Semaine du 20 août au 26 août 2001

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Plus “Coop” que “Duke”, le nouveau chef suprême des forces armées US

Le général Merill McPeak, l'ancien patron (alors chef d'état-major de l'USAF) du nouveau président du Joint Chief of Staff (JCS) des forces armées américaines, dit de ce dernier qu'il ressemble p lus à Gary Cooper (Coop) qu'à John Wayne (Duke). Voilà l'image sympathique du général Richard B. Myers, celle d'un homme souple et peu incliné aux attitudes de matamore qu'on trouve parfois chez les généraux américains. A côté de cela, Myers a aussi fait les preuves de sa fermeté en s'opposant à une nomination controversée, et par conséquent en s'opposant in illo tempore à son chef d'état-major, le même McPeak, au risque de mettre sa carrière en danger. Pour cela, Myers est aussi considéré comme l'homme-clé de l'administration GW Bush chez les militaires. Myers arrive àce poste-clé de la présidence du JCS à un moment de crise intense, et il succède à un homme (Schelton) devenu ces derniers mois notoirement hostile aux tentatives de réforme de l'équipe Bush-Rumsfeld. Autrement dit, Myers est une pièce maîtresse dans le dispositif Bush-Rumsfeld pour la réforme du Pentagone, et, ainsi, sa nomination apparaît comme le premier acte officiel de cette réforme. De façon indirecte mais finalement assez convaincante, elle représente sans doute une forme de réponse à ceux qui affirment que la réforme ne pourra pas être menée à son terme et que Rumsfeld devra passer la main (de façon concrète, d'ailleurs, puisqu'on ne doute guère qu'un échec dans l'application de cette réforme entraînerait le départ de Rumsfeld). Dans la forme des rapports entre le Pentagone et ses chefs civils, la nomination de Myers est également là pour changer la situation de façon significative. La dégradation de ces rapports avait été un des thèmes de la campagne de l'équipe GW Bush. Il s'agit d'une dégradation indirecte, derrière une image d'apparente concorde, et c'est bien là une politique comme Clinton les aimait, une politique de laisser-faire face àdes militaires hostiles au nouveau président dès 1993 (hostilité personnelle à cause de la façon dont Clinton jeune avait évité d'être envoyé au Viet-nâm, et hostilité à la suite de la première mesure de l'administration Clinton en faveur du statut des homosexuels dans les forces armées) ; Clinton avait donc conclu une sorte de marché avec les militaires : il intervenait le moins souvent dans leurs affaires et il leur donnait un budget acceptable, en échange de quoi il avait la paix et leur soutien ; il en résulta l'acquisition d'une autonomie sans guère de précédents chez les chefs militaires, d'autant que la diplomatie clintonienne s'appuyait beaucoup plus sur la force militaire que sur la finesse politique et qu'ils en avaient par conséquent acquis beaucoup de poids. En fait, Schelton, le prédécesseur de Myers, était auprès de Clinton le représentant des intérêts des forces armées et les commandants de théâtre étaient devenus de véritables “vice-rois” dans les régions extérieures (Europe, Pacifique, Golfe, etc) où ils commandaient les forces armées américaines. Myers, lui, doit plutôt être, dans les intentions de Bush-Rumsfeld, un délégué du président pour remettre un peu d'ordre dans les forces armées. La réforme est, entre autres utilités qu'elle devrait avoir, un moyen de réaffirmer cette autorité civile. L'intérêt bien connu de Myers pour l'espace et la militarisation de l'espace doit également être un aspect important de son commandement. Il devrait avoir comme principale tâche de faire passer dans la programmation et les structures des forces l'intérêt de l'administration, et précisément un intérêt passionné chez Bush-Rumsfeld, pour la défense antimissile et le développement de technologies avancées dont un grand nombre devrait trouver un champ d'exploitation privilégié dans l'espace. La nomination de Myers est une victoire pour l'USAF et il paraît évident qu'elle va amener certains remous dans les autres forces, dans une période d'extrême tension au Pentagone, et notamment au sein de l'U.S. Army, qui assure l'essentiel des tâches de peace-keeping et voit avec inquiétude la possibilité d'une réorientation du budget vers les systèmes de haute technologie.

