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Le coup d'État manqué contre Hugo Chavez mérite beaucoup d'attention. C'est la première opération sérieuse de cette sorte depuis la fin de la Guerre froide, — sérieuse signifiant pour nous : où les Américains sont évidemment impliqués, même s'ils le sont avec les techniques de dissimulation d'usage. C'est, de façon encore plus remarquable, la première opération sérieuse de cette sorte à échouer de cette façon, aussi complètement, et, dirait-on en manière de commentaire, aussi piteusement.
Il nous paraît important d'examiner les conditions du coup et du contre-coup, car elles sont pleines d'enseignement. Pour cela, nous faisons largement appel à un article de Gregory Wilpert, un universitaire américain travaillant à Caracas, qui a déjà beaucoup publié sur le pays. Wilpert livre une version optimiste du point de vue du président Hugo Chavez du coup/contre-coup, contrairement à d'autres analyses, par exemple celle du site WSWS. Tout en étant radicalement hostile aux forces putschistes et à leur soutien US, WSWS estime que le coup n'a été qu'une répétition avant la prochaine poussée qui mettra Chavez à bas ; celui-ci n'est d'ailleurs pas épargné par WSWS, qui montre par là les pesanteurs doctrinaires des analystes d'orientation trotskyste. Chavez apparaît, dans cette analyste, comme un faux-réformateur, qui fait le lit d'une extrême-droite qui servira les intérêts de Washington. WSWS affirme qu'il y a eu des précédents, notamment au Chili, avant le coup d'État de septembre 1973.
« The history of US-backed military coups in Latin America is replete with false starts, like this past weekend’s events in Caracas. An armed uprising that failed preceded the September 1973 military coup that brought down the Popular Unity government of Salvador Allende and inaugurated General Augusto Pinochet’s reign of terror against the Chilean working class. That abortive action, just like the recent move against Chavez, showed how vulnerable the government was to a coup. It also provided a dress rehearsal for a real confrontation with the masses and allowed the principal figures in the military to determine which units could be relied upon and which could not. »
Notre appréciation est pourtant que la comparaison ne vaut guère. Le coup de Caracas n'était nullement un essai. Tous les actes et toutes les structures d'un nouveau régime furent développés et mis en place, l'époque était propice pour la chute de Chavez (effet sur le prix du brut, manipulation de l'OPEP), l'affaire avait été manifestement lancée pour réussir et éliminer le président vénézuelien. Le retournement opéré dans les quatre jours (11-14 avril) chez les putschistes est un événement majeur qui modifie la situation au Venezuela en la rendant plus complexe et moins manipulable pour les anti-Chavez.
Wilpert livre une analyse différente de celle de WSWS en observant que le contre-coup est, du point de vue des réformistes anti-US sur le continent, une très heureuse surprise. Il montre que le Venezuela est beaucoup plus capable de résister aux pressions “impérialistes”, que c'est autre chose qu'une simple « banana-oil republic » de plus. Au contraire de montrer la faiblesse du gouvernement Chavez et des forces qui le soutiennent (thèse de WSWS), le coup/contre-coup a montré la solidité de la position de Chavez (thèse de Wilpert).
L'intérêt essentiel de l'analyse de Wilpert est ce qu'il nous dit des causes de l'échec du coup. Son analyse est extrêmement plausible parce qu'elle s'appuie sur la faiblesse générale reconnue du camp soutenu par les Américains, et inspiré des sentiments américains en général. D'autre part, cette analyse de Wilpert rencontre d'une façon générale une attitude américaine systématique : il s'agit de la surévaluation de leurs propres capacités par les Américains, appuyées par un sentiment générale d'arrogance (de hubris, pour reprendre le terme grec généralement utilisé par les Américains eux-mêmes). Cette arrogance conduit en général à sous-estimer les facteurs humains, psychologiques et sociaux, très complexes et difficilement maîtrisables, au profit des facteurs de force, des facteurs mécaniques, etc. Ceux qui montrent cette arrogance sont conduits à accepter leurs propres arguments pour l'analyse de la situation, c'est-à-dire, d'une façon générale, leur propre propagande. Quelques extraits du texte de Wilpert vont effectivement dans ce sens.
