Situations et perspectives afghanes

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La situation en Afghanistan est aujourd’hui reléguée au second rang des préoccupations, sur une ligne des “crises as usual”, d’ores et déjà rodées dans l’habitude du désordre, des contradictions et des erreurs. (Le premier rang est occupé par la Libye, le Pakistan, tel ou tel incident type-DSK, etc.) Il est possible, bien entendu, et au gré d’un incident ou l’autre, que l’Afghanistan revienne au premier rang des crises, par exemple à l’occasion d’une brusque et spectaculaire aggravation de la situation.

En effet, si l’on fait cette hypothèse d’une “aggravation”, c’est qu’il n’en reste pas moins que la situation continue à suivre une ligne générale de désagrégation, à peine couverte par le brouhaha du système de la communication. On trouve dans cet article du Russe Andreï Fediachine, de l’agence Novosti, ce 31 mai 2011, quelques indications diverses de cette désagrégation. Nous en prenons un extrait.

«Fin mai, la province de Nurestân, située à l’est de l’Afghanistan et possédant une frontière commune avec le Pakistan, est devenue, en fait, une “république des talibans”: un territoire indépendant de l’OTAN et du gouvernement de Kaboul, avec le drapeau blanc de l’Emirat Islamique (désignation officielle du régime des talibans) hissé au-dessus de nombreux districts de la province.

»Les forces de l’OTAN se sont retirées de cette région quelques mois auparavant. Les autorités locales ont pris la fuite, les écoles ont été fermées et la charia réintroduite. La province est déjà administrée par Jamil Rahman, “gouverneur” nommé par le “cabinet fantôme” des talibans. La vie a repris son cours d’avant 2001.

»Depuis le Nurestân, le pouvoir des talibans s’étend progressivement à la province voisine du Kounar et menace de déferler sur le Laghmân, situé juste au sud. Le “haut responsable” du Kounar, nommé par les talibans, est Qari Ziaur Rahman, dont l’élimination avait été rendue publique dès 2010, mais qui a ensuite contacté la presse pour annoncer qu’il était bien vivant. Cet homme a affirmé qu’"en Afghanistan, toutes les défaites commencent par le Kounar." Ce n'est peut être qu’une simple bravade d’un chef de guerre, mais il convient de rappeler qu’en effet, en 1978, les émeutes des moudjahiddin contre le gouvernement de Kaboul avaient commencé par la province du Kounar.

»Les experts, qui ont une vision suffisamment sceptique de la stratégie de Washington en Afghanistan, déclarent que les événements au Nurestân sont l’avant-propos de ce qui attend l’Afghanistan tout entier après le retrait des troupes de l’OTAN. Or, ce dernier doit se terminer en 2014…»

Fediachine rend compte aussi d’un témoignage qui a fait grand bruit il y a quelque jour au Royaume-Uni. Il s’agit de celui de l’ancien ambassadeur britannique en Afghanistan, qui prodigue une critique extrêmement violente contre le général Petraeus, dont il dénonce les erreurs, les montages et les fabrications virtualistes, – et l’on sait que pour le récompenser de ses bons et loyaux services, Petraeus va prendre la direction de la CIA dans quelques semaines. (Le Guardian avait, le 25 mai 2011, publié de larges extraits des considérations de Sir Sherard Cowper-Coles.) Fediachine introduit ainsi les critiques du Britannique dans sa propre appréciation de la situation afghane.

«Les évaluations de M. Cowper-Coles sont moins un diagnostic qu'une condamnation. Il écrit sans ambages que la stratégie tout entière de l’OTAN en Afghanistan est “profondément erronée” et que ses résultats sont absolument contraires à la réalité.

»David Petraeus a été nommé à la tête des troupes de la coalition occidentale en Afghanistan en été 2010. Sous son commandement, le nombre des opérations de l’OTAN menées contre les talibans a triplé. L’utilisation de drones-chasseurs et le recours aux frappes chirurgicales visant les bases éventuelles des talibans et les bunkers des chefs de guerre de ce mouvement est devenu courant.

»Souvent, des civils innocents mourraient au cours de ces raids. On les faisait simplement passer pour des talibans armés. Début 2011, M. Petraeus a présenté son rapport au Congrès américain et a déclaré que tous les trois mois les unités spéciales des forces américaines, britanniques, australiennes et néerlandaises éliminaient ou capturaient jusqu’à 350 chefs des talibans. Il n’a pourtant pas été en mesure d’expliquer où les talibans trouvaient des leaders en telle quantité.

»Sir Sherard Cowper-Coles commente ainsi ces propos: le général Petraeus “a intensifié le degré de violence et a triplé le nombre des raids accomplis par les unités spéciales des forces britanniques, américaines, néerlandaises et australiennes, visant à éliminer les commandants des talibans. Par ailleurs, la regrettable vantardise des militaires concernant le décompte du nombre de morts a particulièrement augmenté.”

»Dans le contexte de ces statistiques truquées concernant les ennemis tués, l’ancien ambassadeur évoque la guerre du Vietnam en écrivant: “Le nettoyage de régions des rebelles qui s'y trouvent assure, certes, un succès tactique. Mais globalement c’est comme si on brassait l’eau d'un étang, et j’estime que chaque général qui se targue du nombre de rebelles pachtounes qu’il a tués devrait avoir honte… Pour chaque Pachtoune tué dix nouveaux rebelles se dressent qui chercheront à venger le précédent.” […]

»D’un point de vue purement pratique, Sir Sherard dit des choses extrêmement raisonnables. Selon lui, en éliminant des commandants expérimentés des grandes unités armées de talibans, les Américains se mettent dans l’incapacité totale de négocier avec les personnes expérimentées, déjà lasses de la guerre. Ces gens sont remplacés par des jeunes aigris et acharnés pour qui le djihad représente leur raison d’être. Dans ces conditions, les négociations cessent complètement d’être à l’ordre du jour.»

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