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19023 août 2012 – Cela fut dit très récemment, nous dit-on, lors d’un entretien entre le SACEUR (le commandant en chef des forces alliées de l’OTAN), l’amiral Stavridis, et un chef d’état-major général d’un des grands pays de l’Alliance, hors les USA bien entendu. Le SACEUR donnait son analyse de la situation générale, géopolitique et militaire, notamment autour des grandes crises du Moyen-Orient (Syrie principalement, Ormouz, Iran, nullement accessoirement, – ou bien, dans un autre moment, Iran principalement, Ormouz, Syrie, nullement accessoirement, – et ainsi de suite). Il résuma son avis de cette phrase lapidaire dont on comprend aussitôt le sens : «Nous sommes en 1914…»
Cet avis confirme l’analyse crépusculaire que font les militaires US de la situation, leur inquiétude se trouvant du côté de directions politiques qu’ils jugent “hors de contrôle” par rapport aux facteurs qui, normalement, devraient déterminer leur politique. On pourrait également répercuter une analyse similaire de la très vastes majorité des chefs militaires et des services de sécurité israéliens vis-à-vis de leur direction politique qui ne cesse de menacer, depuis six ans et plus, qu’il est temps d’en finir avec l’Iran. On notera que tout cela est dit, de notre part, sans considération partisane, de ce point de vue sans esprit antiSystème et sans apprécier les voix que nous citons comme ce qu’elles sont tout de même, – des voix effectivement issues du Système. Mais pour ce cas, nous écartons en partie ces considérations, dont on avait déjà eu un avant-goût, ou un goût partiel, par exemple le 2 novembre 2011 ; si elles subsistent, nous les gardons d’une façon complémentaire, au profit du principal de nos considérations qui concerne un autre aspect de la situation.
Ce qui caractérise toutes ces opinions, ces prises de position, dans le chef de dirigeants “techniques” de la puissance du Système, c’est l’impuissance qui semble les accompagner. Le constat «Nous sommes en 1914…» semble s’accompagner d’un complément implicite qui ferait que la phrase pourrait se dire plus précisément : «Nous sommes en 1914 et nous savons ce qui va se passer en 1914, et nous n’y pouvons rien…» L’idée est étrange dans la mesure où ceux qui l’énonceraient sont ceux-là même qui disposent du contrôle des outils de la puissance ; et elle serait d’autant plus remarquable, cette idée, que leur réserve (“et nous n’y pouvons rien”), dans le cas particulier de cette période, ne s’adresse plus vraiment et spécifiquement aux directions politiques mais à une dynamique en cours, qui semble irrésistible et qui n’émane certainement pas de ces directions politiques, lesquelles en seraient plutôt les jouets, plus ou moins consciemment. Nous voulons dire par là qu’il n’y a pas un concert particulier, une offensive extraordinaire de communication en faveur de la guerre à tout prix, – cela considéré par comparaison à d’autres périodes précédentes, où l’agitation à cet égard fut bien plus forte. Même le “parti de la guerre” semble assez discret, les choses semblant effectivement évoluer d’elles-mêmes, – peut-être à sa satisfaction complète diraient certains, mais nous n’en sommes pas si sûrs car nous pensons que cette satisfaction s’étalerait partout dans des déclarations belliqueuses et enthousiastes, – ce qui n’est vraiment pas le cas, encore une fois…
Mentionnons rapidement quelques éléments de situation, appréciations et commentaires de ces derniers jours, qui témoignent de cette montée de la tension des évènements…
• Le sentiment de la direction suprême iranienne serait que la guerre est pour les prochaines semaines. Le site DEBKAFiles publiait, le 1er août 2012 un article sur la chose : «On July 27, just before Friday prayers, Iran’s supreme leader Ayatollah Ali Khamenei summoned top Iranian military chiefs for what he called “their last war council.” “We’ll be at war within weeks,” he told the gathering, DEBKAfile’s exclusive Iranian and intelligence sources disclose… […] Khamenei put before his war council a timeline of weeks for the coming conflict – September or October.» La nouvelle de DEBKAFiles a été largement reprise.
