Sommes-nous des “propagandistes russes” ?

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Sommes-nous des “propagandistes russes” ?

• Il est très inhabituel d’entendre un commentateur respecté des choses militaires, au surplus ancien major du Corps des Marines, écrire en sous-titre d’un article qu’il publie sur le réseau russe RT.com : « [...car] lorsqu’il s’agit d’analyser les faits, je préfère à tous les coups la “propagande russe” à la “vérité ukrainienne”. » • C’est le cas de Scott Ritter. • Cela rencontre de l’âpreté du débat qui déchire le monde de la communication concernant la “vérité” et la “propagande” dans le conflit Ukrisis. • C’est une vraie guerre de civilisation.

Scott Ritter, que nous avons maintes fois cités, qui est considéré comme un des meilleurs analystes stratégiques des “conflits hybrides-ambigus”, – c’est-à-dire des conflits où se déchaîne la propagande et où c’est une tâche sérieuse d’identifier le bidon du sérieux, – signe un article dans RT.com dont les titres et sous-titre sont les suivants :

« Si dire la vérité me met sur la liste noire des “propagandistes russes” de l'Ukraine, je porterais fièrement cette étiquette.

» [...car] lorsqu’il s’agit d’analyser les faits, je préfère à tous les coups la “propagande russe” à la “vérité ukrainienne”. »

Ritter réagit à la mise en place officielle d’une ‘liste noire’, expression rendue fameuse (“black list”) à l’époque du maccarthysme, par un organisme du gouvernement ukrainien financé par de l’argent du gouvernement des États-Unis. Ritter explique dans cet article comment fonctionne cet organisme de dénonciation officielle, nommé selon ses tuteurs américanistes ‘The Center for Countering Disinformation’. Sur le site ‘ConsortiumNews’, Ritter publie une lettre ouverte à l’intention de trois parlementaires US (les sénateurs Schumer et Gillibrand, le député Tonko), leur demandant des explications sur le financement qu’ils ont donné à l’Ukraine pour une telle initiative qui met en cause des citoyens américains (dont Tulsi Gabbard, le sénateur Rand Paul, Ray McGovern, Glenn Greenwald, Douglas MacGregor, John Mearsheimer, etc., – et en plus, nous allions l’oublier, lui-même, Scott Ritter).

Diverses incohérences sont également relevées, avec des noms de partisans de l’Ukraine qui ont eu ou n’ont pas eu (question de traduction) une parole jugée blasphématrice et hérétique. On comprend que cette initiative officielle ukrainienne, payée par l’argent du contribuable américain, a été développée depuis 2021 dans l’urgence, l’incompétence et l’inorganisation la plus complète. Ritter explique son fonctionnement en détails dans son article, d’où l’on conclut que ces gens (les Ukrainiens) ont agi dans le désordre et la sottise la plus complète, n’ayant comme seul but que de discréditer tout acte contraire à la “vérité ukrainienne”. Cela justifie pleinement que Ritter réponde notamment sur un réseau russe en affirmant que lorsqu’il s’agit de la recherche de la vérité-de-situation,

«  je préfère à tous les coups la “propagande russe” à la “vérité ukrainienne”. »

En réalité, l’impression que laisse cet épisode est, encore plus que de décrire les activités de propagande du gouvernement ukrainien grassement subventionnés par le contribuable américain, celle de nous faire percevoir l’immense désordre qui y règne, se transmettant par conséquent à la propagande et infectant par voie de conséquence l’essentiel de la communication bienpensante du bloc-BAO. Car il se comprend aisément que cette communication se nourrit avec avidité à la “vérité ukrainienne” sans jamais vraiment s’interroger à son propos, et sans même prendre la peine de revenir sur une “vérité ukrainienne” préalablement imprimée et qui, en plus d’être stupide et grossière, a été quasi-officiellement démentie.

