Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
770
En d'autres temps (septembre 1989), la presse française (Valeurs Actuelles) avait fait de Maggy Thatcher une parente très proche de De Gaulle («La fille de De Gaulle»). Aujourd'hui, selon ce qu'en dit Denis MacShane, c'est Tony Blair qui est décisivement rapproché de De Gaulle (avec le New Labour d'une façon générale, nous dit MacShane, Tony Blair est «le dernier gaulliste de l'Europe»). Sur quoi se fonde cette étonnante affirmation, qui en fera sourire plus d'un mais qui n'est pas si bête, qui est peut-être même plus intéressante encore que ne l'imagine MacShane, bref qui est autre chose qu'une déclaration promise à plaire à un électorat français (interview donnée au Figaro)? Tony Blair, nous dit MacShane, est «le dernier gaulliste» essentiellement parce qu'il veut conserver les États dans une Europe dont, par ailleurs, il appelle de tous ses voeux la constitution. Pas de contradiction entre cette volonté de faire l'Europe et cette volonté de conserver les États, selon MacShane; et, selon Blair, pas davantage (et, probablement, pas non plus de contradictions selon les Français, Jospin et Chirac, et cela, bien sûr, encore plus un an exactement avant les présidentielles). Il s'agit bel et bien, nous devons le comprendre entre les lignes, de “l'Europe des patries” qui était si chère au général.
Le 5 juin, lorsque MacShane fait cette déclaration sur la “gaullisme” du PM, Blair est assuré de sa victoire et de sa fonction de PM pour quatre nouvelles années. Sa victoire est confirmé le 7, et elle est historique (par son ampleur, par le fait d'un travailliste reconduit à son poste après un premier mandat). Voilà pourtant que toute la presse note l'air assez sombre, la gravité de Blair, le soir où il salue l'événement, devant Downing Street. La conclusion est évidente et nous pouvons alors comprendre ce qui se passe, et que personne ne devrait plus ignorer: au-delà de la victoire du 7 juin, c'est la campagne pour le référendum sur l'euro/l'Europe qui va être engagée, et qui est quasiment déjà engagée, et, celle-ci, loin d'être gagnée comme celle du 7 juin.
Voyons les choses différemment, d'ailleurs, de façon décisive: on peut, on doit avancer que la campagne électorale du 7 juin, gagnée d'avance, constituait réellement la première phase de la campagne sur l'euro/l'Europe, c'est-à-dire sur le Royaume-Uni dans l'Europe, entrant vraiment dans l'Europe. L'hystérie extraordinaire de Thatcher dans les derniers jours de la campagne a servi de révélateur, et même de détonateur à cet égard: Thatcher s'est mise à vitupérer à propos de l'euro/l'Europe, alors que jusqu'ici le sujet avait plutôt rencontré peu d'intérêt chez les citoyens-électeurs. Thatcher a mis le paquet, entraînant le pauvre Hague (président du parti conservateur) dans la déroute; cette déroute, justement, est l'effet de la division du parti conservateur ainsi mise à nu mais pas nécessairement du choix officiel du parti conservateur de ferrailler, derrière Thatcher, contre l'euro/l'Europe. Tout cela pour dire que, malgré le désastreux résultat des conservateurs qui s'opposaient bruyamment à toute idée européenne, l'affaire sera chaude lorsqu'on en viendra à l'euro/l'Europe.
Affaire chaude, mais importante, non, plus encore, — affaire fondamentale pour le Royaume-Uni et l'Europe. Pour cette raison, les élections du 7 juin sont encore plus importantes qu'on a dit. En un sens, Thatcher a rendu à Blair un signalé service; Thatcher exècre Blair depuis qu'elle juge qu'il l'a “trahie” (c'est-à-dire, qu'il a “trahi” sa politique) en lançant une politique de défense européenne (PESD), avec les Français, au sommet de Saint-Malo de décembre 1998; au cours de la campagne électorale avant le 7 juin, elle a posé la question européenne avec tant de brutalité qu'elle a fini par y intéresser à nouveau l'électorat, et, surtout, elle l'y a intéressé en mettant en évidence combien cette question européenne était liée de façon antagoniste aux liens transatlantiques (plus d'Europe, dit-elle, cela signifie tourner de le dos à l'Amérique). Par les temps qui court, où 28% de Britanniques approuvent ce que fait GW Bush (contre 62% aux USA), où les Britanniques dénoncent divers aspects de la politique US, lier d'une façon antagoniste les deux causes n'était pas la manoeuvre la plus habile.