• Des précisions sont apportées dans le New York Times (reprises par Infowars.com le 2 août 2012), notamment à partir de déclarations d’Efraïm Levy, ancien directeur du Mossad, sur la possibilité/la probabilité d’une attaque contre l’Iran dans les douze semaines qui viennent, c’est-à-dire avant les élections présidentielles US. L’attaque serait conjointement menée par les USA et Israël. L’élément nouveau est l’appréciation supposée de Netanyahou selon laquelle il n’y aurait guère de chance de convaincre les USA d’attaquer après les présidentielles, y compris si Romney est élu (dans tous les cas pour le début de son mandat), – ce qui est une appréciation nouvelle, essentiellement pour Romney. Cela apporte un élément d’incertitude ou de limitation de l’influence israélienne (de Netanyahou) sur la direction américaniste, qu’on aurait tendance à juger illimitée ; même pour Romney, dont la capacité de projection de la pensée semble limitée aux dernières et aux prochaines vingt-quatre heures, l’idée n’est pas impossible : s’il est élu, dès qu’il serait élu il ne penserait plus qu’à protéger le statut de son administration et oublierait toutes ses promesses électorales qui seraient alors éloignées de plus de vingt-quatre heures…
«Speculation that Israel and the United States may decide to launch an attack on Iran’s nuclear facilities have heightened after former Mossad chief Efraim Halevy told the New York Times, “If I were an Iranian, I would be very fearful of the next 12 weeks.” The NY Times report speculates that the window of opportunity to strike is closing, partly because of Israel’s aversion to winter battles and partly because Benjamin Netanyahu fears that whoever wins the US presidential election, impetus will be lost. “Mr. Netanyahu feels that he will have less leverage if President Obama is re-elected, and that if Mr. Romney were to win, the new president would be unlikely to want to take on a big military action early in his term,” states the report.
»Whether speculation that conflict could break out over the next two months is merely Israeli propaganda remains to be seen. Experts have noted that the rhetoric could merely be a bargaining tool to force the Iranians to submit to tighter controls over their nuclear energy program.»
• Cela n’empêche évidemment pas à la crise syrienne d’exister toujours et, même, montrant en cela sa coordination objective avec les autres éléments constitutifs de la crise haute, d’arriver également à un point de fusion. La démission de Kofi Annan (voir Russia Today, le 3 août 2012) réduit à néant le mince fil qui faisait subsister encore l’espoir d’une démarche diplomatique et montre effectivement que nous sommes entrés dans la phase de la guerre active en Syrie. On ne se préoccupe plus, du côté du bloc BAO, de déguiser sa politique derrière des narrative de convenance, de type humanitariste et selon les méthodes faussaires qu’on connaît ; on ne se préoccupe plus guère de parler de “massacres”, de rejeter la responsabilité sur l’autre camp… C’est plutôt l’impression du train désormais sur ses rails et, désormais, filant à son rythme de guerre, particulièrement rapide et entreprenant. On découvre que, face aux interventions grossières du bloc BAO depuis des mois, il existe également des rumeurs précises d’engagements de certains effectifs du Hezbollah aux côtés des forces syriennes, et la participation de “conseillers” russes à l’action de ces forces. C’est aussi une indication sur l’évolution de la situation, avec désormais la Syrie comme foyer bien installé de tension et de prolifération de la violence dans la région. (Par exemple, l’Irak observe que la situation syrienne alimente puissamment une plongée dans la violence et le désordre, avec le retour d’al Qaïda en Irak, qui pourrait ramener le pays au pire de la période qui a précédé [voir Reuters, le 2 août 2012]. Cela mettrait à l’actif des USA, avec leur part considérable dans la dynamique de renaissance du “concept” al Qaïda et ce qu'il recouvre (terrorisme, extrémisme religieux, crime organisé), l’exploit d’avoir deux fois successivement plongé l’Irak dans un chaos déstructurant.).
• Dans le cadre de ces crises (comme du reste, certes), la paralysie des pouvoirs au sein du bloc bAO est un élément structurel important. Cette paralysie se situe à l’intérieur des normes du Système et est déterminée par elles. L’Europe (l’UE) dépasse tous ses “partenaires” à cet égard. La paralysie du pouvoir US, dans sa diversité, est un point particulier à souligner, une sorte de perfection en la matière. A la paralysie structurelle qu’on a maintes fois soulignée, s’ajoute la paralysie conjoncturelle due aux élections présidentielles, qui conduit les candidats à prendre des engagements (notamment de politique extérieure) qui n’ont de toutes les façons aucun rapport avec la situation considérée, mais ne sont considérés, justement, qu’en fonction des effets au niveau de l’électorat. La paralysie devient alors une sorte de bouillie pour les chats, incompréhensible, sans la moindre signification. Dans tous les cas, la tendance maximaliste qui est la norme la plus facile de la politique aujourd’hui, parce qu’elle permet les effets de manches en termes de communication, est systématiquement favorisée.
