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770La visite de Vicente Fox aux USA, à Washington la semaine dernière, a été un événement. Le président mexicain n'a pas caché ses intentions alors qu'on attendait qu'il se montre beaucoup plus réservé : Fox a demandé un accord « d'ici Noël » sur la légalisation de la présence de près de 4 millions d'immigrants mexicains illégaux aux USA. Pourtant, les réticences du Congrès (alors que GW Bush est favorable àun tel accord) avaient fait penser que Fox écarterait des pressions trop fortes pour un tel accord. A Washington, Vicente Fox a montré qu'il ne craignait rien face aux Américains. L'immigration mexicaine aux USA, légale et illégale, voire la présence d'une minorité hispanique d'un poids considérable et sans cesse en augmentation aux USA, constituent pour lui une arme politique d'une très grande force. Sans doute jamais aucun homme politique non-américain n'aura tenu une place aussi importante dans la politique intérieure américaine que Vicente Fox depuis son installation comme président mexicains (en décembre dernier). Les commentateurs américains ne s'en cachent plus désormais : pour eux, c'est sans aucun doute une nouvelle époque qui commence, — pour les relations américano-mexicaines, pour le Mexique évidemment mais aussi, et surtout, de manière bien plus fondamentale, pour les États-Unis. Aujourd'hui, sous nos yeux, commence le processus de désintégration de la prépondérance absolue des WASP (White, Anglo-Saxon, Protestant) sur la plus grande puissance du monde. Face à cette poussée, GW Bush est le "partenaire" idéal pour Fox. Certes, il hésite àaccepter certaines demandes du Mexicain mais on sent qu'il est d'ores et déjà acquis aux principes qui justifient ces demandes ; bien que cela puisse paraître paradoxal pour un président républicain qu'on pourrait croire partisan d'une politique d'affirmation américaine, on retrouve le réflexe régional de l'ex-gouverneur du Texas dont la première visite, après son élection de 1996 fut pour le président mexicain, à Mexico. Mais il faut aller plus loin encore : c'est le cadre institutionnel et le concept même de souveraineté des USA qui est mis en question au travers de la nouvelle orientation des relations avec le Mexique. Selon ses interventions publiques, Fox se dit président des 100 millions de Mexicains du Mexique, ou bien des 117 millions ou des 123 millions de Mexicains du continent nord-américain (selon qu'il prend en compte les 17 millions de Mexicains non-citoyens US vivant aux USA, ou qu'il ajoute à ces 17 millions les 7 millions de Mexicains nés au Mexique et devenus citoyens US). Dans le cas de Fox-président de 123 millions de Mexicains du continent nord-américain, effectivement, que devient la nationalité états-unienne, celle des 7 millions de Mexicains nés au Mexique et naturalisés citoyens US ? La question est d'autant plus intéressante que cette affirmation de Vicente Fox va devenir une quasi-réalité institutionnelle, lorsque, selon sa promesse, les Mexicains nés au Mexique et vivant aux USA, restés citoyens mexicains ou naturalisés citoyens US, auront le droit de vote au Mexique pour élire leurs sénateurs au Parlement de Mexico City. Le cas mexicain, qui est de loin le problème de politique extérieure le plus fondamental pour les États-Unis, met en évidence la fondamentale fragilité des États-Unis, pays très largement confédéral et décentralisé dans sa première phase d'existence, devenu une fédération très centralisée dans certains domaines après la Guerre de Sécession de 1861-65, mais qui a gardé certaines de ses caractéristiques initiales. La fatalité démographique (la très forte poussée de la minorité hispanique, par l'immigration, la fécondité, le dynamisme social et religieux, l'unité culturelle spécifique et la conservation de la langue) fait de la minorité hispanique l'acteur central des États-Unis durant le XXIe siècle ; et vus les liens maintenus et constamment renforcés de cette minorité avec son pays d'origine, c'est en fait le Mexique qui va devenir l'acteur central de la politique intérieure US au XXIe siècle. Ainsi peut-on comprendre la raison de l'assurance de Vicente Fox lors de sa visite àWashington.