En suivant le trépas de Poutine

C’est ce point que met en évidence Teresita Dussart (dans sa tribune de ‘France-Soir’, le 22 juillet 2022), s’intéressant pour le cas considéré ici à la santé de Poutine. Cette question est constamment traitée, depuis février 2022 avec une grande frénésie, comme un immense enjeu stratégique ! (Poutine-cancer ? Poutine-coma ? Poutine-phase terminale ? Poutine-isolé/fou ? Poutine-médicaments/drogué ? Poutine somnambule perdu dans les couloirs du Kremlin ? Et même nous-mêmes, pourquoi pas : “Nous tenons de source sûre que, un jour sans aucun doute, Poutine finira sa vie en mourant”.)

« Le directeur de la CIA, Williams Burns, vient d’affirmer au cours d’un Forum sur la Sécurité qui s’est tenu à Aspen, dans l'État du Colorado aux États-Unis, qu’il n’y avait aucune source de renseignement indiquant que Vladimir Poutine souffrait d’une maladie, voire se trouvait dans un état instable. Il aurait même plaisanté en disant qu’il lui paraissait en “trop bonne santé”, selon des déclarations recueillis par la BBC. C’est étonnant parce qu'à à chaque fois que des informations sont apparues dans la presse, sous forme d’affirmations, sans conditionnel, elles provenaient presque toujours de ces fameuses “sources de renseignements américaines”. Ainsi le magazine Newsweek a consacré en juin dernier un article présenté comme une exclusivité : “Poutine traité pour un cancer en avril, selon un rapport des services de renseignements américains“. Le même magazine a titré que Poutine était dans un coma : “Poutine est-il dans un coma ?”, “Poutine va mourir au cours des deux prochaines années d’une maladie grave”, en citant dans ce cas un général ukrainien comme source digne de foi. ‘The New York Post’, ‘The Economist’, ‘Business Insider’, CNN etc, ne sont pas en reste. »

Dussart remarque à juste titre que toutes ces affirmations, d’ailleurs venues de “source du renseignement américain”, dont la CIA suppose-t-on, sont démenties en rigolant par le directeur de la CIA (“Poutine va si bien qu’il va vraiment trop bien pour notre compte”), et n’ont été aucunement démenties par les divers médias, dont certains des plus glorieux, après la mise au point de Burns. Dussart cite précisément le cas de ‘Newsweek’, en terminant cette non-mise au point de l’hebdo, par une mise au point de son cru qui n’est pas inintéressante (soulignée en gras par nous).

« Dans le cas de Newsweek, la Maison-Blanche lui a opposé un démenti public, sans pour autant que ce démenti ne se traduise par un autre article, ne serait-ce que pour répondre au désaveu. Mentez, il en restera toujours quelque chose, disait Francis Bacon, repris par Goebbels. Mais il pensait justement à des mensonges potentiellement démentis. »

La commentatrice Dussart, qui a énormément travaillé dans les pays de l’Est anciennement communiste, a réfléchi en fonction de ce que fut le travail de propagande, essentiellement sous le système communiste. Elle cite notamment les années 1970, où la propagande communiste, débarrassée en partie de la violence policière du léninisme et du stalinisme, avait développé quelques élégantes démarches et savait manier l’astuce du non-dit mais du vrai-su.

Lorsqu’elle écrit « Mais les gens savaient lire entre les lignes de la censure », elle dit une “vérité” qui valait même pour les membres du Parti et autres apparatchiks de la Nomenklatura, qui ne croyaient plus guère au communisme mais devaient se conformer à la “ligne” à suivre, pour leur tranquillité, pour leurs privilèges, etc. Une recommandation bien souvent entendue à cette époque, aussi bien chez les gens du système que chez les “dissidents”, était celle-ci : “Lorsque vous lisez un article de la ‘Pravda’, passez les trois premiers paragraphes à la gloire du Parti ; c’est après que l’ont trouve, glissées et suggérées, les nouvelles et les instructions importantes qu’il faut savoir interpréter...”

