Simulacre d’anniversaire du simulacre

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Simulacre d’anniversaire du simulacre

12 septembre 2022 (15H15) – L’anniversaire de l’attaque du 11 septembre 2001 est passé, hier, “comme une lettre à la poste”, sans beaucoup de monde pour ouvrir le courrier. Jusqu’alors, on faisait survivre une sorte de consensus national américaniste (et occidentaliste en arrière-plan de soutien), ou d’obligation de concentration nationale avec une sorte de thème supposé faire resurgir l’unité nationale perdue, et qu’on aurait une fois de plus intitulé (le thème) pour cette occasion bien difficile : “Malheur & Grandeur de l’Amérique”...

Ce thème est peut-être usé jusqu’à la corde, mais on aurait pu espérer qu’il susciterait à nouveau des élans magnifiques, à défaut de cette indifférence tout à fait extraordinaire pour qui à connu l’atmosphère fiévreuse des semaines qui suivirent le 11-septembre, – le vrai, veux-je dire, quelque arrangement qu’on ait pris avec l’exactitude des faits, – mais je parle ici, finalement, du symbolisme et de l’emportement exaltée de la psychologie, pas des complots et autres “false flags” d’opérette...
“Malheur” parce que des volontés mauvaises et détestables portèrent un coup en traître à des USA nécessairement innocents ;
“Grandeur” parce que la Nation se rassembla en un bloc héroïque qui exsuda, qu’on s’en souvienne encore, le ‘Patriot Act’ et la ‘Guerre contre la Terreur’ (ou GWOT, pour ‘Great War On Terror’).

Las ! Tout cela semble bien fini dans les affrontements intérieurs pleins de haine qui déchirent à belles dents l’unité nationale en Amérique et dans le monde adjacent par conséquent. Désormais, après l’immense raclée symbolique de la fuite de Kaboul, la politiqueSystème s’est hystériquement tournée, comme le 7ème de Cavalerie arrivant à temps pour sauver le camp retranché d’une psychologie aux abois, vers l’anathème antirusse et la vertu retrouvée de l’Occident humaniste, dans le chef de la cause de la défense de la vertueuse et démocratique Ukraine entretenue par les bons soins du bloc-BAO depuis le coup d’État absolument démocratique de février 2014, à Kiev, au Maidan de mon cœur.

Non, hier 11-septembre, bien plus que du souvenir de ce jour terrible de 2001 il était question d’une percée “décisive” des forces ukrainiennes dans la région de Kharkov, sous l’œil du Secrétaire d’État Blinken (USA) en visite à Kiev, et de la ministre des affaires étrangères Brodbeck Baerbock (Allemagne) qui lui succéda le jour d’après, et entre deux coups de fil de Zelenski, notamment un à Macron (France). Dès lors, il ne fit plus de doute que l’offensive n’était pas du chef de l’Ukraine, mais bien de celui de l’OTAN. Est-ce pour autant la promesse d’une heure de gloire sur ce nouveau théâtre des ambitions néoconservatrices ? On verra et l’on doutera encore plus, car plus les informations font leur chemin dans la jungle touffue de la désinformation et de la narrative, plus l’on comprend qu’il vaut mieux garder pour plus tard des qualificatifs comme “décisif” lorsqu'il s'agit de l'ivresse américaniste-occidentaliste.

Quoi qu’il en soit, eh bien, cela est dit : on ne fêta guère le 11-septembre pour ce qu’il fut depuis 2001, et le commentateur Scott Ritter ne fut pas sans le remarquer.

