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1462Le 2 août 2013, le site Democracy Now ! de Amy Goodman, qui soutient une station radio de la presse antiSystème, a diffusé une interview de deux députés US qui sont parmi les principaux soutiens de la loi anti-NSA qui fut battue de justesse à la Chambre (voir le 26 juillet 2013). Cette interview des députés Conyers (démocrate) et Massie (républicain) met en lumière l’événement exceptionnel qu’a constitué ce vote, les suites à cet événement qui constituent désormais une tendance forte à Washington, et quelques points de vue très inhabituels par rapport à la ligne-Système dans la crise Snowden/NSA.
Amy Goodman présente cette interview de cette façon : «A bipartisan coalition against domestic surveillance is growing stronger in Washington. Last week, the House nearly passed a measure that would have prevented the National Security Agency from using the USA PATRIOT Act to collect phone records of individuals who are not under investigation. The measure failed by a narrow 217-to-205 margin. We speak to two key backers of the amendment: Rep. John Conyers (D-Michigan) and Rep. Thomas Massie (R-Kentucky). “It was a signal that even in the partisanship that goes on too much around here there are people willing to say, ‘Enough is enough. The PATRIOT Act isn't being followed,’” Conyers says. Massie also praised NSA leaker Edward Snowden who received temporary asylum in Russia on Thursday. “His disclosures have changed the course of human history,” Massie says. “His initial disclosures were a service to our country, because now we’re having this conversation — and we wouldn’t be having this conversation.”»
Toute l’interview mériterait citation et doit donc être lue. Nous avons choisi un extrait significatif, qui est l’avis sur Snowden, sur l’acte qu’il a posé, sur son comportement depuis. On observera les divergences radicales avec la ligne-Système, notamment du républicain Massie (Conyers est un peu moins à l’aise sur cette question, étant du parti du président mais c’est une des rares restrictions qu’on peut observer). On notera que Massie, outre son soutien sans réserve à Snowden («His disclosures have changed the course of human history... [...] [h]is initial disclosures were a service to our country»), apporte des éléments nouveaux pour un membre du Congrès, même s’ils peuvent être considérés éventuellement comme conformes à la vérité. Ainsi Massie affirme-t-il que le gouvernement US n’est peut-être pas si désireux que cela de récupérer Snowden pour un procès qui serait désormais nécessairement public et dans les normes habituelles, vu le soutien dont dispose Snowden, et qui apporterait des révélations embarrassante. D’autre part, rapportant l’avis de certains selon lesquels Snowden aurait dû se rendre au Congrès pour confier ses documents aux parlementaires, Massie estime qu’il aurait été dirigé vers les commissions du renseignement, complètement acquises à la NSA, et qu’il aurait sans doute été “liquidé” sans que ses révélations soient connues. (Bon prince, Massie évoque comme “liquidation” son emprisonnement sans qu’il puisse rendre public ses documents, mais on pense aussi à une liquidation sommaire et physique.) Voici le passage de l’interview où Massie parle Snowden...
Amy Goodman: «Congressmember Massie, what are your thoughts about Russia granting temporary asylum to Edward Snowden, who really started this ball rolling by revealing what—what the intelligence officials of this country, from Keith Alexander to James Clapper, have long denied, but now admitted they weren’t telling the truth about, that the U.S. is spying on American citizens?»
Rep. Thomas Massie: «Well, clearly his disclosures have changed the course of human history, really. And I think his initial disclosures were a service to our country, because now we’re having this conversation. And we wouldn’t be having this conversation. I can’t speak for Mr. Snowden’s actions now. He’s basically a person looking out for his own life at this point. But what he did initially was a service to our country. We need to facilitate a way for whistleblowers to do that in a better fashion. And I don’t think our current whistleblower laws would have provided for him to do what he’s done in a better fashion, so I’d like to see some reform there, as well.»
Amy Goodman: «Do you think Russia was right to grant him temporary asylum?»
Rep. Thomas Massie: «I’m not going to comment on what Russia should have done with Mr. Snowden. .»
Amy Goodman: «But do you feel that Mr. Snowden did the right thing? .»
Rep. Thomas Massie: «I think initially he did. And now, it would be hard for me to fault his actions at this point. He’s a person who fears for his life, and so, you know, he’s doing what he can, I think, to stay alive at this point.»
Amy Goodman: «I want to turn to...»
Rep. Thomas Massie: «And I don’t—by the way, I don’t think our government really wants to try him. It would be a difficult trial, and I think more things would be disclosed in the process of the trial. So it’s not clear to me that we’ve actually done everything we could to get him back here and try him. There may be another story there, as well.»
Amy Goodman: «
Rep. John Conyers: «Well, I think that he was overzealous and probably didn’t. He has clearly broken some laws, for which they—now the government wants to prosecute him for. But inadvertently, he has revealed to us a whole area of secrecy and activity with telephone collections and other things that are now being revealed that would not have been revealed otherwise.»
Rep. Thomas Massie: «Can I just add that some people say he should have come to a congressman with this information. But there are actually probably 20 or 30 congressmen that already knew about this program. And if he had went to them, I think we wouldn’t be having this discussion, and he may already be in jail without the disclosure happening.»