« The coup leaders against President Chavez made two fundamental miscalculations. First, they started having delusions of grandeur, believing that the support for their coup was so complete that they could simply ignore the other members of their coup coalition and place only their own in the new government.
(...)
»
unpopular in the population and among the military and that no one except Cuba and Colombia's guerilla, the FARC, would regret Chavez' departure. Following the initial shock and demoralization which the coup caused among Chavez-supporters, this second miscalculation led to major upheavals and riots in Caracas' sprawling slums, which make up nearly half of the city. In practically all of the ''barrios'' of Caracas spontaneous demonstrations and ''cacerolazos'' (pot-banging) broke out on April 13 and 14. The police immediately rushed-in to suppress these expressions of discontent and somewhere between 10 and 40 people were killed in these clashes with the police. Then, in the early afternoon, purely by word-of-mouth and the use of cell phones (Venezuela has one of
the highest per capita rates of cell phone use in the world), a demonstration in support of Chavez was called at the Miraflores presidential palace. By 6 PM about 100,000 people had gathered in the streets surrounding the presidential palace. At approximately the same time, the paratrooper battalion, to which Chavez used to belong, decided to remain loyal to Chavez and took over the presidential palace. Next, as the awareness of the extent of Chavez' support spread, major battalions in the interior of Venezuela began siding with Chavez.
(...)
» So how could this be? How could such an impeccably planned and smoothly
executed coup fall apart in almost exactly 48 hours? [...] Very important, though, was that the coup planners seem to have believed their own propaganda: that Chavez was an extremely unpopular leader. What they seem to have forgotten is that Chavez was not a fluke, a phenomenon that appeared in Venezuela as a result of political chaos, as some analysts seem to believe. Rather, Chavez' movement has its roots in
a long history of Venezuelan community and leftist organizing. Also, it seems quite likely that although many people were unhappy with Chavez' lack of rapid progress in implementing the reforms he promised, he was still the most popular politician in the country.< »
Rumsfeld et GW Bush tiennent pour essentielles les nominations de nouveaux chefs militaires dont il a été fait état pour la première fois ce 10 avril. Plusieurs articles annoncent la nouvelle, en mettant en évidence l'annonce de la nomination du général James Jones, actuel chef d'état-major du Marine Corps, pour le poste de commandant en chef suprême en Europe, à la fois pour les forces américaines (CINCEUR) et pour les forces alliées dépendant de l'OTAN (SACEUR).
La nomination d'un Marine au poste de SACEUR est une première. Ce poste a la plupart du temps été donné à un général de l'armée de terre, à commencer par Eisenhower, qui fut en 1950 le premier SACEUR. Plus rarement, le poste de SACEUR a été donné à l'USAF (en 1956, au général Norstadt et, depuis 2000, au général Ralston, que Jones va remplacer). Cette fois, la provenance du nouveau SACEUR a une réelle importance, et plus encore à la lumière des derniers événements en Afghanistan, où les Marines se sont montrés beaucoup plus efficaces, beaucoup plus rapides que l'U.S. Army, elle-même extrêmement lourde et maladroite.
Jones est partout annoncé comme un réformateur, qui devrait restructurer l'engagement des forces américaines en Europe, dans le sens d'un allégement et d'une réduction. Sa nomination est considérée au Pentagone comme « un acte essentiel de réforme » de la part de Donald Rumsfeld. En plus, ce Marine est un Marine atypique, le contraire de l'image habituelle du Marine : diplomate plutôt que rigide, très ouvert sur l'extérieur, avec une origine presque à moitié française (né à Villefranche, toute sa jeunesse passée en France, parlant couramment le français).
Ce commentaire de The Independent sur la nomination de Jones situe l'éclairage qu'il faut donner à celle-ci :
» General Jones, raised in France and a fluent French speaker, has a reputation as an innovative soldier. As Marines commandant, he leads the service most used for far-flung interventions and peacekeeping missions – which Pentagon planners believe will be the shape of warfare to come. The arrival of a Marine general in Brussels may foreshadow a scaling-back of fixed US Army bases in Europe, most of them installed to counter a vanished Soviet threat. Such steps have been hinted at on several occasions by the Pentagon since Mr Rumsfeld took office in January 2001. »