L'OTAN en Macédoine : une étrange impression de marche tranquille vers un désastre sans surprise

L'une des caractéristiques des grandes institutions bureaucratiques multinationales est l'absence totale de prise en compte des enseignements de l'expérience. Ces grandes institutions s'en tiennent à leurs seules capacités internes et satisfont les groupes de pression et d'intérêt divers, notamment représentés par les nations qui les composent. Plus ces nations sont éloignées les unes des autres, plus leurs intérêts sont éloignés, plus les compromis nécessaires sont éloignés des réalités qu'on veut traiter. L'OTAN en campagne est une constante illustration de ce phénomène, avec des membres dont les intérêts sont aussi éloignés que peuvent l'être les intérêts de pays distants de 7.000 kilomètres. Le résultat est la répétition, en face de situation semblable, des mêmes erreurs commises précédemment dans d'autres campagnes, avec une extraordinaire assurance, une complète indifférence pour les événements en cours et une constante transformation de la réalité dans le domaine de l'information ; cet ensemble de comportements caractérise une attitude de suffisance dans la présentation de l'action politique, tandis que, sur le terrain où l'organisation intervient, on assiste à une aggravation régulière des conditions. L'intervention de l'OTAN en Macédoine, qui devrait être effective à partir du 27 août, ressemble donc à celle de l'OTAN au Kosovo, et à celle de l'OTAN en Bosnie. Désormais, il ne fait plus aucun doute que l'action de l'OTAN dans les Balkans est pire que celle de l'ONU. Certes, l'apparence humanitaire est sauvé, c'est-à-dire que les groupes d'intérêt médiatiques sont satisfaits. Par contre, alors que l'ONU avait réussi à contenir le conflit à la Bosnie, l'OTAN a réussi à l'élargir régulièrement à d'autres zones sensibles, préparant d'autres extensions qui pourraient déborder de la zone de l'ex-Yougoslavie (avec la Grèce notamment). En Macédoine, ces trois derniers mois, le conflit a pris un caractère ethnique très violent, selon un scénario identique aux crises précédentes. Par une évolution étrange, ou peut-être voulue on ne sait, l'aspect médiatique de la crise macédonienne a évolué : au début entièrement prise en main par l'Europe, elle est désormais traitée par l'OTAN. Il ne s'agit que d'apparence médiatique, les acteurs étant les même et les Américains étant entièrement en dehors de toute action, sinon pour laisser faire et armer les guérillas albanophones là où ils peuvent le faire. On ne sait pas s'il faut regretter cette perte du premier rôle médiatique par les Européens. La crise macédonienne devient un tel bourbier, où les Occidentaux créent le désordre en aidant objectivement la seule force déstabilisante de la région (les guérillas albanophones), qu'il est préférable que l'Europe n'apparaisse pas trop comme responsable de l'opération. L'OTAN, elle, ne fait que confirmer qu'elle est totalement et définitivement inadaptée aux conditions du monde au XXIe siècle.

De la difficulté d'être un héros une fois que la gloire médiatique est passée

Il faut aussi avoir à l'esprit que l'essentiel de la justification de la politique occidentale en ex-Yougoslavie s'appuie sur la morale. Nos hommes politiques raisonnent selon ce qu'écrivent les médias, qui écrivent selon la désinformation qui leur est fournie par les sources officielles des organisations internationales, qui désinforment selon l'orientation moralisante à la mode qui est dictée par les médias à l'intention du monde politique. Ce cercle vicieux de la déformation des réalités du monde a pour effet de lancer des opérations grandioses en s'appuyant sur des causes et des personnalités systématiquement douteuses, d'abord parce qu'on les charge de vertus que ni les unes ni les autres ne peuvent avoir. L'un des héros de la première phase de la croisade des intellectuels occidentaux en ex-Yougoslavie fut Itzebegovic, le leader des musulmans bosniaques et chef de la résistance à Sarajevo. Tous les chefs militaires occidentaux (européens) qui passèrent en Bosnie et à Sarajevo sous l'égide de l'ONU, signalèrent le même phénomène, qui répond par ailleurs au bon sens : dans ces guerres atroces, les protagonistes se valent d'une façon générale, et on ne peut distinguer véritablement un côté totalement vertueux contre d'autres côtés, voire contre un seul côté qu'on pourrait charger de tous les maux et de tous les vices ; pour le cas signalé ici, cela signifiait qu'Itzebegovic n'était pas le héros que les intellectuels occidentaux en faisaient. Cette thèse semble aujourd'hui en voie d'être confirmée officiellement par la possibilité quele TPI inculpe le même Itzebegovic pour crimes de guerre. C'est un prolongement inattendu, dont, comme à l'habitude, on ne tirera que fort peu d'enseignements (on est passé à autre chose, au soutien des patriotes albanophones de Macédoine). Il marque également un autre enseignement, tout aussi intéressant : de plus en plus conscient de sa puissance propre, notamment auprès des médias qui sont les maîtres de l'heure bien plus que les politiques, le TPI commence à jouer son propre jeu. Il le fait en transgressant les consignes implicites de ceux qui l'ont créé, et en cherchant à se créer une image d'équité. Le TPI s'attaque donc aux musulmans de Bosnie. Il ne faudrait nullement s'étonner si, demain, il s'attaquait aux ex-dirigeants de l'UCK, voire à l'un ou l'autre dirigeant occidental de l'Alliance du temps du Kosovo. Signe que ce qui caractérise notre temps, c'est bien plus le désordre que le complot, et, comme dans tous les désordres, il y a parfois un peu d'ironie, <1907> dans tous les cas, pour ceux qui ont un peu de mémoire.