Semaine du 1er au 7 juillet 2002

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Un ''Fourth of July'' sombre et plein d'angoissantes interrogations

Le 4 juillet 2002 n'a pas manqué à ce qui paraît être désormais une tradition pour les célébrations américaines depuis le 11 septembre : une alerte à une attaque terrorisme qu'on vous promet à chaque fois plus terrible et plus dévastatrice que la précédente, promise et non accomplie. Ainsi l'Amérique vit-elle au rythme d'une paranoïa officielle, tantôt soupçonnée d'être une grossière manoeuvre politicienne, tantôt paraissant comme le signe d'une confusion du jugement et de l'évaluation, le plus souvent trahissant une pathologie de la psychologie, — et, certainement, étant un mélange des trois choses à la fois. Comme l'écrit excellemment William Pfaff, nous sommes dans des temps où « [the]patriotism turns into paranoia ».

Le 4 juillet 2002 permet de mesurer l'extraordinaire chemin parcouru par les États-Unis depuis l'attaque du 11 septembre. Le pays s'est transformé de fond en comble, dans une mesure inouïe, qui paraissait, avant le 11 septembre, du domaine de l'imagination subversive et de la fiction tendancieuse. La politique extérieure suivie est complètement, farouchement unilatéraliste. Elle ne l'est pas, et même plus du tout, au nom d'un choix tactique, au nom d'arguments de défense d'intérêts divers, mais beaucoup plus fondamentalement, parce que l'Amérique s'estime en-dehors (et au-dessus si possible) du reste du monde (ROW, ou Rest Of the World). L'Amérique est désormais cadenassée dans une position d'exceptionnalisme qu'on qualifierait de tragique, qui est certainement défensif et agressif à la fois, qui fait fi de toute idée de solidarité internationale, qui s'affiche d'une façon à la fois méprisante et pathétique. L'argument essentiel de cette politique est implicitement d'ordre métaphysique, appuyé sur la conviction que l'Amérique est un nation élue de Dieu (Under God, comme il est dit dans le serment si contesté), avec un président dont la principale caractéristique intellectuelle est sa forte conviction religieuse. Au jour le jour, cette politique s'appuie sur les factions les plus extrémistes de la droite conservatrice, essentiellement sur les idées militaristes et interventionnistes des neo-conservatives, avec un seul allié fondamental (Israël) et un allié utile (le terme fait-il penser à celui d'« idiot utile », de Staline ?) traité de la manière la plus désinvolte et la plus cassante dans la réalité des rapports quotidiens (Royaume-Uni).

A l'intérieur, l'Amérique s'est transformée depuis le 11 septembre en une étrange planète où se côtoient les excès les plus dramatiques et les plus dangereux (crise du corporate system, effets sur Wall Street, sur le dollar, etc) et une politique sécuritaire qui ne cesse de se renforcer, qui rapproche certaines structures fondamentales de celles d'un État policier.

Par-dessus, tout cela, certes, la peur qui a pris au ventre la direction américaine (plus encore que le peuple américain), qui semble parfois exercer une telle pression qu'elle en écarte tout bon sens et toute mesure. Pfaff, effectivement, mesure combien l'Amérique d'aujourd'hui, en ce 4 juillet d'un symbolisme beaucoup plus fort qu'à l'ordinaire, est devenue différente de celle des Founding Fathers.

« Fear has been the principal theme, and the justification offered, for administration policies and public statements since Sept. 11. A different America would have scorned such fear.

» Indeed, a different America did. Confronting the power of the British Empire, nearing its peak in 1776, the American Declaration of Independence was an act of calm defiance. The war it provoked could easily have ended with the declaration's signers shot, hanged or in prison. That is why they concluded their Declaration with their mutual pledge of ''our lives, fortunes and sacred Honor.''

» Their courage and the nobility of their sentiments were what we really were celebrating with those fireworks, many years ago. »

Le débat sur la future attaque contre l'Irak : sur quoi cette attaque débouchera-t-elle ?

Pourquoi l'Amérique veut-elle attaquer l'Irak ? On en est encore à en débattre et, en dix mois, l'affaire n'a pas avancé d'un cheveu, sauf peut-être chez Tony Blair qui doit bien justifier, aussi bien à ses propres yeux qu'aux yeux des siens, la persistance d'un engagement si extrême aux côtés des Américains. Les Européens, sauf UK/Blair, sont toujours aussi réticents, toujours aussi implicitement critiques des affirmations américaines, qui vont indifféremment et selon les caprices d'analyses paraît-il sérieuses, de l'affirmation de liens indubitables entre Saddam et Al Qaïda à l'affirmation que Saddam doit être liquidé pour la seule raison qu'il possède des armes de destruction passive. Un article du New York Times résume bien la chose : « The evidence that Mr. Hussein still possesses such weapons [of mass-destruction] remains murky — particularly in the view of America's European allies, most of whom have argued strongly against a new war on Iraq.

Mais ce même article, du 5 juillet, fait apparaître un nouvel argument, qui va sûrement être développé et débattu dans les mois qui viennent, et qui marque également combien les Américains ont besoin d'arguments plus solides pour tenter d'emporter l'adhésion de leurs alliés, — encore une fois, les Européens principalement, et les Arabes également. Ce nouvel argument concerne l'avenir de l'Irak, ou encore, une suggestion de réponse à la question : détruire Saddam, pour faire quoi ensuite ? Cette idée est apparue à propos des Palestiniens dans le discours GW du 24 juin et relève d'une fuite en avant connue du raisonnement : puisque les arguments classiques, tactiques, sécuritaires, politiques, ne donnent rien, allons un cran plus haut. Cette nouvelle hauteur, c'est ce qu'on pourrait nommer l'''utopie pragmatique''. Les Américains commencent à dire et faire dire, acceptant une fois de plus certaines thèses israéliennes, qu'ils veulent construire dans l'Irak post-Saddam une démocratie modèle qui constituerait la plus évidente garantie de stabilité, et un centre de diffusion d'une nouvelle stabilité occidentalisée par la démocratie dans la région. L'idée, pensent les spin doctors de Washington, certainement soutenus par ceux de l'équipe Blair, l'idée a de l'allure, elle plaira aux milieux intellectuels et médiatiques, elle renforcera l'argument US face aux alliés réticents. Quant à savoir sa validité, quant à mesurer ses effets les plus catastrophiques au regard du désordre ainsi créé si de tels projets étaient lancés et devaient échouer, qui vraiment s'en préoccupe ?

« In the United States and its principal Middle East ally, Israel, however, a number of senior officials — including Prime Minister Ariel Sharon and former Prime Minister Ehud Barak — believe that a post-Saddam Hussein Iraq could be fashioned into some form of democracy.

» In this view, an Iraq under new governance could become a new Western ally, helping to reduce American dependency on bases in Saudi Arabia, to secure Israel's eastern flank and act as a wedge between Iran and Syria, two of the most active sponsors of terrorism. »