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5195 octobre 2009 — Le choix de Brésil comme pays-hôte et organisateur des Jeux Olympiques de 2016 a constitué un événement politique bien autant qu’un événement sportif. La chose, cette confusion entre deux domaines en théorie différents, est devenue monnaie courante dans un monde marqué par la puissance de la communication. Cette fois, elle l’est encore plus, autant à cause des circonstances qu’à cause des protagonistes de cette affaire.
D’une façon générale, le triomphe brésilien a été célébré comme l’accession du Brésil au rang de grande puissance («We have left behind being a second-rate country to become a first-rate one. Respect is good and we are happy to receive it», dit Lula, présent à Copenhague pour le choix des JO de 2016, et qui a fait un discours passionné en faveur de son pays). Mais cette analyse est surtout envisagée du point de vue économique, selon les critères économiques habituels alors que ces critères sont complètement bouleversés par la crise économique du 15 septembre 2008 et par les autres crises; qu’importe, ils continuent à être utilisés par les commentateurs comme référence. Les Brésiliens eux-mêmes n’évitent pas ce travers. D’autre part, il s’agit d’un “travers” d’importance annexe, puisque les événements, eux, ne s’embarrassent guère des références d’un système en cours d’effondrement et s’attachent plutôt à fixer les nouvelles références d’un monde en plein bouleversement.
Quoi qu’il en soit, voici donc, un article parmi d’autres, comment le Guardian analyse les effets de dette décision sur le Brésil… Dans son édition du 4 octobre 2009, avec quelques extraits du texte:
«Minutes after Rio de Janeiro was announced on Friday as the venue for the 2016 Olympics, the South American city's sprightly 39-year-old mayor, Eduardo Paes, logged on to his Twitter account and summed up the feelings of all of Rio's six million residents. “Our city deserves this present,” he trumpeted. “Viva Rio”.
»Across Brazil, even in the remote towns of the Amazon rainforest, the same sentiment was being expressed. For Brazilians this was a victory that both Rio and Brazil richly merited – not simply because South America has never hosted the Games before, nor because Rio's residents, weary of violent crime and the city's crumbling infrastructure, were in need of a distraction from their often difficult day-to-day lives.
»Above all, they say, this victory was deserved because, for Brazilians, winning the race to host the 2016 Olympics was confirmation that their country was at last acquiring a swagger and an influence beyond the football pitch, which Pele and so many others have graced with distinction. “It is difficult to believe that a third world country has reached this point,” declared Brazil's president, Luiz Inácio Lula da Silva, after the decision was announced, with his tongue firmly in his cheek.
»“We have left behind being a second-rate country to become a first-rate one. Respect is good and we are happy to receive it,” he added. Brazil, as President Lula has frequently commented of late, is living through a “special moment”. Rising exports, a commodities price boom and the government's investment in social policies have helped millions of impoverished Brazilians rise from poverty since the leftwing leader came to power in 2003. The IMF says that Brazil, and other countries in the region, have weathered the global financial crisis “rather well”. […]
»Diplomatically, too, Brazil, a member of the G20, which has eclipsed the power of the G8, is starting to flex its increasingly toned muscles. During a recent meeting with foreign correspondents in Rio, the foreign minister, Celso Amorim, said: “Obviously, Brazil was always one of the world's biggest countries in terms of size and population. Today Brazil is one of the biggest and most stable economies. Our currency is one of the most stable on earth. Our democracy is totally consolidated… Today, I think, we have an international attitude which corresponds to our true greatness.”
»Much of this new “attitude” is down to President Lula, who has led the way for a number of increasingly prominent South American presidents who are helping to put the so-called "forgotten continent" back on the map. Recent years have seen Lula, a one-time shoeshine boy and firebrand union leader, transformed into a respected international statesman who is now considered a future contender for the presidency of the World Bank and was recently referred to as “my man” by US President Barack Obama as a result of his continued domestic popularity. “At this moment… what is happening again in the world is that there is no longer one single owner of the truth,” Lula told his weekly radio show Breakfast with the President, after last month's G20 meeting.»
