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1237En ce début de semaine la grande affaire est restée la question de l'Irak mais on change de continent. Il s'agit des Allemands, du chancelier Schröder, en pleine bataille électorale (certains pensent : “en pleine déroute électorale”). Ce lundi 5 août, lors d'un grand meeting électoral, Schröder a fait un tour d'horizon du programme électoral du SPD. Une chose retient aussitôt l'attention : l'Irak. Schröder a décidé que la question irakienne serait au coeur de sa campagne électorale, et dans un sens bien clair : le refus de l'aventure.
« At the start of the “hot phase” of the general election campaign in Germany, Chancellor Schroeder told a large meeting in Hanover last Monday that he could “only warn against” launching a war on Iraq “without taking into account the consequences, and without a political concept for the whole of the Middle East”. “Whoever goes in there should know what they are getting into and what they want,” the chancellor said.
» This time there would be no German financial contribution in recompense for a lack of any military participation—as was the case in the first Gulf War in 1991. Germany is no longer the country in which the “cheque book” replaces politics, Schroeder stressed, and expressed his concern that “false priorities were being set in relation to the entire Middle East.” »
Ce qui est remarquable dans ces déclarations, c'est qu'elles vont bien plus loin que la simple abstention, la désapprobation, l'habituel “pas de soutien sans mandat de l'ONU”. Il y a une prise de position de politique étrangère, qui se décompose en deux points : le premier est que l'Allemagne n'a plus de carnet de chèques en guise de politique étrangère (allusion à la participation financière, — rien d'autre — de l'Allemagne en guise de “participation” à la Guerre du Golfe-I) ; le second est que cette nouvelle attitude conduit l'Allemagne à dire “pas question de soutien à l'aventure” que serait une attaque de l'Irak.
Fischer (ministre des affaires étrangères) et les “verts” sont à fond derrière un virage politique qui leur permet de retrouver, sans frais ni soupçon de personne, leur bon vieux pacifisme d'antan. Dans une interview au Süddeutsche Zeitung, le ministre des affaires étrangères juge qu'une attaque contre l'Irak implique « un risque grave et qu'on ne peut mesurer ». Il poursuit :
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« “The USA possess the military means to force a regime change in Iraq—but are the risks clear? And is it clear that this would involve a complete reorganization of the Middle East, not only militarily, but above all also politically?” This could mean the USA maintaining a presence in this region for many decades. “Whether the Americans are ready for this is an open question. If they withdrew their presence before time, then as direct neighbours of this region we Europeans would have to bear the fatal consequences.” »
Qui doute une seconde que cette initiative du chancelier Schröder, ses alliés verts suivant avec une secrète satisfaction (Fischer se retrouvant en accord avec sa jeunesse, voilà un bonheur rare pour un homme politique), — qui doute que cela constitue d'abord un tribut rendu aux sondages ? La coalition SPD-Verts était presque à la dérive avec un début de campagne assez catastrophique, les mauvais résultats économiques, un chômage inquiétant, etc. Aujourd'hui, l'on sait que le sentiment du bon peuple est hostile à la guerre. La coalition enfourche la monture glorieuse de la paix, du refus de l'aventure. Cela ne mérite pas le soupçon d'une seule hésitation.
Voilà pourquoi Schröder-Fischer se sont engagés dans cette affaire. C'est de la tambouille électorale. Mais l'argument n'est pas clos pour autant. Il reste que leur engagement est sérieux, — il faut cela pour convaincre l'électeur hésitant ou qui en a assez des SPD-Vert, il lui faut la conviction que l'engagement est sérieux. Cela signifie que, s'ils sont réélus, Schröder-Fischer auront bien du mal à se rétablir “dans la ligne du Parti”, à rentrer dans l'ordre américain. Et alors ?
Ce qui nous conduit à une autre hypothèse : leur prise de position électoraliste ne rencontre-t-elle pas une conviction discrètement tenue dissimulée ? Bien sûr que si. Nul n'ignore que, dans les chancelleries d'Europe occidentale, on partage des vues assez proches, un jugement catastrophé sur l'évolution de la politique américaine, sur cette folle fixation sur l'attaque de Irak. Les Britanniques n'y échappent pas et Tony Blair a bien du mal à faire croire à ses copains qu'il y croit vraiment. Tout le monde assure officiellement du contraire, du bout des lèvres et lèvres de plus en plus pincées. Mais voilà que la campagne électorale permet à ces Allemands de “parler vrai”, d'être en accord avec eux-mêmes. La nécessité fait parfois vertu.
Maintenant, tout cela s'est passé en Europe. Certes, c'est une affaire intérieure allemande mais c'est aussi une affaire européenne, une grande affaire de politique et de sécurité. Les grands débats de politique extérieure et de sécurité ayant déjà compté dans les débats électoraux allemands, — la crise des euromissiles à partir de 1979-80, la réunification de 1989 à 1992 — avaient une très forte implication intérieure. Ils touchaient directement les Allemands. Nous dirions alors que c'est la première fois depuis très, très longtemps que les Allemands envisagent dans un débat électoral une grande question de sécurité dont la dimension n'est pas celle de l'espace et de l'intérêt national. Que cela se fasse par le biais de la crainte d'une déroute électorale de la coalition au pouvoir ne fait que mettre un peu plus en évidence, d'une part la perversité décadente de nos moeurs électorales, d'autre part le poids et la constance de ce que le Général nommait « la force des choses ».
Faire cette remarque n'implique aucune crainte, ni aucune conclusion quant à la puissance montante éventuelle de l'Allemagne. Que les Allemands s'intéressent à la politique étrangère et de sécurité comme ils le font dans ce cas ne signifie nullement qu'ils s'affirment comme puissance dans ce domaine (ce qui est une de nos hantises favorites et à peine cachées). Les conditions sont bien ce qu'elles sont et c'est par raccroc, par nécessité indirecte, sans aucun dessein ni ambition que les Schröder-Fischer en sont venus à ces prises de position ; ils restent les représentants sans bavure du système politicien allemand dont il faut craindre tout, la médiocrité, la lâcheté, etc, mais certes pas le goût des grandes aventures qui ensanglanta l'Europe. Il n'empêche, même si c'est par inadvertance et sans y rien comprendre, ils ont levé le lièvre et affirmé en Europe une position d'opposition à l'aventurisme américain, et, dans des conditions telles qu'on peut regarder cette position allemande comme ce que devrait être une politique européenne. Cela a été fait, sans la moindre vertu de la part de ceux qui l'ont fait, et cela reste désormais comme une sorte de jurisprudence d'une politique qu'on se désespère d'attendre.
Ne parlons pas des autres, Français et Britanniques notamment. A force d'être habiles et machiavéliques, entre leurs positions de force et leurs manoeuvres diplomatiques, entre leurs affirmations débridées et soi-disant tactique d'allégeance (Blair avec GW) et leurs affirmations mesurées d'indépendance (les Français par habitude), ils se tiennent en réserve d'on ne sait quoi, disons en réserve du temps qui va et vient. Leurs politiques nationales compliquées ou mesurées selon leurs traditions ont étouffé en eux toute possibilité de s'affirmer dans cette crise comme des inspirateurs d'une politique européenne. Les Allemands ont pris le relais, par inadvertance et sans la moindre arrière-pensée. C'est ainsi que se fait l'Europe, — car on a l'Europe qu'on peut et l'Europe est notre miroir.