Un livre à paraître le 20 septembre doit constituer un apport important, voire décisif, dans un débat qui déchire la France depuis plusieurs années et paralyse sa propre perception d'elle-même. Il s'agit de La République xénophobe, de Pierre-Jean Deschodt et de François Hughenin (J.C. Lattès), livre dont Le Figaro du 5 septembre donne une longue analyse. L'importance de ce livre est qu'il tend à détruire complètement un mythe qui avait été édifié ces dernières années, parce qu'il constituait un contre-point nécessaire à l'image de diabolisation de la période vichyssoise qui a été donnée aux Français durant la même période. La condamnation radicale de Vichy, quasiment classé comme une équivalence de l'Allemagne nazie en marge des affaires Bousquet, Papon, etc, impliquait de façon impérative que la IIIe République qui l'avait précédé, la « République des professeurs » chère à la gauche libérale et intellectuelle française, apparût en contre-point comme une référence de vertu républicaine. Si cette République pouvait être accusée d'avoir été imprévoyante face à la montée de l'Allemagne nazie (c'est d'elle que dépendit l'impréparation française à la guerre), il importait qu'elle fût idéologiquement vertueuse, sans la moindre compromission possible, pour que se marquât de façon décisive la différence avec Vichy. Ce débat est loin d'être académique : il avait et il a son importance au moment où la gauche française n'a plus que l'argument intellectuel de la vertu républicaine virtuelle, contre une droite française d'ailleurs pareillement démunie, avec une vertu patriotique également virtuelle. Nous qualifions ces arguments de “virtuels”, justement parce qu'ils s'appuient sur des références historiques polémiques, en général manipulés pour intervenir dans le débat politique actuel. L'effroyable réputation faite à Vichy réduisait à peu de choses, non pas l'argument de la vertu patriotique, mais la prétention de la droite classique française à pouvoir l'avancer ; de même, cette effroyable réputation constitue pour certains un handicap dans le développement de thèses s'appuyant sur le patriotisme (par exemple, certaines thèses souverainistes anti-européennes), parce que la référence vichyssoise est souvent assimilée à l'attitude patriotique. (Toutes ces attitudes et positions peuvent être jugées excessives mais nous sommes dans le domaine de la polémique et seul compte l'effet politique immédiat.) La République des fiches réduit à néant l'argument de la vertu républicaine virtuelle de la gauche française contre le péché de la droite française avec Vichy. D'après les nombreux détails dont on comprend que Le Figaro ne soit pas avare, on voit que la IIIe République établit, notamment à partir de 1917, un impitoyable service de fichage des citoyens, particulièrement des ci-devant marginaux et autres (la fiche de Cocteau vaut son pesant de dogmatisme anti-gay), et précisément contre les immigrants de tout poil, mais particulièrement ceux qui se disaient « réfugiés politiques », et particulièrement les juifs fuyant des régimes antisémites des années 1930, avec lesquels il était recommandé d'être particulièrement sévères. On trouve des textes de circulaires signés de ministres de gauche tels que Marx-Dormoy ou Chautemps, que pas un ministre français d'aujourd'hui, fut-il d'une hypothétique extrême-droite, n'oserait signer. La publication de ce livre est un événement politique important dont on pourrait constater les effets sur l'évolution générale des opinions, mais, surtout, sur le desserrement de l'inquisition intellectuelle entretenue en France autour des positions dites nationales.
La candidature de Jean-Pierre Chevénement à la présidence de la République, annoncée le 5 septembre à Belfort, ouvre une période nouvelle et certainement très intéressante dans la vie politique française. Cette candidature a été présentée comme un événement politique de première importance, de façon très générale, toutes opinions confondues. Elle l'est effectivement, et dans une dimension nouvelle et intéressante pour une élection présidentielle française, qui n'a rien à voir avec les chiffres de sondages des intentions de vote (tant il est implicitement admis que ces chiffres pourraient varier de façon radicale selon l'évolution de la campagne). Autant les candidatures Chirac et Jospin sont des événements intérieurs, sans réelle importance extérieure et générale, autant les candidatures contestatrices comme celles de l'extrême-droite (Le Pen) étaient également des événements intérieurs puisqu'elles se contentaient de contester le monopole de la politique intérieure par les deux grands partis (droite et gauche), — autant la candidature Chevénement a, au contraire, une importance extérieure et générale évidente. Il s'agit d'un événement qui dépasse le seul cadre restreint, et d'une médiocrité sans égale ces dernières années, du débat politique intérieur français. Toute la question est de savoir si la campagne du candidat Chevénement réussira à faire comprendre cette nouveauté dans la politique française, si d'ailleurs elle en est elle-même convaincue. Si elle parvient effectivement à dépasser le cadre qu'on tentera de lui imposer et qu'elle pourrait être tentée d'accepter, le caractère médiocre et stérile des candidatures Chirac et Jospin sera mis en pleine lumière. D'importantes surprises deviennent possibles car il devient alors acceptable de dire que la candidature Chevénement est effectivement un événement qui n'a pas de précédent dans les deux ou trois dernières décennies en France, et qui n'a pas (encore ?) d'équivalent aujourd'hui dans le monde. Chevénement est en effet le premier homme politique d'envergure et à légitimité nationale (député, maire, plusieurs fois ministres, chef d'un parti participant au gouvernement) à vouloir porter sur la scène nationale le seul vrai débat qui compte aujourd'hui, et qui est soigneusement écarté par des candidats tout entier acquis aux archaïsmes droite-gauche. Ce débat est celui de le globalisation, de la forme que doit prendre l'Europe, de la politique vis-à-vis de l'hégémonie américaine, de la politique vis-à-vis des questions sociales déstructurantes (immigration, sécurité, etc), de la montée de l'individualisme ; c'est-à-dire, d'une façon générale, le débat sur l'affrontement général entre les forces structurantes et les forces déstructurantes, qui est le point central de la crise de civilisation dans laquelle nous sommes plongés. La tâche prioritaire de Chevénement devrait être d'élever un débat qui en reste aux assauts démagogiques portés par des candidats qui sont comptables d'une même politique, qui est la politique d'un système étouffant et sans la moindre perspective, et qui se bat quasi-exclusivement sur le refus absolu d'aborder les véritables problèmes. Tactiquement, Chevénement devrait chercher à éviter les attaques personnelles et s'attacher plutôt à montrer combien le débat politique intérieur et le système qui le favorise sont dépassés, inadaptés, totalement réduits à la simple survivance des aspects les plus détestables de la pratique politique moderne.