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A la veille de l'arrivée de GW en Europe, Tony Blair donne une interview au Time, diversement commentée, et, notamment, dans la plus complète indifférence de la part des médias américains. Il plaide pour la nécessité de maintenir à tout prix le lien transatlantiques, il considère même cela comme étant sa « mission » et c'est pour cette raison que nous parlons de lui avec pour le qualifier le mot de “missionnaire” dont on connaît bien le sens religieux qui fait l'essentiel de sa définition. L'agence américaine CNS News présente de cette façon l'interview de Tony Blair le missionnaire :
« In an interview published Tuesday, British Prime Minister Tony Blair said he's making it his mission to defuse lingering tensions between the United States and Europe, and that reports of a growing rift are an ''exaggeration.'' ''I regard it as one of my tasks to say to people the whole time, don't pull apart Europe and America,'' Blair told The Times newspaper. ''The only people that rejoice in those circumstances are the bad guys.'' »
Ce à quoi nous assistons aujourd'hui, qui apparaît aussi bien au travers de l'interview que du très faible écho qu'il reçut, que du climat de la visite de GW en Europe, que de l'absence de visite de GW à Londres, c'est à la rapide détérioration du “système Blair” basé sur une approche équilibrée de ses engagements européen et pro-américain. Aujourd'hui, Blair est solitaire. Il est solitaire à Londres, dans un gouvernement qu'il ne tient plus qu'à moitié (Gordon Brown tient le reste) et face à un parti travailliste qu'il ne tient plus du tout (Gordon Brown tient l'essentiel). Il est solitaire en Europe, comme l'a paradoxalement et indirectement montré la visite de GW : l'absence de visite à Blair ne signifie pas que les Américains lui battent froid, bien au contraire ; cela signifie que les Américains traitent Blair à part, qu'ils le font venir au Texas (en avril dernier), qu'ils le traitent comme un complément utile à leur politique et nullement comme un Européen, l'Européen le plus pro-américain que voudrait être Blair. Cela va évidemment contre les ambitions européennes de Blair. Aujourd'hui, il ne reste plus en Europe, pour Tony Blair, que des embrassades avec Berlusconi. Plus compromettant qu'enthousiasmant, et aussi solide que du sable.
On a beaucoup dit que le recul US sur les projets d'attaque de l'Irak constitue un motif de soulagement pour Blair, obligé jusqu'alors de soutenir cette idée extrêmement impopulaire en Europe par pro-américanisme exacerbé et obligé. Nous avancerions l'interprétation contraire : la pseudo-aventure irakienne a forcé Blair à s'impliquer beaucoup trop dans un soutien impopulaire aux Américains, jusqu'à voir son crédit européen réduit en lambeaux, — et tout cela pour rien, si les US ne font rien ?
Blair a toujours mis en évidence qu'il voulait jouer à la fois un rôle d'Européen pro-américain et d'Européen ''européiste''. Cette ''mission impossible'' n'est envisageable que lorsque les deux choix sont aussi bien acceptables l'un que l'autre, c'est-à-dire si aucun des deux n'interfère sur l'autre. Ce n'est plus le cas. Aujourd'hui, être pro-américain comme l'est Blair est particulièrement impopulaire en Europe (et, par certains côtés, au Royaume-Uni) ; mais si Blair veut poursuivre sa ''mission impossible'', comment ne pas l'être au moment où Européens et Américains ne cessent de s'éloigner ? C'est ainsi que Tony Blair est désormais prisonnier de sa trop grande habileté, et réduit à perdre sur les deux tableaux où il avait fait d'appréciables progrès : il n'arrivera pas, à lui tout seul, à remettre en place les relations transatlantiques ; et sa perte de crédit en Europe risque de ramener la popularité du Royaume-Uni au niveau très bas où elle se trouvait, avant Saint-Malo, en décembre 1998.
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Le 26 mai, GW Bush arrive à Paris. Tout se passera bien, comme nous le dit la presse. Inutile d'attendre que la visite ait lieu pour la commenter, l'arrivée suffit. Les Français accueillent le président américain avec un mélange de fatalité et d'exaspération, dissimulé par l'habituel sourire de bienvenue et l'inévitable référence à l'amitié franco-américaine, aussi vieille que l'Amérique comme chacun sait. Dans le début d'un article du 25 mai, fort justement (et à peine insolemment) titré « Le ''Je t'aime moi non plus'' franco-américain », le journal quotidien Le Monde (Claire Tréan) traduit bien, pour une fois loin des précautions de langage dues à un trop grand intellectualisme, ce sentiment un peu exaspéré des Français, qui font tant d'efforts pour être appréciés des Américains et en sont si peu récompensés.
