Snowden décidément plus fort que la NSA

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Snowden décidément plus fort que la NSA

On sait qu’il n’y a pas de question de plus grand intérêt, dans la crise Snowden/NSA, que celle de savoir si la NSA sait ou ne sait pas ce que Snowden a emporté de ses secrets. C’est ce que nous nommons la “question nucléaire” ou l’“hypothèse nucléaire” (voir notamment le 15 juillet 2013 et le 21 août 2013).

Des éléments nouveaux sont apparus à ce propos dans une analyse d’Associated Press (AP) du 24 août 2013, renforçant un peu plus la thèse selon laquelle Snowden est “décidément plus fort que la NSA”. C’est effectivement dans ces termes – «If Snowden could defeat the NSA's own tripwires and internal burglar alarms, how many other employees or contractors could do the same?», – qu’est développé le thème de cette analysée, réalisée à partir d’indications officieuses obtenues par AP de la part de l’inévitable “officiel” anonyme. Cette façon d’aborder le problème des “capacités” de Snowden met une fois de plus en évidence l’extraordinaire capacité dont peut disposer un individu face au monstre-NSA malgré l’extraordinaire disproportion des forces.

«The U.S. government's efforts to determine which highly classified materials leaker Edward Snowden took from the National Security Agency have been frustrated by Snowden's sophisticated efforts to cover his digital trail by deleting or bypassing electronic logs, government officials told The Associated Press. Such logs would have showed what information Snowden viewed or downloaded.

»The government's forensic investigation is wrestling with Snowden's apparent ability to defeat safeguards established to monitor and deter people looking at information without proper permission, said the officials, who spoke on condition of anonymity because they weren't authorized to discuss the sensitive developments publicly. The disclosure undermines the Obama administration's assurances to Congress and the public that the NSA surveillance programs can't be abused because its spying systems are so aggressively monitored and audited for oversight purposes: If Snowden could defeat the NSA's own tripwires and internal burglar alarms, how many other employees or contractors could do the same?»

Là-dessus, AP donne des précisions en rappelant quelques déclarations ou en citant les réponses du porte-parole de la NSA, qui nous confirment indirectement l’embarras considérable où se trouve la NSA, et l’atmosphère de surveillance interne nécessairement de tendance paranoïaque qui s’est installée dans l’agence. AP observe que ces précisions diverses concernant l’impotence de la NSA renforce considérablement le statut de Snowden vis-à-vis des différents services non-US cherchant à découvrir et à exploiter les faiblesses de la NSA, qui pour se défendre contre les programmes de surveillance, qui pour “attaquer” ces programmes et la NSA elle-même. En fait, le statut de Snowden du fait de l’évolution de la perception de son “exploit” tend de plus en plus à être celui d’un hacker à l’intérieur de la NSA, soit d’un élément extérieur introduit dans l’Agence pour la pirater, ce qui peut effectivement donner des idées pour des opérations de cyberguerre contre la NSA, soit pour l’introduction de “taupes” d’un nouveau genre dans le personnel de la NSA, – dans tous les cas, c’est bien l’idée qui se dessine dans les mesures de surveillance interne en train d’être installées dans l’Agence. (L'hypothèse d'une “taupe” concernerait évidemment des opérations de “retournement” de hackers dissidents, qui seraient récupérés par la NSA pour profiter de leurs capacités individuelles, mais qui pourraient accepter cette orientation pour pouvoir mieux s'introduire dans la place.)

«In July, nearly two months after Snowden's earliest disclosures, NSA Director Keith Alexander declined to say whether he had a good idea of what Snowden had downloaded or how many NSA files Snowden had taken with him, noting an ongoing criminal investigation. NSA spokeswoman Vanee Vines told the AP that Alexander “had a sense of what documents and information had been taken,” but “he did not say the comprehensive investigation had been completed.” Vines would not say whether Snowden had found a way to view and download the documents he took without the NSA knowing.

»In defending the NSA surveillance programs that Snowden revealed, Deputy Attorney General James Cole told Congress last month that the administration effectively monitors the activities of employees using them. “This program goes under careful audit,” Cole said. “Everything that is done under it is documented and reviewed before the decision is made and reviewed again after these decisions are made to make sure that nobody has done the things that you're concerned about happening.”»

Ces éléments recueillis par AP conduisent les auteurs de l’analyse à privilégier une version de la cause réelle de l’interception et de la détention de David Miranda à l’aéroport de Heathrow, le 18 août. A la lumière d’un texte de Bruce Schneier dans The Atlantic, nous avions déjà signalé cette version (le 23 août 2013), en la jugeant très plausible, pour la marier, – ceci expliquant cela, – à une autre, relevant de l’irrationalité paranoïaque de l’entité de surveillance NSA/GCHQ contre tout ce qui touche à Snowden, donc le trio Greenwald-Liotas-Miranda dans ce cas... Nous écrivions : «La plus intéressante de ces explications, que Schneier tend à repousser par simple avis non circonstancié, et que nous sommes prêts, nous, à accepter, est que Miranda transportait du matériel du fonds Snowden que le groupe NSA/GCHQ voulait identifier pour progresser dans la connaissance de ce dont Snowden dispose. (C’est l’hypothèse “nucléaire” selon laquelle la NSA ne sait pas ce dont Snowden dispose, et ne parvient pas à déterminer à quoi Snowden avait accès...)» AP remarque donc dans ce sens : «It also helps explain the recent seizure in Britain of digital files belonging to David Miranda – the partner of Guardian journalist Glenn Greenwald – in an effort to help quantify Snowden's leak of classified material to the Guardian newspaper...»

