Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
966Une information publiée par le Wall Street Journal (WSJ) le 26 juin permet d'avoir une idée concrète de l'inadaptation complète des forces armées dont les structures et les équipements très puissants ont été développés pendant et pour la Guerre froide, et qui sont maintenant utilisées dans la grande Guerre contre la Terreur. Le cas américain est évidemment le plus impressionnant, dans la mesure de l'importance de l'investissement militaire américain durant la Guerre froide et de la très forte résistance des forces américaines à toute évolution sérieuse pour s'adapter aux nouvelles situations. Le WSJ détaille le cas de la flotte de sous-marins nucléaires d'attaque de l'U.S. Navy, 54 unités à $2,2 milliards pièce, conçues pour la chasse aux sous-marins nucléaires stratégiques soviétiques et maintenant utilisés pour la collecte de renseignement concernant les activités des terroristes.
« The 380-foot-long submarines’ missions, which include secretly delivering teams of Navy commandos to hot spots around the globe and intercepting telephone conversations, have risen more than 30% since the terrorist attacks, Navy officials said. To accomplish the missions, submarines are skipping port calls, traveling more quickly between hot spots and forgoing some maintenance and training missions.
(...)
» Since Sept. 11, the service’s attack subs have spent about 80% of their deployed time performing missions, most of which have been associated with gathering intelligence. “They are really going to destroy the force if they continue at this current pace,” said Loren Thompson, chief operating officer of the Lexington Institute, a defense think tank in Arlington, Va. “Eventually you could have a serious accident.” »
Le cas des sous-marins d'attaque éclaire bien la situation où se trouvent les forces américaines, exemples et références en général de toutes les forces armées du monde. Pour pouvoir maintenir son niveau d'efficacité et de sécurité, la flotte devrait réduire son pourcentage de temps de déploiement consacré aux missions d'écoute de 80% à 72%, ce qui impliquerait le refus de certaines demandes des services de renseignement (CIA et le reste). Mais de tels refus sont particulièrement délicats dans les circonstances actuelles, notamment du point de vue politique, alors que la presse et diverses autorités sont très attentives à surveiller la vigilance de tout le système de sécurité nationale face à la menace terroriste. (« But with the push to gather intelligence that could head off another deadly terrorist attack, declining missions isn’t done lightly », note sobrement le WSJ.).
Il existe une situation de blocage dans la situation générale des forces armées, dont rend parfaitement compte le cas décrit ici. D'une part, les sous-marins nucléaires ne sont évidemment pas les systèmes appropriés pour la recherche de renseignement, essentiellement à cause de leur coût considérable qui rend cette mission de recherche de renseignement absurde du point de vue du rapport entre le coût et le résultat obtenu. D'autre part, il ne peut être question de les stopper, pour la raison déjà mentionnée et parce que, d'une façon plus générale, il existe un tempo d'activités de ce point de vue extrêmement élevé. On vit en état de mobilisation permanente et l'on ne saurait envisager d'autres solutions que celle, immédiatement disponible, de l'emploi des sous-marins nucléaires d'attaque. Il existe ainsi une dynamique impérative qui empêche toute recherche d'une adaptation sérieuse à la nouvelle situation de sécurité.
D'une façon générale, au-delà des motifs de friction et des motifs de polémique, au-delà de la situation US intérieure autour de GW Bush et du développement (ou de l'absence de développement) de la guerre contre le terrorisme, il existe une interrogation de plus en plus insistante et inquiète sur la possibilité que les USA puissent se maintenir à ce niveau de puissance où ils se trouvent dans le cadre actuel et selon les prétentions qu'ils affichent.
Daniel Warner, qui est directeur adjoint du Graduate Institute of International Studies de Genève et auteur d'un Ethic of Responsibility in International Relations, écrit le 28 juin un article où il compare le destin américain au destin soviétique.
« What is so intriguing and worrying about the war on terrorism is that following the implosion of the Soviet Union due to its imperial overreach the United States seems to be embarking on a war that may have similar effects.
» The most obvious war being fought is the campaign against the perpetrators of Sept. 11. The search for Osama bin Laden and the members of the Qaeda network is an act of self-defense legitimatized by the United Nations and NATO. The United States was attacked and has the right to seek out and punish the attackers as well as to prevent future attacks by the same group as long as its reaction is proportional and within the overall framework of the laws of war.
» What is more difficult to justify is the enlargement of the war to other groups. Is punishment for Al Qaeda the same as punishing governments for harboring or encouraging the terrorists? The overthrow of the Taliban government in Afghanistan was generally welcomed internationally, but the responsibilities of the Taliban are not the same as that of Al Qaeda. In the name of fighting terrorism, excesses can easily be committed when one moves further and further away from punishing those with direct responsibility. This is what makes fighting terrorism so frustrating and dangerous. To root out particular terrorists is not the same as destroying terrorism in general.
(...)
» The irony of the current situation is that just at the moment when the Soviet Union imploded and the United States was the lone superpower, America is confronted with a situation that could easily lead to its implosion as well. In ''The March of Folly,'' Barbara Tuchman, the historian, wrote: ''All misgovernment is contrary to self-interest in the long run, but may actually strengthen a regime temporarily. It qualifies as folly when it is a perverse persistence in a policy demonstrably unworkable or counterproductive.'' The war on terrorism may America lead down that very path. »
Ce type d'article n'est pas isolé. Aux USA même, on trouve des analyses qui vont dans ce sens, l'une des plus intéressantes étant certainement celle de Immanuel Wallerstein, dont l'essai paru dans Foreign Policy de juillet-août, et portant le titre « The eagle had crash landed », ne se pose même plus la question de savoir si l'Amérique est en déclin, mais principalement quelle forme prendra ce déclin dans les dix années qui viennent, — brutal et dévastateur ou conduit avec habileté et douceur ?
Il s'agit d'un phénomène particulièrement remarquable, qui ne touche pour l'instant qu'une frange des analystes internationaux mais qui progresse rapidement. L'impression initiale de puissance de la réaction américaine après l'attaque du 11 septembre s'est rapidement dissipée. Aujourd'hui apparaissent les freins, les ratés, les limites de sa politique, les hésitations et les incohérences de sa stratégie, l'état extrêmement préoccupant de l'appareil politique qui dirige la nation à Washington, enfin des crises qui semblent ''annexes'' à cause de l'importance donnée à la guerre contre le terrorisme mais qui indiquent des maux centraux dans le fonctionnement de la puissance US (la plus importante est la crise du système capitaliste US, mise à jour dans une situation de corruption généralisée).