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782Le 26 janvier, le quotidien de Washington, le Washington Times, publiait une note du NSC concernant la demande faite par le secrétaire d'État Powell sur un changement de statut des prisonniers talibans et Al Qaïda détenus à Guantanamo. Powell veut un changement de statut, et que les prisonniers aient un statut de prisonnier de guerre ou, dans tous les cas, un statut équivalent même si le titre de “prisonniers de guerre” ne leur est pas officiellement donné.
La position de Powell est violemment combattue par Rumsfeld, qui entend que les prisonniers de Guantanamo soient traités comme des irréguliers, des non-combattants officiels, implicitement avec toute la fermeté nécessaire. Cette position était, jusqu'à la querelle avec Powell dans tous les cas, la position officielle de l'administration. Certains ont déjà relevé que cette position américaine constituait, dans tous les cas dans l'esprit, une contradiction : le 11 septembre 2001, les USA ont proclamé qu'ils partaient en guerre contre le terrorisme et, depuis, se conduisent effectivement comme une nation en guerre ; est-il logique, dans ce cas, que le statut de prisonniers de guerre soit refusé à ceux que les Américains font prisonniers dans le cadre de cette guerre ?
On comprend l'intervention de Powell. Elle se place dans la logique des protestations très nombreuses venues de l'étranger, de diverses organisations humanitaires et autres, de certains pays, dont particulièrement le Royaume-Uni, et ainsi de suite. Powell est préoccupé de la position internationale des USA, des bons liens des USA avec ses alliés, de la bonne position des USA dans les milieux de ce qu'on appelle la communauté internationale, etc. Il tient son rôle de secrétaire d'État, tentant de maintenir une apparence d'internationalisme dans la politique américaine. En face de lui, Rumsfeld, également dans son rôle de dur, représentant plutôt la ligne unilatéraliste.
D'une certaine façon et en admettant que les problèmes humanitaires ne sont pas en eux-mêmes des problèmes politiques essentiels, mais plutôt la conséquence de problèmes politiques souvent essentiels, on considérera cette querelle générale avec un certain étonnement. De même, la publicité faite par les Américains à des photos officielles montrant les prisonniers dans des attitudes peu encourageantes si l'on est dans cet état d'esprit, assez répandu un peu partout, de se montrer indulgent pour le comportement américain, doit être considérée en première analyse comme une attitude assez inattendue. C'est faire naître des problèmes supplémentaires dans un cadre général où la situation elle-même en engendre bien assez. L'explication tient fort probablement en ce que, dans cette affaire comme dans la plupart des autres, l'administration s'adresse à la population américaine et non pas au reste du monde. L'administration, même si elle présente intellectuellement des tendances différentes, a naturellement une politique générale complètement unilatéraliste. (Si, finalement, des concessions étaient faites à la position de Powell, ce serait des concessions tactiques, de circonstance, et l'on en reviendrait naturellement à la position unilatéraliste à la première occasion venue, y compris sur la question des prisonniers.)
Mais l'on comprend finalement que ces remarques sont annexes. La querelle des prisonniers n'est en fait que l'expression de tensions sous-jacentes très fortes, tensions à propos de sujets essentiels, et qui ne s'expriment pas sous leur forme réelle parce qu'on n'ignore pas qu'on pourrait alors aller jusqu'à des ruptures graves. La querelle des prisonniers est par conséquent un biais par lequel éclatent ces tensions, et l'on a l'explication de la dimension étonnante, par rapport aux autres enjeux, qu'a pris cette question annexe. Bien entendu, ces tensions s'expriment principalement selon deux axes :
• Au sein du cabinet, entre la tendance générale dure, unilatéraliste, représentée par Rumsfeld principalement dans ce cas, mais qui regroupe l'essentiel du cabinet, et probablement Bush lui-même. Powell, lui, est l'avocat de la tendance internationaliste, c'est-à-dire de la nécessité de certaines concessions américaines, principalement vis-à-vis des alliés des USA. Quoiqu'il en soit de l'issue de la querelle des prisonniers au sein du cabinet, Powell en sortira plus haï que jamais par ses adversaires de droite, c'est-à-dire plus isolé, et avec son influence encore plus réduite (même s'il l'emporte sur la question des prisonniers).
• Entre les USA et leurs alliés, principalement les plus proches des USA parmi eux, comme le Royaume-Uni et l'Arabie Saoudite. Ce dernier point n'est paradoxal qu'en apparence et il ne fait que montrer la réalité des alliances dans cette crise : UK et Arabie, les plus fidèles alliés, suivent cahin-caha les USA pour garder ce statut, ou ce qu'il en reste, mais sur le fond même, sur la façon dont les USA mènent la crise, ils sont en réalité en désaccord. (Les autres alliés, bien sûr, partagent en général ce sentiment, mais ils sont moins pressés par les circonstances, ayant moins à défendre dans leurs rapports avec les USA.) Ce désaccord fondamental s'exprime alors dans des questions en apparence secondaire, comme celle des prisonniers, et ces questions, du coup, deviennent essentielles. Le comportement britannique dans cet aspect des choses, surtout, a été significatif.
