Simulacre hypersonique

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Simulacre hypersonique

• Devant les parlementaires interdits (ou sourds et indifférent ?), un expert du renseignement (DIA) décrit les positions respectives des Chinois et des Russes dans le domaine de l’hypersonique. • Comme si la “course aux armements” se faisaient entre eux (Russes et Chinois) alors qu’ils sont amis et alliés... • Et les USA observent cette situation sans noter qu’eux-mêmes ne sont nulle part d’une façon sérieuse, comme paralysés, comme fascinés par le simulacre de leur fausse puissance que leur renvoie le miroir de leur exceptionnalisme.

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Tel que nous le percevons sous la forme qui nous est présentée, ce dont nous voulons parler offre un spectacle peu banal. Il s’agit d’un haut fonctionnaire du renseignement (la DIA, l’agence du Pentagone) déposant au Congrès, comparant les capacités en missiles hypersoniques de la Chine et de la Russie.

On sait que l’hypersonique est aujourd’hui la clef des interventions de destruction de précision, tant tactiques que stratégiques. Avant-hier, la Russie a tiré autour de 80 missiles contre l’Ukraine-Zelenskistan, dont six ‘Kinzhal’ hypersoniques. Bien entendu, aucun des 6 n’a été touché et tous ont atteint leurs objectifs, et le chef de la défense aérienne ukrainienne a observé qu’il ne disposait d’aucune capacité d’interception d’un missile hypersonique, à peu près comme tous les pays du monde (sauf peut-être la Russie qui travaille dans ce domaine de la défense aérienne).

Ainsi, ce qui était stupéfiant au Congrès avant-hier, c’était d’entendre Paul Freisthler parler de la pseudo-“course-aux-armements” entre la Chine et la Russie, dans le domaine-roi des hypersoniques, pour savoir qui était en tête ; et ces remarques dans le chef d’un officier de renseignement de ces USA qui en sont à peine à quelques premiers essais d’un modèle hypersonique, donc avec de 5 à 10 ans de retard sur les deux complices chinois-russes.

En quelques mots... :

« La Chine dépasse la Russie en termes de développement de ses capacités en matière de missiles hypersoniques et pourrait déjà avoir les moyens de frapper les forces de Washington dans le Pacifique, a déclaré vendredi un haut responsable de la défense aux législateurs américains. Les États-Unis ne disposent pas actuellement de leur propre missile hypersonique pleinement opérationnel. »

Maintenant, développons quelques précisions à propos d’une situation où les analystes de la DIA laissent entendre rien de moins que la destruction assurée de la Flotte du Pacifique de l’US Navy en cas de conflit avec la Chine, – disons, comme entrée en matière (pour le conflit)... Du côté russe, on est déjà au travail, on acquiert une expérience opérationnelle directe en Ukraine...

« Lors de son témoignage devant la sous-commission des forces stratégiques de la Chambre des représentants, Paul Freisthler, responsable scientifique pour la science et la technologie à la Defense Intelligence Agency (DIA), a comparé les capacités hypersoniques des deux principaux concurrents de Washington.

» Freisthler a déclaré que “si la Chine et la Russie ont toutes deux mené avec succès de nombreux essais d'armes hypersoniques et ont probablement mis en service des systèmes opérationnels, la Chine devance la Russie à la fois en termes d'infrastructures de soutien et de nombre de systèmes”.

» Au cours des deux dernières décennies, a-t-il poursuivi, Pékin “a fait progresser de manière spectaculaire” le développement des technologies des missiles hypersoniques grâce à des efforts “intenses et ciblés” en matière d'investissement, de développement, d'essai et de déploiement. Cela vaut aussi bien pour les missiles conventionnels que pour les missiles nucléaires, a-t-il ajouté.

» La Chine a effectué un certain nombre d'essais hypersoniques, dont un impliquant le missile balistique à moyenne portée DF-17, a indiqué Freisthler. Ce système est équipé d'un véhicule planeur hypersonique et a une portée estimée à au moins 1 600 km, ce qui lui permet d'atteindre les forces militaires américaines dans le Pacifique occidental. Le DF-17 pourrait avoir été mis en service dès 2020, a suggéré le fonctionnaire. »

Ensuite, quelques précisions sur les capacités et l’inventaire de l’arsenal hypersonique de la Russie, – qui utilise cette technologie en Ukraine avec le ‘Kinzhal’, et sans compter comme on l’a vu ; sur les capacités de l’hypersonique, que l’on connaît depuis le discours de Poutine de mars 2018 ; puis enfin ce consternant constat pour ce qui concerne les USA :

