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786Qu'on consulte tel ou tel journal, tel ou tel commentaire, celui du Monde comme cel ui de Libération, l'approche de la candidature de Jean-Pierre Chevénement est partout “atypique”. L'atypie est d'habitude réservée à la candidature elle-même, c'est une surprise qu'elle caractérise cette fois la perception d'une candidature et l'interprétation qu'on en a. Sans aucun doute, la candidature Chevénement est devenue l'événement majeur de la vie politique en France et le seul présentant un certain intérêt. Il n'y a dans ce constat aucune référence à aucun constat, justement, de type-politique, — aucun constat sur ce que représenterait une telle candidature en termes de choix de droite ou de gauche, de telle ou telle thèse idéologique, etc. C'est la caractéristique de la candidature Chevénement qu'elle se place d'elle-même, sans qu'aucun effort réel de “promotion” ou de “communication” n'ait été fait par le candidat, hors des normes politiciennes. En quelque sorte, la candidature Chevénement dépasse pour l'instant, ou précède Chevénement lui-même tant elle répond, par sa forme, par la perception qu'on a du caractère du candidat, de son action politique, de ses projets probables, à une attente extrêmement forte de la population française (encore plus que de l'électorat : on parle ici, volontairement, de la population française en évitant de la considérer comme un électorat).
On pourra dire que cet engouement pour Chevénement est d'abord une attitude de lassitude d'une puissance inattendue de l'actuel monde politique tel qu'il est représenté par ceux que William Abitbol, partisan de Pasqua rallié à Chevénement, appelle « les Dupont et Dupont de la politique », c'est-à-dire Chirac-Jospin et les bandes qui les accompagnent. Ce n'est certainement pas faux, dans la mesure où la sympathie extrêmement forte et très répandue provoquée par la candidature Chevénement donne le sentiment de représenter bien plus que les 10-12% que les sondages donnent à Chevénement. On pourrait dire de la même façon que la popularité de Chevénement préexiste àChevénement-candidat, que le courant de sympathie qui le concerne est un courant de majorité gagnante d'une élection présidentielle alors que les 10-12% actuels sont loin de faire l'affaire.
En d'autres termes, plus terre-à-terre, on dira que Chevénement dispose de cartes exceptionnelles pour créer une surprise de dimension ; on irait jusqu'à dire que jamais dans l'histoire de l'élection du président de la République au suffrage universel en France n'a existé une telle opportunité qu'un candidat hors-normes, situé hors des appareils des partis, puisse espérer aussi sérieusement l'emporter. Le problème de Chevénement est évident : réussir l'intégration d'éléments pour l'instant épars, une intégration qui, si elle était réalisée, ferait de sa candidature une dynamique irrésistible. Ces éléments sont d'ores et déjà acquis : la personnalité même de Chevénement, avec son expérience, le sérieux de sa carrière, les qualités qu'il a déjà montrées, et surtout la perception naturelle qu'il a, de lui-même, que sa candidature échappe complètement aux rangements habituels ; la situation générale de lassitude qu'on a décrite, qui est celle des électeurs aussi bien que des élites elles-mêmes (dégoût de soi dans ce cas), qui confine au dégoût pour un monde politique qui a totalement abdiqué son être propre au profit d'un appareil de communication et de relations publiques totalitaire ; la perception par le monde politique français que Chevénement peut effectivement jouer le rôle que de Gaulle avait conçu pour le président de la République, de se trouver absolument, résolument hors de l'attraction des partis ; enfin, la perception, surprenante par la rapidité avec laquelle elle s'est imposée, que Chevénement n'est pas un candidat marginal, ni même le “troisième homme”, mais bien qu'il est un candidat pour le deuxième tour et pour la victoire.
Réussir l'intégration de ces divers éléments est une tâche politique assez simple à définir et formidablement difficile à réaliser. Il s'agit pour Chevénement de rester fermement sur le terrain où il se trouve déjà, du refus de l'engagement partisan, du refus de l'invective politique, de la volonté de parler “au nom de la France”, au-dessus ou en-dehors des partis, en réalité comme s'il n'avait pas vraiment d'adversaires : ligne de conduite facile à définir et assez simple en elle-même mais, bien entendu, difficile à tenir jusqu'au terme. Au niveau des programmes, la tâche de Chevénement est de se dégager de certains stéréotypes dont sa vie politique fut nécessairement encombrée, comme toute vie d'homme politique. Parmi ces stéréotypes, il y a notamment et principalement son opposition àl'Europe, qui doit laisser place à une adaptation, à la fois tactique et fondamentale, d'acceptation de la situation existante, d'autant plus aisée que l'Europe telle qu'elle évolue actuellement correspond exactement au maximum de ce qu'il est possible que les “souverainistes” puissent espérer : des institutions de moins en moins affirmées, un rôle de plus en plus marqué pour les nations, et le couple franco-britannique de plus en plus affirmé dans les problèmes de sécurité et de défense au dépens du couple franco-allemand, — orientation qui sied également aux conceptions de Chevénement.
... En un mot, une certitude existe d'ores et déjà, celle que l'élection d'avril-mai 2002 sera la plus intéressante en France depuis longtemps, voire depuis les débuts de la Ve République.
