “machin” n'a paru si alerte, si plein de vie, si bourdonnant de négociations dont on peut croire par instants qu'elles sont démocratiques. Contrairement aux jugements figés à cet égard, nous jugerions, quant à nous, que le général aurait fait son miel de cette occasion, de cette opportunité. Bref, l'action française (sans mauvaise pensée) dans cette affaire répond à une logique vieille comme la diplomatie française, et que de Gaulle avait formidablement remis au goût du jour.

Le jugement des choses est impitoyable. Les Britanniques peuvent contempler, au long de longues semaines, le désastre de leur diplomatie. Ils sont isolés, écrasés par les Américains, sans aucune utilité pour personne sinon celle de porte-plume de leur insupportable allié-parrain. Ils observent avec une envie et une rage contenues la position, au centre de la scène, de la diplomatie française. Non qu'ils soient moins habiles, moins intelligents, les Anglais. Simplement, ils nous font une démonstration étourdissante de la complète absurdité de leur politique, de la façon dont l'intelligence peut s'enfermer dans des voies sans issue. Les Français font, eux, la démonstration du poids que peuvent peser de vieilles vertus incontrôlables comme le sens de la souveraineté sur la formulation d'une politique. (Cela signifie bien ce que nous pensons : la politique française à l'ONU ne se montre pas éblouissante d'intelligence, parce que c'est inutile ; elle se montre habile tactiquement, mais à partir d'un dossier stratégique d'une puissance époustouflante, qui ne tient pas à une impulsion géniale mais à la « force des choses » dont il se trouve que ce pays est le représentant exclusif.

Dans une interview à Salon.com, Charles A. Kupchan, auteur du livre The End of the American Era, observera à propos de ces débats aux Nations-Unies, après qu'on en ait connu la conclusion, — et précisément à propos de la position française, et c'est bien là montrer que la position de ce pays coïncida avec « la force des choses » :


« In fact, everyone saw the recent voting at the U.N. Security Council as victory for the U.S. But what really happened? The U.S. went in and said, ''This is our position, take it or leave it.'' Most of the Security Council, save Britain, said, ''Leave it.'' They locked arms with France rather than with us, which is what they've been doing for the last 50 years. That's just the beginning of what the world could look like — main powers not working together. If it comes to that, then these other threats will diminish in importance and pale in comparison to a world in which the key players are no longer on the same sheet of music, in which Europe sets itself against us, rather than with us. »


L'ONU n'a jamais été que ce que sont ses membres et ce que ses membres font d'elle

Ces constats divers font redécouvrir l'ONU, — ou, plutôt, ils font découvrir ce qu'est véritablement l'ONU dans son fonctionnement central (le Conseil de Sécurité). Il faut avoir à l'esprit que l'ONU est, depuis sa naissance, soupçonnée de diverses tares. Tantôt c'est le “machin”, tantôt c'est une énorme organisation impuissante, dépensière et inutile, tantôt c'est le siège d'une tentative comploteuse d'établir un “gouvernement mondial” qui mettra en pièces nos souverainetés nationales.

La réalité est que l'ONU n'est rien en soi, sinon une bureaucratie comme il y en a mille dans notre monde aujourd'hui, dont les caractéristiques sont d'être conservatrice, insaisissable, tributaire d'une logique interne, d'apparence très puissante et en réalité souvent impuissante. Pour le reste, l'ONU n'est que ce que ses membres en font, comme toute organisation internationale. C'est souvent insupportable et inefficace, et c'est toujours logique. Ce qui devait être mis en accusation, c'est moins l'ONU que la situation du monde qselon ses crises.

Pendant 45 ans, jusqu'à la chute de l'URSS, l'ONU a été le reflet de l'affrontement est-ouest. La situation reflétait l'affrontement entre les deux blocs, le blocage de la vie internationale qui en résultait, l'absence de réel débat sur les questions envisagées avec la référence continuelle à l'engagement, avec l'est ou avec l'ouest. Cet espèce d'automatisme de la vie onusienne, cette absence d'autonomie, c'est sans doute ce qui exaspérait de Gaulle, jusqu'à son jugement méprisant et fameux sur l'ONU, parce qu'il y retrouvait le reflet de cette situation détestée des deux blocs, ne laissant aucune place aux autonomies et aux souverainetés qui sortaient du droit chemin.

A partir de 1989-90, l'ONU est devenue la “chose” des USA. Les Américains y ont fait la pluie et le beau temps, parfois d'une manière éhontée et scandaleuse. La manipulation pour éliminer Boutros Boutros-Ghali d'un deuxième mandat, l'élimination de tel ou tel président de tel ou tel Comité sont des exemples de cet activisme qui ne recule devant aucun moyen bureaucratique. La curiosité de cette situation est qu'en même temps se développait aux USA un courant anti-ONU d'une vigueur incroyable, un courant basé sur l'accusation que l'ONU interférerait sur la souveraineté nationale des États-Unis. Cela ne faisait que refléter le malaise américain dont on a aujourd'hui les effets dans les divers comportements américains. A nouveau, l'ONU fut le reflet du monde, à la fois de la formidable politique extérieure hégémonique US (dont on voit qu'elle date de bien avant GW Bush), à la fois, de façon indirecte mais tout aussi probante, de la crise latente qui se développait aux États-Unis, sous la forme d'un malaise sans fin et d'une impossibilité grandissante de développer des politiques équilibrées.

Cette situation était perçue comme sans espoir de changement avant longtemps, et même la politique unilatéraliste de Bush, et son dédain affiché pour l'ONU, dans tous les cas sans aucun doute depuis le 11 septembre 2001, n'avaient rien changé à la position de domination écrasante des USA dans le domaine politico-militaire. Personne n'avait rien vu venir. Finalement, ce sont les mécanismes de l'ONU, les obligations multilatérales qui ont fourni une occasion de changement et, effectivement, depuis septembre-octobre les choses ont changé.


C'est à l'ONU, constamment accusée de tentations supranationales, que s'est le mieux exercée le droit des nations

Quelle leçon tirer de ces événements, sinon celle que, dans ce contexte multilatéraliste, il n'y a pas de meilleure occasion pour les nations de s'affirmer. En d'autres termes : s'il n'y avait eu l'ONU et ses obligations, on peut être sûr que personne n'aurait rien pu faire, et la France n'aurait exercé aucune influence. Force serait restée à la puissance brute, à la politique complètement unilatéraliste, emportant les autres dans son sillage, qui par crainte, qui par servilité, qui par soi-disant habileté.

C'est une curieuse leçon : c'est dans le temple du multilatéralisme où menace de naître insidieusement le supranationalisme, selon les critiques de l'ONU dans tous les cas, que s'est le mieux exprimé le droit des nations dans les derniers mois qui viennent de s'écouler. C'est un phénomène singulier. Il faudra quelques temps pour bien le mesurer et bien en comprendre ses conséquences.