Semaine du 6 au 12 mai 2002

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Avec l'assassinat de Pim Fortuyn, qui a perdu son innocence ?

L'assassinat de Pim Fortuyn, le 6 mai, est un choc terrible pour les Pays-Bas (« Les Pays-Bas ont perdu leur innocence », titre le journal Volkstrant). C'est aussi un choc pour l'Europe, venant après d'autres chocs qui se succèdent, dont on connaît la litanie, qui vont de Heider à Le Pen. L'assassinat de Fortuyn est un choc d'autant plus fort qu'il n'est pas isolé pour les Pays-Bas, après la victoire électorale surprise, à Amsterdam en mars, de ce même Fortuyn contre les partis traditionnels ; après la démission, le 17 avril, du gouvernement Wim Kok, à la suite d'un scandale particulièrement douloureux (la publication du rapport sur le massacre de Srebrenica) puisqu'il met en cause la probité, la loyauté et l'honnêteté de représentants de l'État néerlandais, généraux et ministres. Le Guardian introduit cette idée d'un choc général pour l'Europe dans un style tragique, qu'on peut juger justifié tant c'est effectivement tout le continent qui semble entraîné dans une énorme déstabilisation, tandis que la puissance américaine qui est l'autre référence de nos conceptions est elle-même agitée par une politique extrémiste.

« Where there was harmony, now there is discord. Where there was faith, now there is doubt. Where tranquillity was the national norm, a new anxiety stalks the land. In Holland, that byword for flat, tedious stability, politics has grown hot and turbulent. As if the mass resignation of its government last month was not enough, now the Netherlands is contemplating the fallout from its first political assassination since the 17th century. And, as with so many ideological killings, the aftershocks are rippling out beyond Holland - touching all Europe, even affecting the continent's place in the wider world. »

L'affaire hollandaise, qui est une crise, est particulièrement importante et dramatique à la fois, peut-être plus que l'affaire de l'élection présidentielle en France. La France n'est pas réputée pour être une terre de stabilité. Son histoire politique est traversée d'orages, de révoltes, de remises en cause. La situation française est indicatrice, souvent de manière outrancière, des tensions d'une époque. Sa durée comme plus vieille nation européenne indique bien que son instabilité est rattrapée par une solidité considérable de ses fondements. Les Pays-Bas, c'est autre chose : un modèle de stabilité, de placidité même pourrait-on dire, et l'exemple convenue des partisans de l'ordre et du conformisme politique, si possible tendance anglo-saxonne. Que ce pays soit touché par des remous si considérables est une indication extrêmement inquiétante de l'état général des pays de l'ensemble euro-atlantique, cet ensemble qui doit en principe, selon les conceptions répandues et officiellement célébrées, servir à la fois de guide et de référence au développement de notre époque.


La chute du Crusader, le début de la guerre (bureaucratique) pour Donald Rumsfeld

Le 8 mai, le secrétaire à la défense Rumsfeld annonce l'abandon du programme Crusader. Il s'agit d'un howitzer, une pièce d'artillerie auto-tractée de 155mm qui devait assurer le rééquipement de l'U.S. Army en artillerie lourde. La décision d'abandon est prise après divers incidents qui ont marqué la tension sous-jacente existante dans cette affaire et, d'une façon plus générale, au Pentagone. (Le Crusader est un programme de $11 milliards, qui fut réinstallé dans la programmation Bush après avoir été réduit à un poste insignifiant sur la fin de la programmation Clinton.)

Mis à part les aspects techniques de cette affaire, la décision de Rumsfeld constitue aux yeux de beaucoup d'observateurs une décision chargée de symboles, qui marque la volonté du secrétaire américain à la défense de lancer la grande réforme du Pentagone dont il est fait si souvent état depuis l'arrivée de l'administration GW Bush, au début de 2001. Le Crusader semblait un programme invincible, d'une part parce que c'était le programme central de la modernisation de l'U.S. Army pour l'heure, d'autre part parce qu'il semblait disposer d'un appui politique considérable à cause de ses origines. (Le système est produit par United Defense Industrie, qui appartient au Carlysle Group. Ce groupe a des actionnaires dont l'influence au sein du parti républicain et de l'administration GW Bush est considérable. Le principal d'entre eux, de ce point de vue, est évidement GW Bush, ancien président et père de l'actuel président GW Bush.) La décision de Rumsfeld marque le commencement d'une grande bataille bureaucratique et politique, aussi bien pour le Pentagone en général que pour le programme Crusader lui-même, pas encore enterré et que le Congrès pourrait bien tenter de relancer. Le New York Times du 9 mai écrit :

« Many military experts and Pentagon officials said the fight over the Crusader will be closely watched as a sign of Mr. Rumsfeld's ability to impose his vision for a new military on a hidebound Pentagon. ''He can request Congress to kill it, but it's up to Congress to do it,'' said David Baker, a retired Air Force general who is now managing director of Schwabb's Washington Research Group. ''And it's not going to be easy.'' »


L'attentat de Karachi et la nécessaire définition d'une politique française post-9/11

Un attentat à Karachi tue une onze Français, coopérants de la DCN (Direction de la Construction Navale) qui travaillaient à la production de sous-marins pour le Pakistan. L'attentat est immédiatement lié, dans les hypothèses privilégiées, aux réseaux Al Qaïda. D'autres hypothèses sont faites sur les buts recherchés par les auteurs de l'attentat, qui peuvent aussi bien concerner la présence française au Pakistan, et la France elle-même, que le Pakistan et son effort d'armement. Comme c'est de coutume dans cette sorte d'actes, surtout dans la période actuelle et compte tenu des conditions où l'acte a été commis, il est très difficile d'avancer des appréciations claires et assurées. Aussi n'est-ce pas, pour l'instant, l'essentiel dans cette affaire. Il y a d'autres enseignements, plus immédiats.

• L'attentat de Karachi rappelle que le terrorisme continue à exister, — le terrorisme au sens classique, l'acte ponctuel de terreur, sans avertissement, dans un environnement qui semble contrôlé et où peu de choses laissent prévoir un tel acte. Cela semblait devoir être oublié dans le désordre des problèmes stratégiques et politiques nés du 11 septembre, tant avec la politique américaine qu'avec la crise israélo-palestinienne, où le terrorisme est un acteur finalement secondaire, subi ou manipulé par les uns et les autres pour des effets politiques directs et à plus long terme. L'attentat de Karachi rappelle encore que la lutte contre le terrorisme est une oeuvre de longue haleine, qui se fait dans la discrétion, dans l'enquête laborieuse et minutieuse, le contraire de ce qu'on fait depuis le 11 septembre.

• L'attentat de Karachi donne à la France une occasion, qui est presque une nécessité, de définir sa politique dans la grande crise ouverte le 11 septembre. Bloquée par la cohabitation et l'immobilisme interne en attendant l'élection présidentielle, la France était restée en retrait et n'avait pas dessiné la moindre politique structurée. Bien entendu, que cet attentat ait lieu à 72 heures après l'élection du président de la République, constitue un argument supplémentaire pour une telle interprétation. Le nouveau président français (l'ancien reconduit) doit définir une politique française dans la crise post-9/11, qui soit autre chose que les condamnations convenues du terrorisme et des attentats ; l'attentat de Karachi lui en donne l'occasion en même temps qu'il lui en fait obligation.