C’était la propagande des systèmes totalitaires du XXème siècle (y compris le nôtre, celui de l’Empire du Bien qui parlait si volontiers du “Free World”). Effectivement, les mensonges régnaient, mais ils étaient perçus comme tels, et lorsqu’ils étaient débusqués ou méprisés ils ne valaient plus grand’chose et il arrivait même qu’on les dénonçât en tant que tels.

« Au XXI siècle cela n’arrive pas. Les menteurs ne sont jamais [décrédibilisés] parce qu’ils ont eux-mêmes inventé la perfidie de la “fake news” pour [décrédibiliser] par avance ceux qui pourraient [les décrédibiliser eux-mêmes]. D’autant que l’intox se repasse comme une balle. Ce n’est que rarement un travail maison. Et ce n’est pas un hasard. Sur ce point, l’enseignement sur le fonctionnement de la propagande dans les dictatures du XXe siècle est très utile. Le fait que le message soit identique, avec très peu d’inflexion, est essentiel pour assoir sa vraisemblance. L’homogénéité favorise la propagation du mensonge, la diversité la [contrarie]. D’où le fait que les propagandistes soient en même temps les commissaires politiques en charge de l’éradication des penseurs indépendants.   

» La grande différence entre la propagande des années 1970, est que celle-ci obéissait à des ordres verticaux, venus d’officine d’État et les conséquences étaient fatales pour les dissidents dans le cadre d’une répression qui disait son nom. Sans le cache-sexe de la bien-pensance. Mais les gens savaient lire entre les lignes de la censure. Il y avait comme une grammaire de la propagande que le lecteur savait décomposer. [Aujourd’hui], la propagande obéit à des officines souvent privées, associatives, qui orchestrent l’homogénéité de la pensée, l’installation des thèmes et organisent l’adhésion enthousiaste au mensonge. Là où les intellectuels et les journalistes souffraient dans les systèmes dictatoriaux, de l’humiliation que représente d’écrire des contre-vérités, aujourd’hui les agents de la propagande s’en réjouissent et voient dans la propagation de [leurs] mensonges, une source de félicité et d’orgueil... »

Le tsunami de la “propagande russe

Il est vrai que les services officiels ne sont plus créateurs de mensonge, de narrative, etc. Les totalitarismes brutaux du XXème siècle avait comme arme pour imposer mensonge et propagande, la violence de la police ; aujourd’hui, les totalitarismes sont devenus très ‘soft’ et ils ont comme “arme” principale la liberté dont leurs ouailles (leurs “victimes”, les membres du parti de Panurge) font grand cas pour jurer qu’ils expriment eux-mêmes comme autant de vérités que leur suggère leur liberté, mensonges et narrative que les spécialistes des entreprises privées de communication ont dispersés au nom du Camp du Bien comme autant de petits cailloux blancs pour le Petit-Poucet. Ce n’est pas pour rien que nous citions hier quelques détails sur ces agents de la liberté de pensée et de s’exprimer conformément aux intérêts que sont les lobbyistes du parti de la “vérité ukrainienne. (On se rappellera que leur premier grand exploit des Nouveaux Temps fut le bobard-1990 des bébés koweitiens massacrés par des soldats irakiens dans les maternités koweitiennes selon les contines américanistes bien exécuté pour le Congrès par la fille déguisée en Koweitienne de l’ambassadeur koweitien à Washington, pleurant devant les sénateurs éperdus son enfant perdu.)

« En juillet 2021, 11 entreprises basées aux États-Unis étaient enregistrées comme lobbyistes pour des clients ukrainiens au titre du FARA [la Loi sur l’Enregistrement des Agents Étrangers]. Au cours de l'année 2021, ces influenceurs ont tenté de faire pression sur Washington pour qu’on liquide Nord Stream 2, qu’on augmente les livraisons d’aide d’armement à Kiev et qu’on affecte toujours plus de forces américaines et de l'OTAN le long de la frontière russe.