Un autre aspect, et sans doute le plus important, est que la manoeuvre de Thatcher a poussé Blair dans une position européenne plus extrême que celle qu'il où il avait abouti après ses quatre années à Downing Street. L'enjeu en devient plus grand, plus “politique” sans aucun doute. Ainsi, la campagne qui s'ouvre au Royaume-Uni, pour l'euro, devient désormais, sans aucun doute, une campagne pour l'Europe. En conséquence, elle est également, peu ou prou, quoiqu'en veuillent les acteurs, une campagne pour ou contre les special relationships du Royaume-Uni et des États-Unis. En cela, la vieille Thatcher a raison, a contrario (c'est normal, elle n'a jamais été bonne politicienne qu'a contrario). Cela veut dire, allons plus loin, que la campagne pour l'Europe qui s'est ouverte à Londres le 7 juin concerne effectivement toute l'Europe, car, en filigrane, les Britanniques devront apprécier la nouvelle position britannique qui s'est peu à peu mise en place depuis Saint-Malo et le développement de la PESD.
Voilà où nous voulions en venir: le 7 juin est important en ce sens très gaullien (décidément, Blair ne cesse de l'être!) où nous avons vu s'achever une bataille, mais pas la guerre, que l'issue de celle-ci est bien plus indécise, qu'elle est bien plus importante. Au terme de cette guerre britannique sur l'Europe, en effet, se profile la seule question qui importe, qui est celle des rapports de l'Europe et des États-Unis, et qui passe par le Royaume-Uni. Voilà un raisonnement gaulliste...
Qui peut résumer aujourd'hui le dossier de la défense anti-missiles? Les récentes réunions de l'OTAN n'ont fait que rajouter confusion et contradiction à ce dossier déjà épais, contradictoire, insaisissable. Après que Colin Powell ait constaté, à Prague, que ses collègues les ministres des affaires étrangères de l'OTAN étaient loin d'applaudir à une initiative dont bon nombre d'entre eux se demandent, en plus, de quoi il s'agit, où elle en est et ce qu'elle signifie, Donald Rumsfeld est venu à l'OTAN, cette fois avec ses collègues de la défense des pays de l'OTAN, pour dire que les USA allaient aller vraiment très vite pour déployer les premiers éléments de la défense anti-missile. Cela confirme une première impression qui avait suivi le discours de GW Bush de fin avril (voir notre Semaine du 30 avril au 6 mai), à savoir que l'administration républicaine veut boucler les premiers éléments du système anti-missiles avant la fin de l'actuel mandat de GW Bush. (L'interprétation est confirmée par diverses indications selon lesquelles les principaux contractants du système, notamment Boeing et Raytheon, ont déjà établi des propositions concrètes qui sont examinées par le Pentagone selon un calendrier d'urgence.) Le lendemain des “explications” de Rumsfeld, des déclarations du sénateur Sam Levin sont venues encore compliquer le même dossier, en confirmant, de façon ferme et formelle, et plutôt menaçante, ce qu'on devinait déjà: Levin, président démocrate de la commission des forces armées du Sénat, annonce qu'il fera tout pour se battre contre «un système anti-missile qui n'a pas été entièrement expérimentée et jugé apte à l'emploi»; et c'est exactement le but des républicains de l'administration: déployer le système avant même que les expérimentations soient terminées, avant même qu'il marche. D'ailleurs, comment faire autrement si l'on veut déployer ce système avant 2004, puisqu'il n'est aujourd'hui nulle part, et qu'il ne sera évidemment pas prêt en 2004?
Résultat? Le NMS, ex-NMD, va constituer un énorme motif de bataille interne à Washington et un facteur considérable de division et de confusion de la stratégie américaines. On peut attendre la possibilité de crises majeures (par exemple, avec une dénonciation unilatérale, et par surprise, du traité ABM, par l'administration seule).
L'affaire s'engage de la pire des façons pour les relations transatlantiques: le système n'existe pas, les alliés vont pourtant être l'objet de pressions multiples pour s'y engager ou, dans tous les cas, le soutenir, mais ils ne feront que servir de pions dans la bataille politicienne de Washington.