« L'année dernière, les États-Unis et le monde entier ont célébré le 20e anniversaire des attentats du 11 septembre. Ce qui a rendu cette date plus importante que le simple passage du temps, c’est qu’elle était pertinente, – l’anniversaire-2021 de l’événement marquant l’entrée de l'Amérique dans ce qui allait devenir la “guerre mondiale contre le terrorisme” s’est produit moins d'un mois après la retraite ignominieuse de l'Amérique d'Afghanistan. L’évacuation de Kaboul en août 2021 a été le dernier acte d'un drame qui a duré deux décennies et qui a vu la vision d'un “New American Century” développée par une élite néoconservatrice américaine, qui cherchait à exploiter l'horreur du 11 septembre en en faisant un catalyseur de la domination mondiale, se dissoudre sur le roc de la réalité géopolitique, et finalement s’envoler comme du sable dans une tempête que cette élite avait elle-même provoquée.

» L'Amérique qui a émergé du désastre politique de 20 ans qu’a été la “guerre contre le terrorisme” (composée de plusieurs conflits distincts, dont l’Afghanistan et, peut-être surtout, l’Irak) a été châtiée et humiliée, mais nullement vaincue ni rendue plus humble. Il existe une dichotomie entre la réalité géopolitique dans laquelle les États-Unis se sont retrouvés après 20 ans de négligence mondiale, alors qu’ils gaspillaient le sang, le trésor et la réputation de la nation dans les déserts et les montagnes du Moyen-Orient, et l’arrogance narcissique d’une élite dirigeante américaine incapable et/ou non désireuse de reconnaître les dommages qu’elle a causés au projet américain originel, et donc d’annuler son utilité collective qu’elle aurait pu retrouver dans l’élaboration de stratégies diplomatiques, économiques et de sécurité appropriées pour le redressement. »

L’occasion, observe donc Ritter, aurait été bonne pour que l’Amérique songeât à se retourner sur cette période extraordinaire et extravagante d’une puissance déchaînée allant de catastrophe en catastrophe. Elle aurait trouvé matière à grave réflexion sur ce chemin parcouru, et sur l’effet obtenu, aussi bien et particulièrement à l’intérieur d’elle-même.. Je veux dire à l’intérieur de cette immense puissance figée dans un affrontement de haines incroyables dont nul ne peut plus croire qu’elles puissent jamais s’apaiser dans l’esprit d’une concorde retrouvée tant bien que mal, dont on se demande même si vraiment elle existât jamais, dont on croirait presque qu’elle fut la matrice invisible et diabolique de ce mirage de la modernité qu’on nomma ‘American Dream’.

De tout cela, il ne fut pas question hier, 11 septembre 2022, puisqu’on se trouve désormais emporté dans des chimères extraordinaires, qui semblent dépasser en folie les exploits précédents, avec l’idée d’un affrontement direct avec la Russie. C’est une autre et piètre façon d’éviter de s’observer soi-même, dans l’état où l’on se trouve après une telle période de troubles semés à l’extérieur à la poursuite d’un chaos dont on attend qu’enfin surgisse l’ordre hégémonique tant attendu comme récompense suprême. Les commentateurs “sérieux” et “réalistes” font leur compte et nous disent qu’une fois de plus l’Amérique l’emporte dans cette affaire ‘Ukrisis’ et met l’Europe ivre de soumission dans sa poche en l’envoyant dans une crise dont elle, l’Amérique, tirera bénéfice : calculs d’épicier, tout cela !

Au contraire, nous sommes collectivement liés les uns aux autres, dans le destin catastrophique de cette civilisation emportée par l’ivresse des drogues infernales. Passons outre les calculs d’épicier pour en venir à l’essentiel : nous sommes passés d’une chimère l’autre et de mal en pis, comme fascinés par la perspective de l’autodestruction qui achèverait parfaitement cette mise en chaos universel... C’est cela que Ritter nomme « cette nouvelle réalité », non ?

« Le 11 septembre de 20 ans plus 1 après est le premier anniversaire de cette nouvelle réalité.

