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5335Les choses semblent bien parties, depuis jeudi, pour le développement de troubles sociaux aux USA, en corrélation avec Covid19 et l’effondrement de l’économie. Il s’agit d’une situation tout à fait singulière et très fortement organisée et manipulée, essentiellement par Trump, où Trump joue un jeu absolument cynique et absolument efficace, où l’affrontement entre Trump et les démocrates est plus fort que jamais, où les risques pris avec la poursuite ou l’accélération de la pandémie sont considérables. (Mais de ce dernier point, en général, le monde politicien de “D.C.-la-folle” se fiche complètement.)
Depuis le 16 avril, en effet, se développent des manifestations, dans des États tenus par des gouverneurs démocrates, pour que cessent les mesures de confinement et autres restrictions, et pour que l’activité économique normale reprenne. Ces mouvements sont indirectement soutenus, sinon fomentés, par Trump et constituent une de ses tactiques pour assurer sa réélection.
RT-français en donne une rapide description. Dans une série de tweets, le président des Etats-Unis a invité ses concitoyens à manifester contre les décisions de confinement prises par certains gouverneurs démocrates. Le Minnesota, le Michigan et la Virginie étaient d’abord visés.
« “Libérez le Minnesota ”, “Libérez le Michigan”, “Libérez la Virginie”, voilà en substance les trois messages diffusés en ligne par le président américain, Donald Trump, le 17 (18) avril. Trump a vivement critiqué la décision prise par certains gouverneurs démocrates de mise en place d'un confinement total dans leur État pour cause de pandémie de coronavirus, causant d’après lui du tort à l’économie nord-américaine.
» Trump réagissait aux manifestations organisées ces derniers jours dans trois États démocrates contre le confinement et pour une reprise de l’économie US. [...] Ils étaient notamment plusieurs centaines, le 17 avril, devant la résidence du gouverneur Tim Walz à Saint Paul (Minnesota), et environ 3 000 à Lansing (Michigan) pour dénoncer la démocrate Gretchen Whitmer. [...]
» Si le gouvernement fédéral recommande toujours de pratiquer des mesures de distanciation sociale, le président des Etats-Unis a néanmoins exprimé son souhait, le 16 avril, de voir l’économie américaine redémarrer. “Nous commençons[la] cure de jouvence de notre économie”, a-t-il assuré, précisant que le pays avait “passé le pic de la pandémie”. Il a assuré que les décisions concernant de possibles confinements seraient laissées à la discrétion de chaque gouverneur. [...] [...D]e nouvelles manifestations étaient prévues ce 18 (19) avril à Concord (New Hampshire), Annapolis (Maryland), Austin (Texas), ou encore dans le Colorado. »
Ce compte-rendu somme toute assez neutre peut être complété par quelques phrases, beaucoup plus militantes dans le sens pro-Trump et favorable à une reprise très rapide du travail, de ZeroHedge.com, qui a complètement rallié le soutien du président comme on le voit par ailleurs dans les attaques contre la Chine. Les manifestations, où l’aspect symbolique est complètement essentiel aux dépens des habituelles mesures (de l’“ancien monde”) de l’affluence des foules, de leur détermination, voire de leurs équipement, sont clairement présenté comme l’amorce d’une “révolution”, dont l’on possède déjà, chose essentielle, la chanson qui lui servira d’étendard sonore et de programme politique.
« Au cours des trois dernières semaines, nous avons préparé le terrain pour que les lecteurs sachent que des instabilités sociales pourraient se matérialiser pendant ou après la pandémie. Il est devenu évident que les manifestations de Lansing, dans le Michigan, jeudi 16 avril, ont été le début de la réaction de blocage qui se déroule actuellement dans tout le pays.
» Les Américains sont de plus en plus frustrés par les gouvernements des États qui ont fermé leurs économies et émis des ordres stricts de santé publique de confinement, ce qui a entraîné l’un des pires crashs économiques de l'histoire du pays. [...]
» Le choc de la crise semble indiquer qu’une révolution est en cours. Et, bien sûr, chaque révolution a une chanson, et peut-être cette chanson de Nickelback ‘Edge Of A Revolution’, qui circule déjà sur certains flux pro-Trump, pourrait-elle l'être. »
• La première remarque qui vient sous la plume pour caractériser ces événements, c’est que la querelle politicienne caractérisant “D.C.-la-folle” a repris le devant de la scène après que la Grande Crise (sanitaire + socio-économique) se soit imposée à tous. Cette fois, au contraire de la précédente séquence (depuis l’installation de Trump) où les démocrates ont mené la danse, c’est à l’instigation de Trump qui a totalement aligné les républicains derrière lui que la crise de la direction politique a repris le dessus.
La crise sanitaire et la crise socio-économique, toutes les deux pourtant d’une ampleur catastrophique sans précédent, sont devenues les outils de cette orientation toute entière conduite pour la bataille des présidentielles USA-2020, avec un Trump totalement obsédé et conduit exclusivement par sa volonté narcissique d’être réélu. Les démocrates, sans leader ni forte personnalité nationale (inexistence complète de Biden, bien sûr) malgré l’affirmation du gouverneur Cuomo qui est complètement accaparé par la lutte contre la crise dans son État, se trouvent complètement réduits à la défensive.
