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4 août 2002 — Gardons la phrase, elle dit tout : « It's getting nasty » (cité dans un texte du site Capitol Hill Blue). Divers textes nous indiquent que la tension monte au coeur du pouvoir, à Washington (voir notamment celui du Telegraph de Londres, ou un autre du Washington Post). Les oppositions à propos de la guerre en Irak s'exacerbent à Washington. Elles pourraient paraître paradoxales à certains, avec des positions à contre-emploi, opposant les militaires adversaires de la guerre et les (des) civils partisans acharnés de la guerre :
• D'un côté, les chefs militaires semble-t-il, dans tous les cas la majorité d'entre eux (avec un soutien épisodique de Colin Powell). Cette majorité est opposée à une attaque contre l'Irak dans les conditions jugées risquées qu'envisage le pouvoir civil. Cette opposition prend ces derniers temps des aspects radicaux, avec des confrontations ouvertes avec le pouvoir civil au Pentagone. On mesure la tension à la forme des “fuites” enregistrées aujourd'hui, notamment à propos des adversaires civils des militaires. Les allusions à leur manque d'expérience militaire, c'est-à-dire à ce qui est présenté comme leur “couardise” face à leurs obligations militaires in illo tempore, sont aujourd'hui monnaie courante. C'est ce que signale notamment Justin Raimundo, dans sa chronique du 2 août:
« Sending American kids off on suicide missions is especially galling coming from those who are popularly known as ''chicken-hawks'' – the largely civilian advocates of a war of conquest in the Middle East who never served a day in the military. As columnist Jack Mabley of the Chicago Daily Herald puts it: “Many of the people in position to make war have never fought one.”
» With Bush and Cheney topping the list, virtually the entire government is without military experience: this includes not only the White House staff – chief of staff Andrew Card, political advisor Karl Rove, super-hawks Paul Wolfowitz and Richard Perle – but also most of Bush's War Cabinet. Congress is similarly AWOL. Out of 535 members of Congress, only 167 served in the active, guard or reserve forces: 7 Senators served in World War II, 4 Republicans, 3 Democrats, and 9 members of the House of Representatives: 8 Republicans and a lone Democrat. »
• D'un autre côté, les “ultra-hawks”, parmi lesquels les neo-cons et leurs proches : Wolfowitz, Perle, Cheney, Rumsfeld, etc, sans compter GW lui-même. De leur côté, les arguments se sont également durcis, et ils traitent ouvertement les chefs militaires de « couards ».
Ces querelles de personne sont très importantes. Elles contribuent à alourdir le climat et à rendre les contacts entre les deux clans de plus en plus difficiles. Par exemple, les rapports de Rumsfeld avec les chefs militaires sont très difficiles (notamment, rapports impossibles avec le chef d'état-major de l'U.S. Army, Eric Shinseki) ; ils l'étaient déjà en temps normal, ils le sont encore bien plus dans cette période de tension. Rumsfeld a déjà renvoyé trois fois des plans d'attaque en Irak des militaires, en demandant autre chose, qui conviennent mieux aux intentions politiques de l'administration. Ces interventions sont extrêmement marquées par le soupçon, les chefs militaires étant implicitement accusés de présenter des plans avec des moyens et des effectifs impossibles à réunir aujourd'hui, pour empêcher de facto une attaque ; les civils étant accusés par les militaires de l'inverse (réclamer des plans militaires très risqués pour pouvoir faire l'attaque à l'intérieur des effectifs disponibles, quitte à laisser la responsabilité d'un échec possible aux militaires). (Comme l'écrit Raimundo à propos de l'option dite “n°3”, d'une attaque avec 250.000 hommes : « The Pentagon is for plan number three. The hawks oppose this because it seems to be a self-canceling proposition. »)
Un cas est peu évoqué dans la presse US mais il nous paraît significatif. Des sources très fiables indiquent que le général Myers, président du JCS, est, au coeur de ce JCS, un des plus farouches opposants à la guerre. Ce point est important pour deux choses :
• Myers est l'homme de Rumsfeld et de GW, choisi par eux à l'été 2001 pour réformer la bureaucratie du DoD. Voilà que Myers se trouve contre ses patrons. Cela mesure l'intensité de la bataille.
• Myers est un général de l'USAF, alors que la direction de l'USAF semble la seule certitude d'une certaine “dissidence à l'intérieur de la dissidence” (le seul service qui serait assez favorable à la guerre, peut-être avec le Marine Corps mais pour ce dernier les informations divergent). Cela nous conduit à penser qu'il y a là une opposition d'hommes. Myers est un général très bureaucrate, très proche de la bureaucratie du DoD. John Bumper, l'actuel CEM de l'USAF, vient du commandement européen. C'est lui qui a dirigé l'offensive aérienne contre le Kosovo. Bumper y a gagné une réputation du Mad John, d'un général type-LeMay, envisageant aussi bien « to get Serbia back to the Stone Age ». Cette querelle d'hommes se greffe sur la querelle de tendances à l'intérieur de l'USAF, avec ceux qui, autour de Bumper, estiment que l'USAF a tout à gagner d'une attaque sur l'Irak ; l'USAF s'y taillerait la part du lion à cause de l'emploi massif de la puissance aérienne dans les scénarios envisagés, ce qui ouvrirait la voie à une prépondérance de ce service et au choix de nouvelles technologies (comme les systèmes de véhicules sans pilotes, UAV/UCAV).
L'affrontement militaires-civils à Washington a de fortes chances de s'aggraver parce qu'il se nourrit en plus d'un très grave problème dont personne (sauf les chefs militaires, indirectement) ne veut parler : l'insuffisance des capacités, des effectifs et des moyens des forces armées américaines. La querelle autour de la guerre contre l'Irak n'est qu'une manifestation de cette crise beaucoup plus générale et complètement structurelle.