Simulacre & postmodernité au combat

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Simulacre & postmodernité au combat

25 septembre 2017 – Un couple de jeunes gens de ma famille m’a confié pour une lecture qui devrait m’intéresser, Vent glacial sur Sarajevo, de Guillaume Ancel (Belles-Lettres, mai 2017). L’auteur est un ancien saint-cyrien, ancien officier de l’armée française (jusqu’en 2005). Affecté dans les années 1990 à la Force d’Action Rapide, il fut détaché dans plusieurs opérations de l’ONU, notamment à Sarajevo en 1995-1997. C’est de ce dernier épisode que j’extrais un passage dont je vous recommande la lecture, ci-dessous.

J’y suis tombé par hasard, dans un premier feuilletage ultra-rapide du livre, p.150-151, et j’ai retrouvé l’extrait sur la page du site Belles-Lettres consacré au livre. Le hasard est un compagnon de très bonne compagnie, qui doit avoir des consignes précises.

Ancel est en position à l’aéroport de Sarajevo et c’est là où la scène se passe. Pour votre gouverne et parce que je suis absolument inculte des connaissances de salon et des consignes de l'université, sachez que j’ignore qui est le philosophe Bernard Michel ; que je suis allé sur Wikipédia et n’ai trouvé au grade de “philosophe” (“philosophe de la danse”), un monsieur Michel Bernard avec une biographie qui correspondrait bien ; supposant ainsi qu’il pouvait y avoir confusion par inversion nom-prénom d’autant plus aisée qu’en tout état de cause le nom est un prénom ; ou bien enfin s'agit-il vraiment de Bernard Michel, mais alors c'est un historien avec tout de même l'indice que sa spécialité est l'Europe Centrale où l'on peut évidemment fourrer l'ex-Yougoslavie ... Qu’importe tout cela, il pourrait tout aussi bien s’agir de Michel-Bernard Lévy ou de Bernard-Michel Lévy, qui sait. De toutes les façons, il s’agit des mêmes mœurs et des mêmes coutumes sous l'empire du simulacre et de la communication.

Extrait, donc, du livre de Guillaume Ancel, vendredi 5 mai 1995 sur l’aéroport de Sarajevo :

« Animation inhabituelle sur le tarmac, un nuage de photographes entourent deux hommes descendus d’un jet qui n’est pas aux couleurs de l’ONU. Du toit du terminal, je prends mes jumelles pour essayer de reconnaître ces personnalités qui attirent autant d’attention, je suis surpris de constater qu’il ne s’agit pas d’hommes politiques mais du philosophe Bernard Michel, accompagné d’un homme qui pourrait être son double.

» Crochy avait entendu parler d’un voyage pour montrer son engagement dans le conflit bosniaque. J’observe avec curiosité ce cortège animé qui entre dans le terminal, sous nos pieds, et ressort par le parking. Des blindés canadiens les attendent avec une escorte militaire. Mais au lieu d’embarquer dans les véhicules, un conciliabule se forme, le groupe frémit. J’imagine sans peine que plusieurs personnes avertissent le philosophe de la tension qui règne dans la capitale assiégée et de leur enthousiasme limité à l’idée de s’y rendre.

» Finalement personne ne monte dans les véhicules et le cortège se déplace à pied à l’intérieur du parking jusqu’à un mur de sacs de sable. Le groupe ondule comme une vague, puis se fend en deux pour laisser Bernard Michel et son compagnon venir s’installer au pied du mur.

» J’ai d’abord du mal à comprendre ce qu’ils font : on étend une bâche sur laquelle ils s’allongent avec des postures étranges, comme s’ils se protégeaient de tirs intenses, de dangers multiples et immédiats. Du groupe, qui leur fait face, sortent plusieurs cameramen. Ils se déplacent en crabe autour de leurs sujets qui modifient leurs poses, non sans une certaine grâce. Des assistants retirent avec empressement un véhicule du champ des caméras et camouflent le panneau indiquant qu’il s’agit du parking de l’aéroport. Les vedettes, allongées sur le sol, se tournent, se retournent, se contorsionnent puis se hissent délicatement sur leurs coudes pour dialoguer dans le vide. Sur le côté de la scène improvisée, des soldats canadiens observent avec un air résigné, en fumant une cigarette.

» Le tournage se poursuit une petite heure puis quelqu’un décide qu’il a assez duré. Bernard Michel et son compagnon peuvent enfin se relever. La troupe range, se mélange, se congratule et prend le chemin inverse pour traverser le terminal. Sans plus attendre leur avion redécolle de Sarajevo.

» Plus tard, j’apercevrai quelques images de ce reportage saisissant : le philosophe et son acolyte affrontant la mitraille dans une ville en guerre. »

... Également extrait rapide et sympa récupéré du même site Belles-Lettres, du même aéroport de Sarajevo, p.145-146, du 21 avril 1995 ; Ancel et ses hommes soudain sous le tir de snipers ; prennent leurs dispositions pour riposter, avec des snipers de la Légion puis, après information, attendent l’autorisation d’ouvrir le feu du PC-ops du bataillon. L’ordre arrive, tel que, pour nous montrer que 9/11 et la suite étaient préparés de longue date, question psychologie & simulacre :

– Disney 02, vos ordres sont : ripostez-sans-tirer, je répète, ripostez-sans-tirer. »