» Ce faisant, ils ont établi plus de 10 000 contacts avec des législateurs, des groupes de réflexion et des journalistes. C'est un chiffre stupéfiant si l'on considère que le lobby saoudien, – l'un des plus importants et des plus influents aux Etats-Unis, – n'a eu que 2 834 interactions avec ces éléments au cours de la même période. »

Mais le plus important de tout est, à notre sens, la spécificité du phénomène de la communication, qui est une sorte de phénomène qui échappe à toute manipulation, à tout complot, à toute autorité humaines, – pour être, en lui-même, irrésistible dans deux sens contraire, le second annulant le premier lors du décompte final et donnant un résultat si inattendu...

• Le premier, c’est la rapidité extraordinaire à l’intérieur de ce système, redoublé immensément par la profusion également extraordinaire de sources participant à l’accélération constante d’une nouvelle, d’une image, d’une narrative, etc., tout cela rendu effectivement irrésistible dans son déplacement et finalement impossible à stopper, encore moins à démentir...

• Le second, c’est la fugacité extraordinaire de la trace laissée dans l’esprit par la nouvelle à cause de son extrême vitesse, jusqu’à ne trouver aucune place dans la mémoire tout en massacrant dans une mesure dont nous n’avons fini de payer les effets, les psychologies des colonies panurgiennes ainsi balayées par le tsunami de la liberté d’informer et de s’exprimer... Dans ce cas, pourquoi s’inquiéter de démentir ce que les moutons volages ont déjà oublié ?

On retrouve notre équation “surpuissance (vitesse de la nouvelle/du mensonge) = autodestruction (fugacité de la nouvelle/du mensonge)”, car la perception fondamentale, – c’est là notre “pari pascalien” quant aux conditions fondamentales de cette époque étrange, – s’est inscrite dans l’âme de ceux qui n’ont pas succombé au tsunami et qui auront beau jeu, un ans, cinq ans, dix ans plus tard, de rappeler les vérité-de-situation. Alors, l’on fera les comptes.

Voyez aujourd’hui ! Qui doute vraiment des monceaux de mensonges déversés sur les narrative du bloc-BAO, – car en la matière, il ne s’agit que du bloc-BAO, car tout le monde sait que seul le bloc-BAO connaît la liberté et que c’est donc lui qui use de la liberté d’expression pour tous les mensonges du monde épandus en un tsunami global ; oui, qui doute vraiment des tsunamis de mensonges dans les deux guerres contre l’Irak, dans la guerre du Kosovo, celle de l’Afghanistan avec son départ triomphant, et les autres, la Libye, la Syrie, et, très bientôt sinon d’ores et déjà, l’Ukraine elle-même ? ... Qui pourrait vraiment s’opposer à cette affirmation d’un commentateur aussi sérieux que Scott Ritter proclamant cette phrase après tout incroyable et extraordinaire aux yeux et aux oreilles de tant de commissaires politiques du parti de la liberté, à gauche en entrant dans le Camp du Bien :

« [...Car] lorsqu’il s’agit d’analyser les faits, je préfère à tous les coups la “propagande russe” à la “vérité ukrainienne” » ?

Alors, qui a gagné la guerre de la communication ? Alors, qu’est devenue cette puissance qu’Hubert Védrine avait baptisée en 1998 “hyperpuissance”, qui tenait le monde entier entre ses mains exceptionnalistes, au point où le nouveau-venu à Moscou, un nommé Vladimir Poutine, proposait humblement à ses “partenaires” américains l’entrée de la Russie dans l’OTAN ? Alors, alors, qui est isolé aujourd’hui, dans leur minable G7 où l’on se fait à la fois des papouilles et des enfants dans le dos, face aux BRICS, aux missiles hypersoniques russes, à la ‘Nouvelle Route de la Soie’ de Pékin et aux bras d’honneur de MbS signifiés à un Biden qui a oublié qu’il est le président des États-Unis ?

Résumons : cela s’appelle “effondrement”. Il faut simplement ne pas oublier que « les voies du Seigneur sont impénétrables ».

 

Mis en ligne le 30 juillet 2022 à 18H20