« Si, ces dernières années, la Russie et la Chine ont progressé dans le développement des technologies hypersoniques, les États-Unis sont généralement considérés comme étant à la traîne, car ils n'ont pas encore mis en service une arme de ce type qui soit pleinement opérationnelle. »

Nous sommes hors-course et hors-jeu

Étrange spectacle puisque tout se passe comme si les USA étaient effectivement hors-course et hors-jeu dans ce domaine de l’hyperpuissance, alors qu’ils ne cessent de se dire la plus grande puissance de l’histoire, indépassable en toutes les choses de la force, exceptionnalisme à la fois justifié par l’inculpabilité et assuré par l’indéfectibilité... Comme nous écrivions dans un texte du 7 mai 2018 à propos de l’absence extraordinaire de réaction des USA devant cette énorme percée stratégique et technologique des Russes et des Chinois, ces caractéristiques psychologiques agissent effectivement, disons comme une drogue massive créant un simulacre absolument infranchissable :

« Outre le trait de l’inculpabilité qui est le sentiment de l’absence à terme et décisivement de culpabilité de l’américanisme quelle que soit son action, il y a également le caractère de l’indéfectibilité, complément du précédent, qui est la certitude de ne pouvoir être battu dans tout ce qui figure conflit et affrontement. »

Nous avions déjà largement réagi à propos de ce retard pris par les États-Unis sur leurs deux grands “concurrents” devenus depuis des adversaires incontestables. Nous avions évoqué des précédents où les USA, pris par surprise ou précipités dans l’urgence, lançaient des “crash programs” pour fabriquer un nouvel armement, – que ce soit justifié ou pas (le ‘Manhattan Project’ de 1942-1945 pour fabriquer une bombe atomique, le “missile gap” de 1958-1962 pour fabriquer des missiles stratégiques ICBM), – dans plusieurs textes, le 11 mars 2018, le 22 mars 2018, celui déjà cité du 7 mai 2018, etc.

... Et nous nous retrouvons, cinq ans plus tard, sans que rien de décisif n’ait été fait pour tenter de combler un tel retard, aucun programme spécial, aucun effort décisif. Il faut comprendre les priorités, à la fin ! Aujourd’hui, les “crash programs” concernent les obus de 152mm et les projectiles de HIMARS pour le Zelenskistan, et puis les F-35 en production massive pour les amis, – et rien à faire de l’hypersonique !

Nous remettons sur le métier une partie d’un commentaire que nous donnions il y a exactement cinq ans, assurés alors que les chefs militaires US confirmaient cette avance phénoménale des Russes (discours de Poutine du début mars 2018) et des Chinois, que les USA allaient réagir dans la plus extrême urgence... Constatant aujourd’hui, cinq ans plus tard, qu’il n’en a rien été et que le développement des hypersoniques suit le train-train habituel de l’immense usine à gaz du Pentagone plongée dans la besogne à plein temps de compter et de recompter son colossal budget, officiellement de plus de $800 milliards, officieusement largement autour des $1 500-$2 000 milliards et quelques bricoles...

Note de PhG-Bis : « Les “experts” des plateaux-TV européens n’ont toujours pas compris que l’énormité du budget du Pentagone est une mesure de son impuissance et de sa paralysie, chaque poignée de $milliards en plus ne faisant qu’accroître (“croissance vide”) le gaspillage, la corruption, la redondance, l’incompétence et l’aveuglement, et cela depuis des années... »

Cette absence de réaction à la mesure de l’événement que constitue l’avance prise par les Russes et les Chinois signale une situation tout à fait différente, un basculement dans l’illusion et dans le simulacre par rapport à ce qu’était le Pentagone e le Complexe Militaro-Industriel dans les premières décennies de leur création, – disons jusqu’ux années1980, et certainement au tournant du siècle, avec l’attaque 9/11 qui a fait complètement sortir le monstre de la réalité, de sa vérité-de-situation.

Du 22 mars 2018... : “C’est pas d’jeu”

« Ce qu’il y a de plus remarquable dans l’exposé de cette position des USA, avec la reconnaissance du retard considérable pris dans le domaine de l’hypersonique, c’est bien entendu l’extrême irresponsabilité, l’absence presque complète de planification pour une capacité de développement de l’outil stratégique et nucléaire, notamment dans les domaines nouveaux les plus révolutionnaires et les plus déstabilisants, et stratégiquement les plus novateurs (l’hypersonique). Pour bien apprécier cette situation, il faut savoir d’où l’on vient et réaliser l’état de l’esprit des “stratèges” de “la plus grande superpuissance de tous les temps”... Il faut tout de même se rappeler qu’il y a douze ans s’était brièvement développé un débat public où la question posée était de savoir si la supériorité stratégique US n’allait pas déboucher sur une capacité de première frappe de décapitation, laissant l’adversaire (la Russie essentiellement) hors de capacité de riposter.