• Nous ferions, nous, une place particulière à ce qui a été annoncé hier (voir le 2 août 2012), concernant les contacts à un haut niveau entre la direction iranienne et le président Morsi. Cette spéculation de la fin de notre texte, si Morsi acceptait de se rendre en Iran, doit être conservée à l’esprit : «Dès lors, ces mêmes Israéliens pourraient se retrouver, d’ici la fin du mois, avec une sorte de déclaration commune solennelle entre les Iraniens et l’Égyptien Morsi, condamnant toute attaque contre l’Iran comme injustifiable et inacceptable. Cela pourrait être les vrais débuts diplomatiques du président Morsi.» Cette spéculation impliquerait que Morsi, non seulement aurait été convaincu de se rendre à Téhéran, mais qu’il l’aurait été à cause du sérieux des craintes de conflit, cela le poussant à prendre position face à cette perspective catastrophique.
Le fait est que la pression grandit dans ces premiers jours d’août… Une fois de plus, dira-t-on en s’arrêtant à l’Iran, devant l’historique de cette interminable campagne de menace d’attaque par surprise de l’Iran (depuis 2005 !) ; mais, cette fois, serait-ce la menace fatale, avancerait-on ? C’est une occurrence une fois de plus exceptionnelle que la tension “grandisse”, car il aurait semblé tant de fois, dans les mois et les années qui ont précédé, que les sommets de tension semblaient justement être “des sommets” au-dessus desquels aucun supplément de tension ne semblait possible. Mais justement, nous l’avons déjà mentionné, cette tension affecte moins les sapiens et leur psychologie que les évènements eux-mêmes, laissés à leur dynamique. Les sapiens et leur psychologie, eux, semblent plutôt frappés d’une sorte de fatalisme («Nous sommes en 1914 et nous savons ce qui va se passer en 1914, et nous n’y pouvons rien…»).
La spéculation “engagée” et partisane sur les responsabilités dans les possibilités de conflit ne nous semble pas vraiment de mise, y compris dans notre chef (nous n’avons jamais dissimulé une attitude critique contre les directions politiques, etc., et nous n’hésiterions pas à nouveau s’il nous semblait que cela fût justifié d’une manière spécifique)… Ce dont nous voulons parler c’est d’une spéculation rationnelle dans le sens où elle s’imposerait d’une façon objective. Ce qu’il faut observer, c’est la conjonction des évènements tels qu’ils se conduisent eux-mêmes et d’eux-mêmes, comme sous le coup d’une coordination effectivement objective.
Il s’agit d’évènements qui ne concernent pas qu’une seule crise mais la nébuleuse de crise(s) constituée autour du cœur brûlant du Moyen-Orient (la “crise haute”). Plus encore que pour les causes bien connues de l’énergie, de l’idéologie et de l’influence, et des autres facteurs stratégiques et assimilés, cette dynamique se développe dans cette zone centrale de nos obsessions soi-disant “stratégiques”, devenues effectivement psychologiques et pathologique ; cette zone géographique et géopolitique qui serait devenue comme une zone fondamentale de notre système psychologique où se sont transportées effectivement et naturellement nos obsessions également fondamentales, sur l’état de notre temps métahistoriques et sur le caractère à la fois désespéré et désespérant de la crise du Système ; et enfin, ces obsessions pathologiques et psychologiques parvenues à leur terme, s’exprimant presque sans tension cette fois, comme lorsqu’on arrive au cœur de la tempête, dans l’œil du cyclone, dans cette zone où règne soudain un calme surréaliste et presque métahistorique… En commentant furieusement la vote par la Chambre des Représentants de nouvelles sanctions contre l’Iran qu’il définit comme «an act of war», le député Ron Paul la désigne sarcastiquement comme la OWIA 2012 («I think this bill would be better named Obsession With Iran Act 2012»). L’intervention n’a suscité aucune réaction particulière dans cette assemblée de robots-pour-l’occasion, où il semblait effectivement qu’il n’y eut qu’un seul élu qui pensât librement, hors des pressions du Système, – Ron Paul, justement… (Laquelle assemblée n’est pourtant pas systématiquement robotisée, ce qui prouve la spécificité du cas iranien, ou plutôt du cas de la guerre ; elle avait été par ailleurs capable de voter, une semaine plus tôt, le 25 juillet 2012, la loi sur l’audit de la Federal Reserve qui est un triomphe ultime pour le même Ron Paul, – la Federal Reserve Transparency Act, H.R. 459, élaborée et promue pendant trois ans par Ron Paul, votée par une majorité impressionnante de 327 voix pour et 98 contre.)