Comme on voit, un commentaire qui salue une puissante émergente dans l’ordre économique mondial, mais une émergence qui n’est pas destiné à bouleverser cet ordre. Au contraire, dit ce texte en substance, cette puissance s’y insérerait en en respectant les règles, donc, objectivement, en renforçant l’ordre en question. Certes, cela se ferait au détriment de quelques autres, et, surtout, d’un autre auquel tout le monde pense et qui est le grand vaincu de ce choix des JO 2016. Lula a beau être “my man”, selon le mot d’Obama, il n’en est pas moins objectivement une sorte de concurrent féroce des USA, autant par son ambition de figurer comme une puissance autonome cherchant ses appuis ailleurs que dans la zone d’influence US (démarche avec la France), que par son influence encore grandie par son évolution actuelle sur le continent sud-américain jusqu’à il y a peu “arrière-cour” de la puissance US. Ce n’est pas seulement une circonstance fortuite, mais bien un événement sportif devenu symbolique, et donc politique, si le choix du Brésil a été précédé de l’échec piteux de Chicago dont Obama était venu spécialement soutenir la candidature à Copenhague.
Au reste, les commentateurs US ont bien compris l’événement dans ce sens. Steve Clemons, pourtant favorable à Obama, dit brièvement ceci dans un premier commentaire (avant le choix du Brésil), le 2 octobre 2009: «The International Olympic Committee has just voted that Chicago has been eliminated from consideration as the 2016 host for the Olympic Games. An end to the Obama effect?» Le Washington Times, du 3 octobre 2009: «President Obama's failed Olympic gambit Friday was a blow to his image on the world stage and a very public humbling experience for a man who has grown unaccustomed to losing élections.» Pour l’instant, c’est Obama qui est en cause, mais Obama, qu’on le veuille ou non, c’est l’Amérique… Par conséquent, l’Amérique sort réduite de cet affrontement, et avec elle l’ordre qu’elle représente, notamment économique; et il reste dans les esprits, même si ce n’est qu’une interprétation symbolique, que c’est le Brésil qui lui a porté ce coup, et qui a donc porté un coup au système général, y compris économique, de l’américanisme.
On notera également, pour poursuivre en élargissant le sujet, cette information, venue en parallèle, par Novosti le 2 octobre 2009, sans rapport direct apparent: «Les pays du BRIC souhaitent participer à la prise de décisions sur la gestion des ressources accumulées dans le cadre des Nouveaux accords d'emprunt (NAE) du Fonds monétaire international (FMI), a annoncé vendredi un membre de la délégation russe participant à une conférence financière à Istanbul.» Pendant que le Brésil fêtait ses JO, les pays du BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), en effet, se réunissaient samedi…
C’est dans cette optique que nous allons développer notre commentaire sur le choix du Brésil pour les JO de 2016. Les commentaires à tendance financière et économique qu’on a cités parlent du G20, du E7 ou G7 (les quatre du BRIC, plus l’Indonésie, le Mexique et la Turquie), des groupes pour l’instant cantonnés à l’économie ou bien parlant politique à l’occasion (le G20) mais sans réelle unité possible. Nous allons surtout parler du BRIC, parce que ce rassemblement économique commence sans aucun doute à manifester des attitudes volontaristes qui, même si elles s’exercent encore sur plan économique, ont déjà une réelle substance politique. C’est cela qui nous intéresse.
Où en sera le BRIC en 2016, lorsque Rio accueillera les JO? Drôle de question, qui mérite d’être précédée de bien d’autres, beaucoup plus immédiates, beaucoup plus pressantes. Ces questions plus pressantes vont surtout dans le sens d’accorder au BRIC une importance grandissante, qui joue nécessairement un rôle dans cette ascension du Brésil. La déclaration russe sur la volonté du BRIC de jouer un rôle au FMI en tant que tel est moins intéressante pour le rôle annoncé, ou réclamé, que parce que ce rôle est présenté comme étant celui du BRIC en tant que tel. C’est aussi du BRIC que Lula a parlé aux Français lors des entretiens du 6 septembre, à propos des marchés militaires entre la France et le Brésil, et surtout de l’affaire du Rafale. C’est surtout le BRIC que Lula considère comme un instrument collectif important, et cet avis est aussi celui des autres membres – le moins assuré à cet égard étant l’Inde, mais tout de même dans un processus d’évolution vers la position majoritaire.
(Nous laissons de côté de ce point de vue, par choix d’analyse, la question de la situation de l’Amérique du Sud, qui change également du fait de la situation du Brésil. Mais cette question doit également rester à l’esprit, dans le même sens que l’analyse du destin du BRIC.)