» Contrairement à un anniversaire de mariage, où les mariés sont conscients de la date initiale et des résultats ultérieurs qui sont célébrés, l'incapacité de la collectivité américaine, – le peuple, ses dirigeants et les médias grand public, – à s’engager dans une réflexion factuelle et sans émotion sur la situation au moment du 20e anniversaire du 11 septembre, sur la façon dont ils en sont arrivés là et sur la direction qu’ils prennent, signifie qu’ils ne parviennent pas à saisir le fait qu’ils marquent le premier anniversaire d’une réalité post-11 septembre, qu’ils semblent largement ignorer.

» Après 20 ans d’errance dans le désert géopolitique du Moyen-Orient et de l'Asie centrale, l’Amérique est apparue comme une nation beaucoup plus faible, – militairement, économiquement et diplomatiquement. Cet affaiblissement a été aggravé par le fait que, tandis que l'Amérique était engagée dans son acte d'auto-immolation depuis deux décennies, le reste du monde ne faisait pas du sur-place, mais allait plutôt de l'avant, construisant ses propres capacités qui, bien que n’étant pas nécessairement conçues pour affronter les États-Unis, les mettaient dans une position bien plus avantageuse si le moment était venu de le faire. »

Devant un tel paysage désolé, il ne reste plus à Scott Ritter qu’à entonner le refrain fameux que tous les esprits loyaux répètent sans autres sentiments que la tristesse désespérée, le découragement épuisant, le fatalisme inévitable devant cette machinerie impitoyable qui les emporte tous et nous emporte tous : “Pleure, ô mon pays bien-aimé ”...

« Le leadership américain a toujours reposé sur la prémisse que le modèle américain de gouvernance démocratique contribuait à produire la force sociale, économique et militaire sur laquelle les États-Unis s'appuyaient pour affronter les forces du mal dans le monde.

» Ce modèle n’existe plus, en grande partie à cause de la façon dont l'Amérique s'est comportée au cours des vingt premières années qui ont suivi les attentats du 11 septembre.

» Après 20 ans et un an de plus, les États-Unis sont confrontés à la réalité de ce qu’ils ont provoqué, en Ukraine, dans le Pacifique, au Moyen-Orient, en Afrique, en Asie... et chez eux. Semer le vent, dit la Bible, c’est récolter la tempête. »

... Alors, pour éviter d’être décoiffés, les États-Unis, flanqués des domestiques européens habituels, ont mis en place la stratégie hollywoodienne de l’excellence créative, dite stratégie-‘Métavers’, sous l’impulsion suggestive de l’excellent jeune homme, gendre idéal, qui dirige l’ancien ‘Facebook’ relooké en ‘Méta’ et habillé d’une narrative séduisante. Il s’agit de l’aventure ukrainienne, sous le nom d’‘Ukrisis’, où le bloc-BAO s’est engagé pour le combat suprême, prêt à lutter jusqu’au bout, jusqu’à la victoire, jusqu’au “dernier des Mohicans”. Jamais les maîtres, eux-mêmes esclaves d’une logique de la politiqueSystème à laquelle ils ne comprennent strictement rien, ne se sont trouvés si près de leurs ‘proxies’ jusqu’à presque se confondre avec eux, donc aussi près de l’ennemi proclamé qu’ils défient fort imprudemment, donc bien proches de l’abîme qu’ils creusent en chantant.

... Alors (suite et fin), pour terminer, il reste à égrener des déclarations et des messages de ce genre, qui nous conduisent aux confins de notre ‘Métavers’, dans les effets des ressources infinies de nos constructions transcendantales. Après tout, ce tweet venu d’on ne sait où, repris par Karpov sur sa chaîne-‘Telegram’, qui pourrait aussi bien avoir été conçu par Karpov lui-même, où l’on dit ce que le ministre des affaires étrangères de Lituanie a imaginé comme initiative diplomatique audacieuse, pour mettre fin à tout ce gâchis et qu’enfin les gens sérieux puissent prendre la parole :

« Lithuanian Foreign Minister urged Putin to surrender unconditionnaly. » (23:42 11 Sep 22)

Et ainsi la messe fut-elle dite, oh vous braves enfants du Bon-Dieu...