... Il s’agissait d’un débat autour d’un article du numéro de mars-avril 2006 de Foreign Affairs, — “The Rise of U.S. Nuclear Primacy”, de Keir A. Lieber et Daryl G. Press, que nous présentions de cette façon avant d’en débattre :

“La thèse de l’article est que les circonstances technologiques, politiques et opérationnelles font que les Etats-Unis disposent aujourd’hui d’une supériorité nucléaire qui leur permettrait, si nécessaire (on est prudent), d’envisager une première frappe (“first strike”) nucléaire stratégique contre ses deux principaux adversaires, Russie et Chine (et les autres a fortiori, imagine-t-on pour les auteurs).

 (Le Summary de l’article [dit ceci] : “Pendant quatre décennies, les relations entre les puissances nucléaires majeures ont été bâties sur leur vulnérabilité commune, une situation connue sous le nom de ‘Destruction Mutuelle Assurée’ [‘Mutual Assured Destruction’, ou MAD]. Mais avec l’arsenal US se renforçant rapidement alors que celui de la Russie s’est désintégré et que celui de la Chine reste faible, l’ère de MAD touche à sa fin, – et l’ère de la suprématie nucléaire US a commencé.”)”

...Nous sommes bien loin, si loin de ces rêveries qui mariaient les mannes du Général Curtiss LeMay et du Dr. Strangelove, adaptées aux conceptions régnant alors dans les esprits exacerbés des “stratèges” US, – que nous avions alors baptisées ‘virtualisme’ :

“...Karl Rove, chef de la communication de GW Bush, disant à Ron Suskind à l’été 2002 : ‘Nous sommes un empire maintenant et quand nous agissons nous créons notre propre réalité. Et alors que vous étudierez cette réalité, – judicieusement, si vous voulez, – nous agirons de nouveau, créant d’autres nouvelles réalités, que vous pourrez à nouveau étudier, et c’est ainsi que continuerons les choses. Nous sommes [les créateurs] de l’histoire... Et vous, vous tous, il ne vous restera qu’à étudier ce que nous avons [créé].’”

Encore plus que la question d’abord surgie après le discours de Poutine (comment les USA ont-ils laissé la Russie [et la Chine] prendre cette avance sans l’identifier et sans prendre les mesures nécessaires ?), se pose aujourd’hui la question de ce qu’on jugerait être une sorte de paralysie des USA, de leur puissance militaire, de leurs chefs, de leurs stratèges. L’audition de Hyten laisse une impression d’absence de conviction, d’incompréhension de la situation avec quelques maigrelettes exhortations sans beaucoup d’espoir d’une mobilisation technologique et psychologique pour “relever le défi”, voire plus décisivement une impression de fatalisme. (Des phrases avec cette remarques incluses ne laissent pas beaucoup d’espoir : “Je préconise, comme je le fais depuis 30 ans...”)

Il nous paraît assez bien concevable que cette paralysie de la psychologie, impliquant d’un côté une incapacité de comprendre pour ses propres forces l’évolution technologique, les domaines à explorer, les modifications à apporter, aussi bien que d’un autre côté l’incapacité non seulement d’exactement apprécier mais de seulement envisager le redressement de la Russie et le développement de la puissance chinois, – tout cela est d’abord explicable par cet état surréaliste de la psychologie américaniste perdue dans un hybris absolument inimaginable, dans sa puissance et dans sa capacité de modifier jusqu’à la tordre et jusqu’à la transmuter la perception du monde.

Le suprémacisme et l’exceptionnalisme de l’américanisme relèvent évidemment de la pathologie, et accroissent d’une façon tragique pour les USA une gestion, un gaspillage et une corruption formidables aussi bien de la bureaucratie que du technologisme. Le résultat, c’est cet incroyable renversement d’une “pensée” qui se jugeait entrer en 2006 dans l’ère de sa supériorité assez grande pour envisager une attaque nucléaire de première frappe, et qui se réduit aujourd’hui aux explications complètement vides et aux gémissements du grand chef de StratCom... Que dire de ce général Hyten sinon qu’il ressemble à ce petit enfant geignant parce qu’il est battu : ‘C’est pas d’jeu...’ ? »

Mis en ligne le 12 mars 2023 à 16H50