La “victoire” du Brésil pour les JO de 2016 est incontestablement un fait politique, et elle est considérée comme bien aussi importante parce que c’est le Brésil qui est choisi alors que certains envisageaient comme assurée la victoire de Chicago, puisque Obama arrivait sur l’aile du vent. En marge de la réunion de Copenhague, dans l’enthousiasme plein de samba des Brésiliens, un diplomate brésilien disait: «C’est aussi un pays du BRIC qui a été choisi, et, à cette lumière, la défaite des USA, qui n’aiment vraiment pas le BRIC, prend une toute autre signification, absolument politique.»
De ce point de vue et dans les circonstances qu’on décrit, ce choix du Brésil pour les JO de 2016 est inscrit dans une logique qui se développe sous nos yeux. Il s’agit des grands réalignements en cours depuis quelques années, avec l’accomplissement et l’officialisation de l’échec US en Irak avec l’échec électoral des républicains US en novembre 2006, avec la crise financière déclenchée à partir d’un effondrement décisif du système de l’américanisme, et qui se poursuit aujourd’hui en crise économique (9,8% de chômeurs fin septembre 2009, c’est-à-dire près de 20% réels, ou un Américain sur 5 sans travail). Le grand événement signalé ici n’est nullement 2016, et les JO qui auront lieu cette année-là au Brésil, et l’état du Brésil alors, mais bien entendu octobre 2009, et ce jour où le Brésil a été choisi pour les JO alors que Chicago, USA, était rejeté dans l’infamie d’une élimination avant même d’avoir figuré, cela sous le regard infiniment triste de Barack Hussein Obama.
Si l’on fait cette différence entre octobre 2009 et 2016 pour les JO de Rio, pour nous attacher à la situation d’octobre 2009 à la lumière du choix des JO de 2016, c’est parce qu’il nous semble bien improbable et bien aventureux de nous attacher à ce que sera la situation de 2016, en général comme celle du Brésil en particulier. Le seul fait de la décision d’octobre 2009 modifie la situation du Brésil dans l’immédiat, pour son poids politique, et celle du BRIC également pour l’effet général et organisé au niveau international. Ce fait même modifie la dynamique politique générale, bien avant qu’il puisse être question d’une façon sérieuse de 2016, et rend caducs les prévisions conformistes (économiques) qu’on fait, en octobre 2009, à propos du Brésil de 2016. D’ici là, bien des crises auront bouleversé la situation générale et l’on ne peut alors se contenter de prévoir, à partir d’octobre 2009, la situation du Brésil en 2016 comme une nouvelle grande puissance d’ores et déjà installée.
Ce que nous voulons signifier est qu’une décision comme celle de Copenhague ne modifie pas seulement le sort du Brésil mais porte un coup de plus à l’ordre chancelant du monde, notamment pour ce que nous pouvons en prévoir, en modifiant le statut du Brésil et en renforçant la probabilité d’une dynamique nouvelle au sein du BRIC, en la “politisant” incontestablement. Il importe peu, ici, de considérer que les pays du BRIC n’ont guère d’unité géographique, éventuellement guère d’unité politique au départ, éventuellement guère d’unité culturelle, etc., comme ne manquent pas de le faire les experts classiques du système, plus ou moins économistes, plus ou moins géopoliticiens – et, en général, pour se rassurer. Il s’agit d’un affrontement global comme chacun sait (la globalisation, certes), où les lignes de partage ne sont pas de type classique mais de type systémique, et se marquant par l’influence et la communication. De ce point de vue, le Brésil se renforce, renforce l’Amérique du Sud et renforce ce “bloc” objectivement conduit à s’opposer à l’ordre anglo-saxon et américaniste en déliquescence qu’est le BRIC.
Bien – et ajoutons aussitôt que certains pays devront en tenir compte pour évoluer, ou poursuivre leur évolution – et, mieux encore, bien comprendre ce que signifie leur évolution. On pense naturellement à la France, qui a une condition naturelle pour cette sorte d’évolution mais paraît moins assurée pour en faire l’évaluation; un pays nettement “du dedans” (dans le système actuel en déliquescence) qui a la caractéristique étonnante d’être également, encore plus nettement, “du dehors” (en dehors du système); un pays qui, par sa nature structurante autant que par sa politique naturelle, a la caractéristique étonnante d’être le contestataire le plus féroce de cette dynamique déstructurante dont il est tout de même partie. Inutile d’ajouter qu’en considérant le choix de Rio pour les JO de 2016 à cette lumière d’où le BRIC n’est pas absent, on doit également songer aux liens en cours d’élaboration entre la France et le Brésil d’une part, entre la France et la Russie d’autre part.