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Le scandale progresse à Washington et le surnom classique (“Enrongate”) commence à se répandre. Le scandale a déjà sa part de tragédie (le suicide, le 25 janvier, d'un ancien VP d'Enron, démissionnaire pour protester contre les pratiques de la société, — après en avoir profité) et de dramatisation légale (la possible assignation de la Maison-Blanche par le GAO, la Cour des Comptes américaine, pour obtenir les documents de la Commission Cheney sur la politique énergétique des USA et vérifier l'éventuelle participation d'Enron à son élaboration). Le scandale Enron-Andersen semble ainsi acquérir une “vitesse de croisière” dans une direction somme toute plutôt inattendue. On pouvait en effet penser que ce scandale serait étouffé, en raison de son énormité et des dégâts potentiels qu'il peut causer à tout le système américain, en raison du fait qu'il touche certes, et principalement, les républicains, mais aussi les démocrates. Mais il semble bien difficile d'étouffer ce scandale. On se trouve aujourd'hui dans une situation où le système n'est plus capable de se contrôler lui-même, où divers aspects de son action lui échappent. Enron et ses conséquences-“Enrongate” pourraient en être.
Des mécanismes légaux sont en route, aussi bien devant la justice qu'au Congrès. Des groupes de pression, d'intérêt, des bureaucraties, défendent des positions antagonistes, qui font oublier l'intérêt général de la classe politicienne de Washington (cet intérêt général devrait être que l'affaire soit étouffée, ou, dans tous les cas, réduite au maximum). La position du GAO est caractéristique, notamment dans sa volonté semble-t-il de vouloir aller très loin pour tenter d'obtenir les documents Cheney sur l'implication possible d'Enron dans la détermination de la politique énergétique des USA. Certes, le GAO est un organisme relativement indépendant. Il est proche du Congrès. Il est néanmoins remarquable qu'il en soit venu à une procédure officielle pour obtenir ce qu'il veut.
Du côté de l'administration, de Cheney en réalité, l'attitude est aussi ferme. S'il le faut, cette affaire des documents réclamé par le GAO se réglera devant le tribunal, c'est-à-dire, sans doute, devant la Cour Suprême. Les républicains espèrent qu'ils y retrouveraient la coalition conservatrice qui a donné la victoire à GW Bush le 15 décembre 2000, dans l'élection présidentielle. Dans cette attitude, il y a aussi une part de sentiments personnels, le refus d'une équipe au pouvoir qui se croit confortée dans sa puissance et dans le soutien populaire dont elle jouit, bien assez dans tous les cas pour traiter avec quelque dédain les initiatives type-GAO.
Peut-être l'administration Bush a-t-elle raison de faire confiance à sa puissance, peut-être n'a-t-elle pas raison ... Quoiqu'il en soit, on pourrait tout de même apprécier que c'est jouer avec le feu que suivre une attitude de refus de conciliation dans les temps qui viennent. Enron a des ramifications multiples, dans tous les sens. Si, sur un point, on pousse la procédure jusqu'à son extrême, on risque d'amener la même attitude dans tous les autres points qui sont et seront soulevés. C'est alors qu'Enron prendrait toute sa dimension et deviendrait, — déjà ! —, le “scandale du siècle”.
La question de la querelle Arabie-USA doit d'abord se rapporter à cette question : lequel des deux pays veut prendre ses distances de l'autre ? Une excellente analyse de Jim Lobe, sur le site atimes.com, suggère que l'attitude saoudienne joue un rôle essentiel dans cette affaire. Lobe rapporte notamment des déclarations de l'ambassadeur Freeman :
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L'attitude de l'Arabie Saoudite se confirme, par ailleurs, dans sa position vis-à-vis des prisonniers de Guantanamo, dont un nombre conséquent sont de nationalité saoudienne. L'Arabie a fait savoir officieusement qu'elle voulait que ces prisonniers lui soient restitués. Cette démarche n'est pas faite pour satisfaire Washington, sur un dossier aussi sensible en ce moment. D'autre part, des indications officieuses ont montré que les rapports opérationnels entre Américains et Saoudiens, notamment sur la base américaine Prince Sultan, en Arabie, se sont notablement tendus. Les Saoudiens entendent que leur volonté qu'aucune opération américaine au-dessus de l'Afghanistan ne soit menée àpartir de cette base soit intégralement respectée. Cela conduit à des initiatives saoudiennes de vérification et de contrôle opérationnels que les Américains n'apprécient pas du tout.
Tout cela semble montrer que, pour l'instant du moins, dans la querelle entre l'Arabie et les USA, les Saoudiens sont loin d'être les moins actifs, qu'ils sont loin d'être les plus demandeurs d'un apaisement, qu'ils semblent développer l'attitude la plus intransigeante. (C'est un point remarquable quand on a à l'esprit le rapport des forces, dans un temps où les USA n'hésitent pas à faire usage de leur force.) Le cas intéressant est , évidemment, que, du côté américain, on semble prêt à accepter d'éventuels prolongements décisifs, allant jusqu'à une rupture des actuels rapports et à l'établissement de nouveaux rapports beaucoup plus distants.