L'Amérique peut-elle revenir, alors que la Grande Guerre contre la Terreur se poursuit, à un rythme de travail politique dit du business as usual ? Les démocrates le pensent, qui tentent désormais de remettre en place le système des deux partis, avec les habituelles clivages qui les opposent aux républicains. Cette logique semble soudain leur apparaître comme très urgente à conduire à son terme, et ils tentent de s'y employer dans une logique pré-électorale, avant les élections mid-term, en mettant en évidence la question de l'économie. Pour les démocrates, en effet, poursuivre selon le rythme actuel, selon la situation d'unité nationale imposée par l'attaque du 11 septembre, semble revenir à laisser toute l'initiative à l'administration Bush, c'est-à-dire aux républicains, et à leur permettre de remporter une victoire peut-être éclatante à l'automne prochain, lors des élections mid-term de renouvellement d'une partie du Congrès.
C'est la première fois que se pose en termes concrets la grande question sur la situation américaine : les affirmations de l'administration Bush, entérinées unanimement par tout le monde politique washingtonien, appuyées par une presse dont on sait désormais l'unanimisme plus que l'unanimité, sont-elles entrées dans la réalité ? L'Amérique est-elle réellement en état de guerre totale, et d'une guerre qui serait au moins aussi longue que la Guerre froide, qui aurait peut-être même la longueur d'un siècle, voire, pour les plus philosophes d'entre les commentateurs proches des neo-conservatives, qui aurait vocation de rien moins qu'une guerre éternelle (« eternal war for eternal peace », nous explique l'historien Michael Hanson) ?
Ces questions ne sont pas inintéressantes, y compris pour nous, en Europe. Elles sont même essentielles, et les démocrates, qui les posent implicitement alors même qu'ils sont en même temps partie prenante de facto de ces thèses sur la guerre perpétuelle puisqu'ils sont de tous les votes de guerre, les abordent avec une extrême prudence, comme on trempe un doigt de pied dans l'eau froide. Des réponses qui y seront apportées, on saura si le monde virtuel créé par l'administration Bush et le monde washingtonien en faisant de l'attaque du 11 septembre le début de quelque chose de tout à fait différent a assez de force pour résister aux sollicitations de la réalité.
D'un côté, il y a les sondages massifs pour soutenir tous les efforts anti-terroristes de l'administration Bush, jusque et y compris les efforts au niveau de la législation américaine, malgré les menaces terribles que ces efforts font peser sur le système et sur les libertés publiques. D'un autre côté, et en s'appuyant en partie sur le commentaire qui précède, qui cite le texte dont il est question ici, il y a justement ce commentaire de David S. Broder, dans le Washington Post du 2 décembre, où il parle de la possibilité d'un retour àune situation plus normale, moins exclusivement centrée sur la guerre contre le terrorisme :
« It is more than likely that the voters are moving in that direction. Last week the Republican polling firm Public Opinion Strategies reported that, given four choices, 41 percent of those surveyed said the slowdown of the economy is their main concern, compared with 39 percent who chose the threat of terrorism on U.S. soil. The course of the overseas war on terrorism and the anthrax threat finished in single digits. »
Le résultat du sondage que cite Broder indique ainsi que les préoccupations des Américains ne sont pas essentiellement fixées sur les questions de terrorisme, et que l'économie vient au premier rang. Cela contredit-il les énormes majorités de soutien des Américains àl'action anti-terroriste de l'administration ? Pas nécessairement, mais cela demande une explication en forme d'hypothèse. Celle-ci serait bien que la population américaine, qui ne s'embarrasse pas comme toute population de cohérence dans ses réponses aux sondeurs, répond selon une perception qu'il existe effectivement une situation virtualiste et une situation réelle. La première, c'est le discours dominant selon lequel la Grande Guerre contre la Terreur a changé l'Amérique, voir l'histoire elle-même, et qu'elle détermine tout ; d'où les soutiens massifs à la politique anti-terroriste, marqués par ces pourcentages d'approbation entre 80% et 90% . La seconde, c'est la réalité, où les préoccupations habituelles reprennent le dessus, et alors le terrorisme vient en seconde place. (Une situation semblable exista durant la Seconde Guerre mondiale. La guerre était au centre de toute manifestation publique, de toute activité gouvernementale, etc. Pourtant, les sondages donnèrent constamment, dans les préoccupations du public, la victoire dans le conflit en cours en seconde position. La première préoccupation des Américains resta constamment la crainte du retour d'une dépression économique à l'image de la Grande Dépression.)
Cette hypothèse peut être renforcée par l'image qu'ont certains du comportement de l'administration Bush. Cette administration a-t-elle réellement un grand dessein, une réelle stratégie, y compris éventuellement celle d'établir un État central autoritaire ? Les avis que certains ont pour expliquer les causes du comportement de John Ashcroft, le secrétaire à la Justice et l'architecte de la grande poussée des mesures autoritaires au niveau juridique, vont dans le sens d'une réponse négative. Comme exemple, et après l'appréciation donnée début novembre par Robert Novak selon lequel Ashcroft est simplement paniquée par la possibilité d'autres attentats, il y a ce commentaire du 2 décembre de Justin Raimundo, qui va dans le même sens :
« What we are dealing with was visible, this [Sunday] morning, in the look on John Ashcroft's face during his mercifully brief interview with Cokie Roberts. It was an expression of sheer unadulterated panic. As he spoke, it was clear that here is a man who had yet to recover from the shock of 9/11. After all, the biggest terrorist act in American history had taken place on his watch. He and his flacks can claim they inherited a mess all they want, but in the end the responsibility must be theirs. In a panic, they instituted a mass roundup, launched an assault on the right to privacy, and revised our uniquely American system of justice on the grounds that we face a new danger never foreseen by the Founders. But the horse is already out of the barn, and the great failure of this administration - and particularly of our law enforcement and intelligence agencies - is duly recorded. The rest is just an attempted cover-up. »