Ce rappel de l’“incident d’Heathrow” nous ramène au Guardian, à Greenwald et à leurs rapports avec Snowden. On sait qu’un incident a eu lieu entre le Guardian et The Independent, que nous signalions le 23 août 2013, dans une note en fin de texte. On se rappelle qu’il s’agit d’une exclusivité de The Independent d’un document de la NSA concernant une station GCHQ affectée à la surveillance du Moyen-Orient, et présentée comme venant de Snowden. Aussitôt, Snowden réagissait en disant qu’il n’avait communiqué aucun document de cette sorte, ni d’aucune sorte d’ailleurs, à The Independent. Greenwald emboitait la charge en dénonçant une manœuvre des “sources” de The Independent pour publier un document labellisé-Snowden et, notamment, pour éventuellement le présenter à la cour de justice jugeant du cas Miranda, pour montrer que les révélations-Snowden mettent en cause la sécurité nationale. (Greenwald précisait bien que le document de The Independent était également de la sorte qu’aucun membre du groupe Snowden, – lui-même, le Washington Post, le Spiegel, Liotas, etc., ne publierait de crainte d’affecter la sécurité nationale, et d’ainsi alimenter l’argument de la NSA/des autorités US et UK, contre le whistleblower Snowden, et les whistleblower en général.)

L’intervention de Snowden directement nous rappelait aussitôt un fait important : que Snowden a obtenu l’asile politique temporaire en Russie à la condition, exprimée par Poutine, qu’il cesserait toute activité susceptible de causer quelque tort que ce soit à la sécurité nationale des Etats-Unis. Depuis l’obtention de cet asile, diverses révélations provenant du fonds Snowden ont pourtant été publiées, sans causer le moindre embarras à Snowden : cela rencontrait la remarque que nous avions faite à plusieurs reprises, selon laquelle Snowden ne peut plus être tenu responsable pour la publication de documents effectuée par des correspondants (Greenwald principalement) à qui il a cédé des copies du matériel dont il dispose. Mais la publication de The Independent, et la rapidité avec laquelle il a lui-même réagi catégoriquement, ouvrent un autre chapitre.

Russia Today publiait, le 23 août 2013 à 15H31 un article rapportant l’incident Independent-Snowden- Greenwald-Guardian. L’un des commentaires de ce texte, mis en ligne à 21H59 ce même jour, par un lecteur désigné sous le pseudo de “Billy”, disait ceci : «So the US govt will start secretly releasing information and implicating Snowden to get him evicted from Russia.» La trouvaille et le raisonnement sont particulièrement intéressants : signifient-ils que la restriction mise par Poutine ne couvre pas le matériel distribué par Snowden avant son statut d’exilé, mais qu’elle peut être excipée pour du matériel dont on pourrait soupçonner qu’il ait été directement livré par Snowden lui-même depuis qu’il bénéficie de l’asile politique ? Cela serait-il théoriquement le cas de la publication de The Independent et expliquerait-il la réaction ultra-rapide de Snowden, suivie de la réaction de Greenwald et du Guardian ? Au-delà, peut-on faire l’hypothèse qu’il existerait une évaluation implicite du groupe NSA/GCHQ selon laquelle les Russes réagiraient, ou devraient réagir à une intervention directe de Snowden, hors du circuit de ses relais type-Greenwald d’ores et déjà autonomes dans leurs actions avant la décision de l’asile politique de Snowden ? Dans ce cas, l’hypothèse de “Billy” serait bonne et l’intox menée par l’intermédiaire de The Independent, sans doute, espérons-le, “à l’insu de son plein gré”, constituerait effectivement une tentative pour placer le gouvernement russe dans un mauvais cas où les USA pourraient tenter de réclamer à nouveau avec une certaine chance de succès l’annulation de l’asile politique de Snowden.

Quoi qu’il en soit, les Russes sont restés officiellement complètement muets sur ces prolongements, comme ils le sont en général dans cette affaire depuis la décision d’accorder l’asile politique à Snowden. Il semble que, pour ce qui les concerne, l’affaire Snowden est officiellement classée, et qu’elle le soit d’autant plus que les événements généraux, notamment la tension dans la crise syrienne et le maximalisme du bloc BAO, les invitent à une attitude de plus en plus ferme. Ces diverses observations et hypothèses conduisent également à observer que Snowden lui-même reste plus que jamais un enjeu de la crise, surtout dans le chef de la NSA et principalement du fait de ses propres capacités informatiques contre l’Agence.


Mis en ligne le 26 août 2013 à 04H56