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13 juillet 2002 — Nous nous Arrêtons à la chronique de Martin Woollacott du 12 juillet, dans le Guardian. La remarque générale qu'il propose est intéressante : nous surestimons de façon systématique la puissance américaine. Un intérêt supplémentaire est qu'il n'aborde pas la question finalement la plus intéressante : pourquoi surestimons-nous systématiquement la puissance américaine ?

Woollacott montre aisément cette surestimation systématique des capacités de l'Amérique. Plusieurs domaines américains, tels qu'ils sont observés par l'extérieur, témoignent de cette surestimation. Woollacott a le mérite de ne pas écarter les plus "sacrés" d'entre eux. Par exemple, il montre aisément que, dans le domaine militaire, qui est un domaine où la puissance américaine est considérée comme hors de la mesure courante et hors de toute exploration critique par conséquent, il y a surestimation de l'Amérique.

« As to the American military, who could deny it is impressive? But it is not new, and it has not escaped the constraints obvious in the past. September 11 was supposed to have laid to rest the preoccupation with avoiding casualties which limited American military strength. It modified it but it did not end it, as was shown at Tora Bora, where US commanders hesitated and lost their quarry. Casualties are, rightly, a huge issue for those considering an Iraq campaign.

» Big conventional forces might be a necessity for Iraq, as they might have been for Kosovo. But the general question remains of how relevant much of America's military power is. As General Wesley Clark has noted, if you have a hammer, you tend to go around looking for nails, as a result perhaps neglecting more important tasks and more effective instruments.

» Soldiers are among the smartest and most objective people in Washington, and their arguments about exactly what kinds of military force are relevant in the new situation are not over. But they are sufficiently developed to see that some of the present American array is already obsolete and some unnecessary, like missile defence. The related short termism of American foreign policy, the distaste for "nation building", is potentially counter-productive, as Afghanistan may be in the process of proving. »

L'explication de Woollacott est convaincante pour la situation d'aujourd'hui. Il expose qu'effectivement il y a dans le jugement général sur l'Amérique cette surestimation systématique qui ne renvoie pas à la réalité mais à une image de puissance qui semble échapper aux constats que la réalité nous invite à faire, et notamment au travail normal d'appréciation critique. Après avoir détaillé effectivement combien l'Amérique, à côté de sa puissance, montre de faiblesses et combien elle fait de fautes, Woollacott remarque avec justesse : « It is not that these faults are not constantly noted by both Americans and non-Americans. Rather, the exploration of America's weaknesses does not seem to have the effect the same procedure does in other countries, where it results in some adjustment of the estimate of national strength. »

Woollacott estime également que cette appréciation que nous avons de la puissance américaine est relativement récente. En fait, il la date du 11 septembre 2001, événement à partir duquel, semble-t-il, tout aurait basculé. « It is almost as if commentators were talking about a different country than the one of only a few months before. The old America had been much more powerful than other nations and indispensable in any big international undertaking. But now, suddenly, it was Rome in her prime and Britain at her peak combined. Not that such parallels had been absent from analysis before, but they had never been pushed so far. There even sprang up a small academic industry, almost therapeutic in its purposes, explaining how to dominate and how to live with domination. »

Ce dernier point de vue est plus contestable. Les années 1990 n'ont pas été exemptes de cette surévaluation de l'Amérique. Celle-ci existait déjà durant la guerre du Kosovo, où la puissance américaine était partout commentée comme étant hors du domaine de la normalité ; durant les années de soi-disant "nouvelle économie", lorsque certains théoriciens, à Wall Street, mais aussi en Europe et surtout en Europe, estimaient, selon les termes rapportés par Alan Greenspan devant une Commission du Congrès le 11 juin 1998, que l'économie américaine, par ses performances, se trouvait « beyond history » ; lors de l'intervention de la diplomatie américaine dans les Balkans, à partir du sommet de Dayton ; voire, durant la guerre du Golfe de 1991 ...

Ce point n'est pas indifférent dans la mesure où il permet d'élargir le constat et de lui donner une autre substance. En lisant la chronique Woollacott, on est conduit à la conclusion que notre surestimation de la puissance de l'Amérique dépend plus d'un événement (le 11 septembre) et de ses effets qu'intrinsèquement de l'objet de cette surestimation (l'Amérique). Ainsi tend-on à échapper à la question à notre avis centrale, — pourquoi cette surestimation ? — puisque la réponse toute trouvée serait l'événement du 11 septembre. Par contre, si l'on accepte le constat que cette surestimation existait avant le 11 septembre, et même avant la fin de la Guerre froide et ainsi de suite en remontant dans le XXe siècle, la question concerne évidemment beaucoup plus l'objet de cette surestimation et par conséquent la cause de cette attitude du jugement, c'est-à-dire finalement notre attitude psychologique (notamment et principalement à nous, Européens) qui nous amène à cette fascination, puis à la surestimation de l'Amérique.