• La seconde remarque porte sur le comportement de Trump dans cette manœuvre, dont il est l’architecte principal. Cynisme manipulateur et irresponsabilité catastrophique (pour la situation générale) sont les marques de ce comportement, – et elles font de lui, plus que jamais, un “homme du chaos”, indirectement destructeur du Système pour satisfaire son ambition. Sa position vis-à-vis des gouverneurs est caractéristique à cet égard (on parle des gouverneurs démocrates, mais les gouverneurs républicains ont intérêt à le suivre sinon eux aussi passeront à la moulinette) :
d’une part, il dit “En tant que président, je pourrais ordonner aux gouverneurs de suivre mes instructions, mais je ne le fais pas (ce qui évite pour l’instant une crise constitutionnelle) et je me montre très libéral en donnant aux gouverneurs, qui sont proches de la situation dans leurs États, toute latitude et autorité pour prendre les mesures nécessaires (lutte contre Covid19 ou pas, reprise de l’activité normale ou pas)” ;
d’autre part, il suscite et soutient d’une façon informelle voire “codée” (ses tweets) des protestations populaires pour la reprise immédiate des activités économiques et contre le choix vital de gouverneurs (dans ce cas démocrates) de poursuivre un certain temps nécessaire la lutte contre Codiv19.
Ainsi s’exonère-t-il de toute responsabilité : si la reprise de l’activité socio-économique tarde et aggrave la crise socio-économique, ce sera la faute des gouverneurs qui ont préféré faire traîner la lutte contre Covid19 ; si la crise sanitaire s’aggrave, ce sera la faute des gouverneurs qui n’ont pas assez agi contre Covid19...
• La troisième remarque est bien entendu que ces différents événements et comportements interdisent une politique cohérente dans la lutte face aux deux grands domaines de la crise, le sanitaire et le socio-économique. L’Amérique est totalement paralysée et enkystée par la crise fondamentale qui, dépuis quatre ans, affecte son pouvoir politique. Pour la situation présente, l’extraordinaire état de déliquescence et de pourriture du parti démocrate, aboutissant à l’incroyable candidature Biden, prive ce parti de tout moyen d’action contre Trump et contre sa politique faisant quasiment l’impasse sur la crise sanitaire. La seule possibilité pour les démocrates d’espérer améliorer leur position est un changement arbitraire de candidat, selon une procédure d’urgence qui pourrait être envisagée en raison de l’état de santé de Biden ; la seule formule envisageable dans ce cas serait le remplacement de Biden par le gouverneur de New York Cuomo, qui a acquis une très forte visibilité médiatique pour son rôle dans la lutte contre la crise sanitaire qui secoue son État et la ville de New York City.
Quoi qu’il en soit, le résultat est un effondrement vertigineux des USA dans des conditions chaotiques, avec une crise sanitaire très grave et contre laquelle aucune lutte cohérent et efficace n’est développée, et une situation socio-économique absolument tragique et sans précédent avec 22 millions de chômeurs en un mois, qui doit dépasser en rapidité et en profondeur les conditions de la Grande Dépression. Le caractère unique de la crise US est bien entendu sa rapidité, avec une direction politique, non pas seulement impuissante mais, comme on l’a vu, complètement inconsciente des conditions et du rythme de sa propre super-Grande Dépression.
• La quatrième et dernière remarque est que le courant de protestation populaire indirectement lancé par Trump peut, au gré de l’extrême rapidité de la crise pouvant passer au stade d’une crise d’approvisionnement des fournitures vitales de survie (alimentation, notamment, avec les premiers signes dans ce sens), prendre une orientation de chaos social que plus personne ne pourrait contrôler. Dans ce cas, un Trump lui-même ne pourrait jouer un rôle d’apaisement, ce président ne semblant capable que de surenchérir sur le mode offensif d’acquisition d’avantages politiques, donc de pousser dans ces circonstances à toujours plus de chaos.
Ce qui est remarquable à cet égard, c’est la différence d’attitude de la population entre les USA et les autres grands pays industrialisés, notamment en Europe mais aussi en Asie. Dans un pays à la structure collective très fragile, minée par près de vingt années d’une politique de complète déstructuration et de corruption généralisée, avec un pouvoir politique complètement sous la coupe des grandes fortunes et des intérêts économiques, avec une inégalité sans précédent, avec une dynamique de complet individualisme, de réduction ad nihilo de l’action publique, du triomphe des groupes minoritaires et sociétaux, avec une complète absence d’une véritable politique sanitaire publique, la population a perdu tout sens de la solidarité nationale et toute conception de la légitimité d’un effort collectif comme le confinement (qu’il soit justifié ou non, efficace ou pas). Comme on le voit, le comportement de solidarité et de responsabilité civiques des populations en Europe et en Asie est différent, même si le mécontentement vis-à-vis des directions est dans certains cas très vivace.
On comparera particulièrement la différence de réaction de la population US après l’attaque 9/11, malgré le caractère exécrable et hautement suspect des circonstances, avec celle qu’on observe aujourd’hui, entre le réflexe d’union nationale de 2001 et le chaos de 2020. Bien entendu, la dislocation et la corruption des élites et directions politiques y sont pour beaucoup, sinon pour l’essentiel, ainsi, – et peut-être surtout, – que le développement très visible du simulacre dans le discours politique qui infecte les psychologies plus efficacement que tous les Covid19 du monde. Dans de telles conditions, la seule possibilité au moins temporaire de sauvegarde pour les citoyens américains, ex-américanistes, c’est un retour au “localisme” jeffersonien, comme sorte de démocratie locale, que divers cas mettent d’ores et déjà en évidence.
Mis en ligne le 19 avril 2020 à 12H24
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