Il y a un certain intérêt entre l’analogie de 1914 et la situation actuelle, qui concerne ce sentiment de fatalité qu’on a signalé plus haut. On le retrouve dans cette observation de Jules Isaac, faite en 1933 dans son livre sur les causes de la Grande Guerre. (Un débat historique, 1914, les origines de la guerre, éditions Rieder. Jules Isaac avait fait la guerre de 1914-1918 et il y avait perdu son ami Albert Malet, tombé en 1915, avec qui il avait développé la collection fameuse des livres scolaires Isaac-Malet.) «Quand le nuage creva en 1914, quel était le sentiment dominant parmi nous [en France]? La soif de revanche, le désir longtemps contenu de reprendre l'Alsace-Lorraine? Tout simplement, hélas, l'impatience d'en finir, l'acceptation de la guerre (quelle naïveté et quels remords !) pour avoir la paix. L'historien qui étudie les origines de la guerre ne peut négliger ce côté psychologique du problème. S'il l'examine de près, objectivement, il doit reconnaître que, depuis 1905 (à tort ou à raison), on a pu croire en France que le sabre de Guillaume II était une épée de Damoclès.»
On ne prétend pas une seule seconde, en aucun cas, que la plupart des conditions de 1914 aient une quelconque similitude avec les conditions actuelles (le fait qu’Isaac parle de la France et de cette sorte de fatalisme tragique, le fait qu’il y ait un ennemi identifié d’une immense puissance et d’un dynamisme expansionniste indiscutable, le fait que des conditions objectives d’un conflit mondial soient réunies d’une façon structurelles et clairement identifiées, etc.). On parle essentiellement, sinon exclusivement, de la psychologie face aux évènements et à l’interprétation qu’on en fait, consciemment ou pas, de ce sentiment de fatalité qui nous semble dominer aujourd’hui, par rapport complètement antagoniste avec les conflits et intentions de conflit de l’époque Bush, marqués par l’hystérie emportée, la surenchère verbale, etc. (Même le camp israélien, à l’intérieur de son aile belliciste qui fait presque deux ailes, a ses divisions marquantes et remarquables.) C’est pour cette raison que nous parlons de “la conjonction des évènements tels qu’ils se conduisent eux-mêmes et d’eux-mêmes, comme sous le coup d’une coordination effectivement objective”.
Dans cette logique où nous écartons comme le facteur essentiel de cette situation la responsabilité humaine, nous ne pouvons certainement pas avancer que cette situation ici décrite soit une marche vers la guerre. Pas de prévision ici, mais le domaine de l’inconnaissance : ce que nous réserve la marche des évènements, c’est le mystère de la dynamique des évènements, – eux, justement... Ce qui nous importe, c’est, du côté de sapiens et de sa psychologie, ce qu’on finit par identifier comme le sentiment de la nécessité d’une rupture, et ce sentiment qui concerne la grande crise générale du Système. Il ne faut pas se laisser abuser par les discours des cranes de piaf et têtes de linotte ici ou là, qu’il s’agisse d’un président ou d’un premier ministre quelconque et de type BAO, ou de tel ou tel chroniqueur de service… En vérité, tous ces braves sapiens, qui ne sont mauvais que par proximité du Système (du Mal) et nullement de leur plein gré, su ou insu, sont littéralement épuisés. Leurs psychologies n’en peuvent plus, – et alors, éventuellement, si les évènements en décident ainsi, pourquoi pas la guerre ? Ces psychologies qui, par moments, regardent l’évolution vers la guerre comme une fatalité presque libératrice (disons tragiquement, tout de même), sont les mêmes qui sont à la fois dans un état psychologique de terrorisation, sous l’empire du Système. Elles sont emprisonnés par le Système et cherchent désespérément une porte de sortie, – ou une fenêtre de sortie, par où s’enfuir (une “fenêtre d’opportunité”, comme disent nos pompeux stratèges à propos de l’attaque contre l’Iran) ; cela, pour tenter de s’échapper du cercle monstrueux et infernal où le Système les tient enfermées… Alors, pourquoi pas la guerre ? Mais au-delà de ces remarques à l’emporte-pièce, on n’en saura rien de plus pour l’instant, car, décidément, les évènements décideront, et nullement les grotesques planificateurs du Pentagone qui ont appris à préparer des guerres pour l’utilité essentielle d’alimenter les scénarii des blockbusters d'Hollywood.
…Il n’empêche que l’analogie historique de 1914 est intéressante pour un autre propos et nous y reviendrons. (Car pourquoi pas 1939 ? Après tout, on parle aussi bien de septembre ou octobre pour une attaque, et si 1914 c’est la guerre le 4 août, 1939 c’est la guerre le 1er septembre…)
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