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14 août 2002 — Des signes commencent à paraître convaincants d'un changement d'humeur à Washington, jusqu'à nous faire considérer une situation plus ouverte où l'hypothèse de la possibilité d'un tournant politique a sa place. On veut parler d'une modification, d'un changement du poids de l'opinion washingtonienne par rapport à la perspective de la guerre contre l'Irak. La résistance aux projets de guerre se renforce. Des voix importantes et influentes se font entendre. Le malaise grandit, et même les hawks, et même les super-hawks, comme on le sait bien, ressentent cela.
Mais il y a plus. On signale ici une chronique de Justin Raimundo, polémiste de la droite isolationniste et libertarienne, de cette tendance américaine farouchement anti-interventionniste et anti-guerre. Dans cette chronique du 12 août, Raimundo salue les prises de position de Dick Armey, le leader républicain de la Chambre qui s'est prononcé nettement contre la guerre. Armey, un républicain du Texas, peut être dit également de tendance libertarienne (tendance prônant un centralisme minimal). L'intervention de Armey est aussi explicable par le fait qu'il ne se représente pas cet automne (ce qui en dit long sur les pesanteurs actuelles du système, empêchant, dans le cours normal de la vie politique, de tels avis d'être rendus publics par prudence politicienne). Sa déclaration est néanmoins dévastatrice. Armey a des phrases significatives, qui vont plus loin qu'une prise de position politique, qui implique un engagement plus idéologique. (« I don't believe that America will justifiably make an unprovoked attack on another nation. It would not be consistent with what we have been as a nation or what we should be as a nation. »)
Il y a certains autres signes d'une évolution de tendance idéologique dans la droite américaine par rapport à la perspective d'une guerre en Irak. On en verra un dans le fait que la National Review, de tendance de la droite radicale (chrétienne) jusqu'ici radicalement belliciste, accueille dans ses colonnes, une plaidoirie contre la guerre, d'un libertarien du CATO Institute, Doug Bandow.
Raimundo adopte une forme d'analyse nettement idéologique, mais par rapport à la bataille idéologique qui existe en Amérique depuis les origines, et qui est généralement ignorée des Européens qui lui préfèrent une représentation mythique de l'Amérique. (Cette bataille idéologique résumée par ce mot de Gore Vidal dans ses mémoires, Palimpsest, lorsqu'il observe les affrontements importés d'Europe dans les USA des années 1930 et 1940, opposant les tendances socialistes : « Je pensais que ces affrontements féroces entre Staliniens et Trotskistes n'avaient rien à voir avec ce pays où la véritable division historique est entre Hamilton et Jefferson, et j'étais du côté de Jefferson ».)
« The retiring House leader is not an Armey of one: among the doubters are Senators Richard Lugar and Chuck Hagel. Both are wary of Bush's various invasion plans, and are opting for measures short of war. Perhaps they are impressed, as the civilian leadership of the Pentagon is not, with the determined opposition of our top generals. A war of retribution against Al Qaeda and the Taliban – yes, the military can get behind that. But a war of conquest in the Middle East, the occupation of Iraq and the seizure of the Saudi oil fields? No, they are saying, loud and clear – and many on Capitol Hill are beginning to listen.
» The post-cold war Jeffersonian tendencies of many Republicans may not have been entirely repressed by 9/11. This is reflected not only in Armey's trenchant analysis of the Iraq question, but in his sidelining of the totalitarian TIPS program. Imagine if Clinton had proposed a national network of neighborhood snitches reporting directly to the government! That a Republican President has done so frightens a lot of people who didn't vote for Gore, or for Nader, either. Let's hope they regain their voice – before it's too late. If they do, it may well be in reaction to the unbridled extremism of the War Party, which has lately become so drunk with the prospect of bloodshed that they have been upping the ante to far beyond what any reasonable person can support. »
Tenons-nous en à ce constat prudent d'une réelle tendance à une évolution de fond de l'opinion engagée à Washington, sans tirer de conclusion sur ses effets. Ce sera néanmoins pour remarquer combien, aussitôt, l'argumentation dépasse la question de la guerre elle-même pour rapidement devenir idéologique, combien elle conduit aussitôt à un déchirement à l'intérieur des classements habituels (ici, à l'intérieur de la droite).
Effectivement, les positions ont été tellement exacerbées, par la tension artificielle de la fausse-Grande Guerre contre la Terreur, par la surenchère des bellicistes dont l'argumentation est effectivement proche d'une ivresse de l'hystérie, par la frustration de ceux qui se sont jugés, par prudence ou par habileté tactique, forcés à ne rien dire, — il existe alors une situation pour un débat intérieur qui est proche d'être explosive. Si le parti anti-guerre se rassemble et fait effectivement reculer l'argument belliciste, il trouvera en face de lui des gens qui ne sont pas prêts au compromis, même tactique. Il y a quatre jours, publiant un portrait de Donald Rumsfeld qui est l'un des piliers de la tendance belliciste, le Financial Times concluait que « [the growing]opposition at home and abroad appears to have done little to rein in the defence secretary. Mr Korb argues that “Rumsfeld is at the stage of life where he just doesn't give a damn. Because of that, he's willing to opine on anything.” »
Ces divers éléments indiquent que, si l'actuelle évolution se poursuit et s'accentue, c'est vers une situation de grande tension intérieure à Washington que nous nous dirigeons. De même qu'il paraît de moins en moins facile pour l'administration de lancer une guerre sans des débats public déstabilisants qui peuvent déboucher sur un large mouvement anti-guerre, de même il apparaît extrêmement difficile que cette administration, qui a tout, absolument tout misé sur cette guerre, en abandonne sans autre forme de procès la perspective sous la pression d'un tel mouvement, parce que cet abandon serait aussitôt perçu comme un désaveu insupportable de toute sa politique. Dans l'un et l'autre cas, nous débouchons sur des tensions fortes.
Alors ? Alors, c'est ce qu'on nomme une situation de crise.