Semaine du 21 au 27 mai 2001

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Doute et confusion autour de la Strategic Review


Depuis quelques jours, à Washington, s'accumulent les signes de contestation, de critique, de mise en question du processus dit de la Strategic Review, devant mener à une restructuration et une nouvelle stratégie des forces armées américaines. Il y a d'abord un problème personnel pour Donald Rumsfeld, accusé de toutes parts de travailler sur cette réforme sans consulter les responsables (les chefs militaires, les parlementaires concernés). Très vite, à partir du 15-17 mai, Rumsfeld entreprend un effort majeur de relations publiques pour tenter de réduire ces querelles. Assez vite, cette contre-offensive de Rumsfeld semble donner des résultats, dans tous les cas selon ce qu'en dit la presse. Sur le fond, la malaise n'est pas dissipé. Ce malaise concerne la question de savoir si Rumsfeld pourra mener sa réforme à bien, avec les résistances diverses qui ne cessent de s'affirmer avec puissance. Certains estiment que cette “réforme” finira par s'avérer comme un exercice de rhétorique, et que le Pentagone en sortira à peu près semblable à ce qu'il est. D'autres sources affirment que les principales décisions sont déjà prises et que, effectivement, les changements sont mineurs, à part une considérable augmentation budgétaire.

Rumsfeld, lui, continue à affirmer qu'il n'a pris aucune décision et que tout ce qui est imprimé ou colporté ne recouvre aucune réalité. L'appréciation que nous serions amenés à faire est un peu différente, surtout en fonction de la nouvelle majeure de la semaine (le passage du Sénat aux démocrates): la situation politique à Washington devient désormais très incertaine, et la Strategic Review va subir elle aussi les effets de cette incertitude; cela ne signifie pas nécessairement ne rien faire pour l'administration GW Bush, qui peut, au contraire, selon les circonstances, juger politiquement avantageux de forcer une voie vers une réforme profonde (sans aucune garantie, dans ce cas, qu'elle puisse être menée à bien); ou bien, effectivement, il peut s'avérer plus intéressant de ne rien faire. Dans tous les cas envisageables, une seule certitude: le désordre budgétaire et conceptuel qui existait au Pentagone au départ de Clinton va encore s'accentuer, et il s'accentuera encore plus si la réforme de la strategic Review avorte.


Special Relationships en action sur le terrain


Le général Wesley Clark publie ses mémoires, Waging Modern War. Clark termina sa carrière dans l'U.S. Army comme SACEUR (commandant suprême allié en Europe) et, dans cette position, il mena la guerre contre la Serbie. (Après la guerre, en avril 2000, Clark fut libéré de ses fonctions, quatre mois avant sa date légale de départ à la retraite: sorte de limogeage “à la Clinton”, ou limogeage-soft, d'un officier général qui eut également des rapports très difficiles avec le Pentagone, avec son secrétaire à la défense Cohen, et avec le gouvernement à Washington en général.) Parmi les péripéties de son commandement et de la guerre au Kosovo, la querelle de Clark et du général britannique Jackson du 12 juin 1999 (refus de Jackson le Britannique d'obéir à un ordre de l'Américain Clark, deux jours après que le KFOR,commandée par Jackson, ait commencé à investir le Kosovo) est déjà connue et célèbre. Clark en donne le détail dans son livre et cela est particulièrement révélateur. Le Times de Londres publie des extraits de cet incident, qu'il qualifie de «sharpest clash between American and British military commanders since Eisenhower and Montgomery disputed strategy in the Second World War».