« On n'a jamais fini de devoir s'expliquer avec les Américains. Même lorsque la France, dans les moments graves, donne des gages essentiels de sa fiabilité, rien n'est jamais acquis ; ses dirigeants semblent voués pour l'éternité à essayer de faire comprendre outre-Atlantique que cette fidélité d'alliée mériterait la confiance et qu'elle est plus précieuse qu'un béat alignement. Alliée mais pas alignée, la France interminablement recueille de Washington le soupçon, s'attelle à le dissiper, puis le recueille encore. »
Les tentatives des Français officiels, essentiellement les élites françaises, pour se faire apprécier et aimer par les Américains sont nombreuses. Elles ont été faites surtout sous la présidence Chirac, un président qui, par sa psychologie, est fort proche des Américains, — en un sens très marqué, certainement le plus ''pro-américain'' des présidents français de la Ve République. Ces tentatives n'ont eu et n'ont, définitivement, aucun succès, à un point où, comme Le Monde le décrit, ces voyages officiels qui, jadis, ravissaient les têtes politiques françaises et les commentateurs des journaux, n'arrivent plus à convaincre, aujourd'hui, ni les unes ni les autres, et se déroulent plutôt dans l'indifférence.
Le commentaire du quotidien français est en effet remarquable par son amertume profonde, par cet espèce de découragement rageur qu'il découvre. Ces sentiments sont sans aucun doute ceux du monde officiel de l'élite française, politique et le reste, devant le comportement américain vis-à-vis de la France. Le commentaire vaut d'être cité ici, extrait de l'article en question.
« Voilà un président français qui, au lendemain des attentats du 11 septembre (sans même remonter plus avant, au rôle qu'il joua par exemple il y a quelques années dans les Balkans), est le premier à aller dire à la Maison Blanche que la France est solidaire et disposée à assumer toutes les responsabilités qui en découlent. La France, autant qu'on lui permet à Washington, assume. Huit mois plus tard, elle le paie au prix fort, à Karachi, mais néanmoins tient bon. Et voilà que, dans le même temps, une tempête fait rage aux Etats-Unis, dans une partie de la presse et dans des milieux influents colporteurs de préjugés, sur le thème de l'atavique ''antisémitisme français'', des relents vichyssois qui traîneraient dans ce pays et que d'ailleurs confirme, aux yeux aveugles de ces détracteurs américains, le score du Front national aux dernières élections.
» Les bras pourraient vous en tomber : fidèle entre les fidèles sur le fond - aujourd'hui dans la lutte contre le terrorisme -, la France est de nouveau paradoxalement mise à l'index aux Etats-Unis. Elle parle trop sans doute, par rapport à d'autres Européens qui, pourtant, n'en pensent pas moins. Comme le souligne un diplomate, ''les divergences aujourd'hui ne sont pas franco-américaines, elles sont euro-américaines''. »
Tout cela est fort juste et frappé du sceau de la raison française. D'une façon objective, on pourrait écrire que les Français ne comprennent pas le procès qui leur est fait. (Les autres Européens non plus qui, comme il est écrit, « n'en pensent pas moins » ; mais les autres Européens parlent moins, habitués qu'ils sont à cinquante ans d'une servilité dorée au creux de la Grande Alliance.) Tout cela est fort juste à part que cela n'a rien à voir avec la réalité. Les Français croient que les commentateurs américains, lorsqu'ils insultent la France et ridiculisent les Européens, parlent effectivement du monde extérieur dont ils dénoncent injustement un comportement qu'ils seraient incapables de comprendre. Les Français n'ont toujours pas compris que, pour les Américains, le monde extérieur n'existe qu'en ce qu'ils doit être un fidèle reflet d'eux-mêmes, — ce qu'il n'est pas et cela provoque chez eux une rage considérable. Les Américains ne sont à la recherche que d'une chose lorsqu'ils observent le monde autour d'eux, la confirmation par l'extérieur de leur exceptionnalité et de leur unicité. Ils ne découvrent que des peuples différents, aux parlers incompréhensibles, aux comportements qui leur semblent ne pas valoir mieux que ceux des Perses de Montesquieu. Cette différence, alors que le miroir ne devrait être qu'un fidèle reflet d'eux-mêmes, les scandalise.
Cela, c'est pour les temps normaux. Que dire d'un temps où les Américains se trouve dans une crise psychologique profonde, alors que le monde extérieur les a frappés et que leur incompétence à se protéger de cette sorte d'attaque ne cesse d'éclater à la face du monde, c'est-à-dire d'eux-mêmes ? Leur psychologie est profondément ébranlée par ce choc et la démonstration quotidienne de leur incapacité. Les Américains sont entrés dans une crise de la psychologie qui ne fait que confirmer leur évolution historique et leur impossibilité de se couler dans le courant historique du monde, alors qu'ils prétendent avoir maîtrisé le monde. C'est dire si l'amertume les emporte et il n'y a pas vraiment à s'étonner si, aujourd'hui, leur appréciation de ce peuple qui se prétend proche d'eux et ne les comprend pas (les Français), et des Européens derrière, se résume à l'expression qu'emploie Jonah Goldberg, un Senior Editor du Weekly Standard, l'organe des neo-conservatives extrémistes, pour désigner les Français : « Cheese-eating surrender monkeys ». C'est à ce niveau qu'aujourd'hui évoluent les relations transatlantiques.
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