Parmi les autres affirmations des deux parlementaires, on trouve celle que le directeur national du renseignement, James Clapper, devrait démissionner ou être démis de ses fonctions pour avoir menti au Congrès sous serment, comme il l’a lui-même reconnu. D’autre part, sur les perspectives, il y a l’affirmation d’un mois d’août studieux pour préparer une rentrée où ce groupe, qui estime désarmais être majoritaire à la Chambre, va revenir avec de nouveaux projets de loi anti-NSA. (Conyers parle de ce nouveau projet de loi : «Well, what we’re really trying to do is make sure that there’s relevancy observed and that it’s made clear that we cannot massively collect metadata on everybody in the country. This is what’s alarming people. And this is why we have the wind at our backs now, because people are concerned about it. During the August recess, there will be town hall meetings all over the place on this, and people will be learning what we couldn’t have learned otherwise...»)
Il faut mesurer l’importance de cette interview, d’abord par les déclarations des deux parlementaires, surtout Massie dont le parti n’est pas au gouvernement, qui épousent à au moins 80%-90% sinon entièrement dans certains cas les thèses de Snowden et de la dissidence antiSystème qui le soutient. On voit à nouveau se manifester à front renversé ce phénomène du bipartisanship, technique favorite du Système dans le chef de son “parti unique” avec aile démocrate et aile républicaine ; comme on l’a
... En effet, le deuxième point essentiel est sans aucun doute le fait que cette interview apparaisse dans la presse antiSystème. Aucun organe de la presse-Système (y compris le Guardian en l’occurrence), n’a réalisé une telle opération de communication relevant de la dissidence, et pourtant impliquant deux parlementaires qui représentent une majorité à la Chambre des Représentants. C’est ainsi, également, dans la presse antiSystème qu’apparaît ce fait majeur de la crise Snowden/NSA. Il s’agit de l’établissement d’un lien clair et puissant entre le refus de la surveillance et du contrôle des citoyens US aux USA du fait de la NSA d’une part, de l’acte posé par Snowden et de la situation de Snowden, y compris son asile politique, d’autre part, – et ceci et cela selon le même esprit, qui conduit Massie à pratiquement saluer Snowden comme un héros national. Il est manifeste que Massie a très probablement raison : si Snowden rentrait aux USA aujourd’hui, son procès ne pourrait être ni étouffé, ni bâclé devant une juridiction d’exception. Il devrait être fait selon les formes normales et aurait un retentissement formidable avec révélations à l’appui, et l’ensemble serait extrêmement dommageable au Système... Ainsi est-il sans doute vrai qu’aujourd’hui, l’administration Obama ne tient plus vraiment à récupérer Snowden, au contraire de la situation du début de la crise, où même une liquidation sommaire était envisagée. (Le paradoxe étant que, par souci de cohérence par rapport à ses engagements-Système, l’administration est obligée de poursuivre dans le sens de réclamer Snowden et de condamner l’asile politique en Russie du même, laissant ainsi se poursuivre la détérioration de ses relations avec la Russie, – autre développement antiSystème appréciable.)
Ces formidables développements n’ont été rendus possibles que par l’activisme considérable de la presse antiSystème, y compris la “partie antiSystème” de l’activité du Guardian grâce à Greenwald. (On note que, selon son dernier article du 4 août 2013, Greenwald travaille désormais en connexion et en coordination étroite avec des parlementaires US.) Il s’agit d’une formidable opération de communication, pratiquant naturellement et avec une coordination inconsciente une remarquable stratégie d’inversion vertueuse, en utilisant toute la surpuissance du Système contre le Système jusqu’à réussir à mettre en avant la thèse de “Snowden-héros national” contre la thèse de “Snowden-traître”. Un bel exemple de l’usage par retournement de la force de l’Ennemi contre lui-même, conforme à l’enseignement de Sun Tzu, ou comment accélérer l’équation surpuissance-autodestruction.
D’une façon générale, nous renouvelons un avis souvent exposé ici. Les USA ne peuvent pas devenir complètement un État policier ou totalitaire. La cause essentielle est que, justement, les USA ne sont pas un État au sens régalien du terme, qu’il y a donc une nécessité totale de maintenir un corset législatif fondamental pour tenir la cohésion du pays. Une partie de ce corset peut être transformé en en tissu de lois policières et arbitraires comme c’est le cas depuis 9/11, avec les lois favorisant les agences type-NSA, les actes arbitraires, etc., ce qui fait de la structure de l’exécutif et de sécurité nationale une force policière, militariste et totalitaire extrêmement puissante que certains peuvent aisément juger supérieure en puissance aux structures policières totalitaires du XXème siècle (stalinisme, nazisme), avec des actes absolument de type arbitraire, oppressifs et stricto sensu paradoxalement illégaux (malgré le légalisme faussaire qui les autorise). Mais en même temps, une autre partie du corset législatif est conduite à réagir, sans que le tissu totalitaire et oppressif ne puisse rien contre ce phénomène sous peine d’anéantir tout le corset législatif dont lui-même dépend. Le résultat est un déséquilibre grandissant entre une puissance totalitaire et oppressive et une résistance législative elle-même de plus en plus puissante. Cela conduit à l’affrontement et au désordre, paradoxalement à l’intérieur même du corset législatif imposé à l’origine pour interdire l’affrontement et imposer l’ordre. Cette contradiction est absolument fondamentale et irréfragable puisque nécessairement nourrie par l’évolution fatale, ou mieux dit providentielle, de la situation. Là aussi, nous voyons restituée l’équation fidèle et constante, surpuissance-autodestruction.
Mis en ligne le 5 août 2013 à 04H29
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