Effectivement, l'incident entre les deux hommes est d'une intensité exceptionnelle. Il s'agit d'une situation d'affrontement si violente qu'on a beaucoup de mal à l'imaginer qu'elle puisse être possible entre un chef américain et un chef d'un pays allié de l'OTAN (français y compris, sans la moindre hésitation), — mis à part les Britanniques, comme le démontre l'incident. On trouve ici une démonstration intéressante de la réalité des fameuses special relationships entre Américains et Britanniques. Les rapports entre Américains et Britanniques sont beaucoup moins bons qu'on les imagine lorsqu'on se réfère à la version officielle et idyllique de ces relations. Des sources françaises (les Français, par le biais de la PESD, sont aujourd'hui beaucoup plus proches des Britanniques) nous ont confirmé cet état de fait, par exemple, pour ce qui concerne les conversations sur la coopération des armements, les achats d'armes, etc: les contacts entre Américains et Britanniques sont beaucoup plus tendus qu'on ne croit, avec les Britanniques tenant souvent un rôle contestataire. L'incident Clark-Jackson, et surtout dans le détail donné par Clark, fait mesurer également l'appréciation où sont tenus les commandements interalliés de l'OTAN par les chefs nationaux (voir les remarques que fait Jackson à celui qui est officiellement son supérieur direct).


La réalité allemande, loin des montages de relations publiques


Depuis décembre 2000 et le sommet de Nice, l'Allemagne et ceux qui ont intérêt à faire sa promotion comme puissance centrale de l'Europe ont lancé une formidable opération de relations publiques tendant effectivement à accréditer cette image. Quand on agit dans ce sens, on le comprend, c'est que la réalité ne suffit pas à convaincre les autres, les observateurs et les commentateurs, de la véracité de cette affirmation. La réalité allemande est notablement, voire diamétralement différente, elle est même par certains côtés inquiétante. C'est celle de l'Allemagne «lanterne rouge de l'Europe» comme le montre dans Le Monde Arnaud Leparmentier. Après d'autres, et sans rien avancer de véritablement révolutionnaire, mais en présentant simplement quelques chiffres et quelques observations, Leparmentier confirme le caractère retardataire, voire sclérosée de la situation allemande. Un constat s'impose: au lieu d'avoir été transfigurée par la réunification, jusqu'à passer au rang de première des puissances européennes comme elle l'espérait, l'Allemagne n'a pas pu se relever de cette opération. Au lieu de continuer à lutter pour tenter tout de même d'y parvenir, comme fit Kohl jusqu'à la fin de son mandat, Schröder a choisi la méthode Clinton: dire qu'il est parvenu au succès, que l'Allemagne est effectivement cette puissance que tout le monde annonce depuis dix ans et qui ne parvient pas à l'être. Du pur virtualisme, caractérisé par le «sourire de son chancelier».


Un tournant à la Clinton: le Sénat passe aux démocrates


La décision, le 24 mai, du sénateur républicain Jeffords, du Vermont, de devenir indépendant et de voter avec les démocrates donne à ces derniers le contrôle du Sénat des États-Unis. C'est une décision d'une importance considérable. Pour certains, c'est un événement qui renverse le résultat de l'élection présidentielle, et c'est par exemple l'avis du Wall Street Journal. Quel va être l'effet de cette décision? Certains jugent qu'elle va forcer GW Bush à gouverner un peu plus au centre, en atténuant ses tendances droitistes. C'est une possibilité logique, mais il n'est pas sûr que ce soit la logique qui domine aujourd'hui la politique washingtonienne. En fait, la situation commence à ressembler curieusement, mais à fronts renversés, à celle de novembre 1994: Clinton, élu fin 1992, trouvant devant lui une majorité républicaine après les élections dites mid-term de novembre 1994 et constatant dès lors une situation de paralysie et d'affrontement. (Certains poussent l'analogie jusqu'à considérer que l'échec possible de la Strategic Review ressemblerait alors à l'échec de la réforme de la sécurité sociale de Hillary Clinton en 1993-94.) La seule différence est évidemment dans la rapidité de la détérioration de la situation pour GW Bush, d'ailleurs inscrite dans le résultat des élections de novembre-décembre 2000. En fonction du climat régnant à Washington, de la proximité d'une élection (la mid-term de novembre 2002), importante parce qu'elle pourrait déterminer de nouvelles situations législatives, il y a de bonnes raisons de penser que nous nous dirigeons vers une nouvelle période de paralysie et de confrontation entre exécutif et législatif. Il n'est pas sûr, d'autre part, que la nouvelle situation conduise GW Bush à se montrer plus modéré; il pourrait estimer devoir, au contraire, donner le plus de satisfaction possible à son électorat de droite, ce qui le conduirait à maintenir fermement sa tendance “dure”.