Sous le regard d’Alexandre le Grand

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Sous le regard d’Alexandre le Grand

• L’Iran devient membre de l’Organisation de Coopération de Shangeai lors de la réunion de l’OCS à Samarcande. • D’autres pourraient et devraient suivre dans les années à venir, parallèlement au renforcement constant des BRICS. • Cela constitue un “bloc” rassemblé selon des volontés et dans une harmonie remarquable. • L’“esprit de Samarcande” réserve des surprises : l’on y voit la Chine appeler à une unité des pays de l’OCS contre les “révolutions de couleur” et le nouveau Premier ministre pakistanais lancer des fleurs à Poutine.

A Samarcande, où s’est tenu jeudi et vendredi le sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), on a entendu des propos inhabituels du point de vue de la sécurité. De façon assez surprenante, mais dans tous les cas comme une mesure de la tension furieuse caractérisant les relations internationales, c’est surtout la Chine qui s’est fait entendre par un appel aux membres de l’OCS à une solidarité opérationnelle contre les entreprises de subversion, – dites “révolutions de couleur” ou ‘regime change’ par l’industrie de relations publiques et démocratiques du bloc américaniste-occiudentaliste. C’est une surprise parce que la Chine a toujours tenu, par nature et par tradition, le rôle de modérateur dans ces réunions, surtout dans les matières de sécurité où sa sensibilité au principe de la souveraineté nationale est considérable. Ainsi mesure-t-on, par la tangente des comparaisons illuminatrices, dans quelle fureur terrible sont aujourd’hui plongées les relations internationales. Xi est certes resté impassible mais on le sentirait bien, sur ce sujet, particulièrement furieux, – fureur pour fureur.

Par conséquent, l’on dira, parce que le jeu de mots est tentant, qu’à défaut de régime la Chine change d’humeur... Ainsi la première sortie hors de son pays du président Xi depuis la pandémie du Covid restera-t-elle dans les mémoires.

« Les États membres de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) doivent travailler les uns avec les autres pour empêcher les forces extérieures d'organiser des révolutions de couleur dans leurs pays, a averti vendredi le président chinois Xi Jinping.

» S'exprimant lors du sommet de l'OCS à Samarkand, le président Xi a déclaré que les États membres devaient “soutenir les efforts de chacun pour protéger les intérêts en matière de sécurité et de développement”, notant que le monde connaît des “changements accélérés sans précédent depuis un siècle” et est entré dans une phase d'incertitude et de transformation.

» Il a ajouté qu'il était primordial de “se prémunir contre les tentatives de forces extérieures visant à provoquer une révolution de couleur et de s'opposer conjointement à l'ingérence dans les affaires intérieures d'autres pays sous quelque prétexte que ce soit”, faisant référence aux manifestations soutenues par l'Occident qui ont visé à renverser les gouvernements des pays post-soviétiques. »

Pour le reste, la réunion s’est faite dans la détente et la bonne humeur des associations qui se jugent en plein essor, – cela se voyait sur les visages.. (Sauf « celui, manifestement tendu et de mauvaise humeur, d’Erdogan » [selon Alexander Mercouris], sans doute en relation avec les divers troubles entre pays caucasiens pourtant membres de l’OCS, et la position parfois très inconfortable de la politique à 32 ou à 64 bandes du président turc, grand-écarté de l’OTAN à l’OCS.)

L’Iran avait été intronisé membre de l’OCS la veille de l’ouverture du sommet. On le savait depuis longtemps puisque l’Iran était observateur aux réunions de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) depuis 2005. Ce pays souhaitait devenir membre de l’OCS ; c’est chose faite depuis hier. La décision officielle a été acclamée comme un grand événement alors qu’elle est quasiment actée depuis des années. Mais l’on sait que le symbolisme de l’acte accompli  a une grande importance dans l’univers de la communication. Il s’agit donc d’un grand événement (connu de tous depuis des années).

Pour le reste, qui est sans aucun doute l’essence d’un grand événement, avec tous ces pays qui attendent d’entrer dans l’OCS  (comme dans les BRICS), l’inusable Pépé Escobar est bien placé pour développer, dans des termes lyriques et presque métahistoriques, ce qu’on nomme déjà l’“esprit de Samarcande”. Il est vrai qu’il dispose d’un témoin de poids, rien de moins que le Grand Alexandre, le plus grand des conquérants de l’histoire du monde.

« Alors que le monde de la géopolitique est en proie à de sérieuses secousses, il est tout à fait approprié que le sommet des chefs d'État de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) de cette année ait eu lieu à Samarcande, l'ultime carrefour de la Route de la Soie depuis 2 500 ans.

» Lorsqu'en 329 avant J.-C., Alexandre le Grand a atteint la ville sogdienne de Marakanda, qui faisait alors partie de l'empire achéménide, il a été stupéfait : “Tout ce que j'ai entendu sur Samarcande est vrai, sauf que c'est encore plus beau que je ne l’avais imaginé”.

» Franchissons les millénaires jusqu’à un éditorial du président ouzbek Shavkat Mirziyoyev publié avant le sommet de l'OCS, où il souligne comment Samarcande peut désormais “devenir une plateforme capable d'unir et de réconcilier des États ayant des priorités de politique étrangère différentes.”

» Après tout, historiquement, le monde, du point de vue de l'emblème de la Route de la Soie, a toujours été “perçu comme un et indivisible, et non divisé”. C’est l’essence même d’un phénomène unique : ‘l’esprit de Samarcande’”.

» Et c’est ici que Mirziyoyev établit un lien entre “l’esprit de Samarcande” et “l’esprit de Shanghai” original de l'OCS, créé au début de l’année 2001, quelques mois avant les événements du 11 septembre, lorsque le monde a été plongé dans des conflits et une guerre sans fin, presque du jour au lendemain. »

La question de la comparaison entre l’OTAN et l’OCS qui a toujours été faite n’est pas de mise, d’abord selon cette appréciation, d’un point de vue d’une comptabilité russe que le bloc-BAO jugera absolument insupportable, faussaire, ‘fakenewsée’ et détournée des vraies vertus de la chose, – comptabilité selon laquelle l’OCS est « la plus grande organisation du monde parce qu’elle comprend la moitié de la population de la planète » (dixit le conseiller du Kremlin Iouri Ouchakov, – voyez la source...). L’OTAN n’a pas dans ses rangs la diversité finalement assez enjouée que l’on trouve dans l’OCS ; elle est corsetée dans un ‘Politiquement Correct’ de fous et de faux, sous l’influence de dirigeants qui ne semblent plus rien diriger de tout, et qui sont entraînés comme fétus de paille dans des obsessions cliniques qui les secouent de spasme et spasme.

Par exemple, à Samarcande, sous le souvenir d’Alexandre le Grand, l’Ukraine fut un sujet parmi d’autres et rien de plus, et l’on ne fut nullement obligé d’en passer, après s’être signé (éventuellement type-svastika), par l’incroyable et insupportable intervention télévisuelle du clown mal rasée, nez rouge remplacé par le t-shirt de combat. A Samarcande où l’on ne trouvait ni Stoltenberg ni von der Leyen, ils avaient troqué Zelenski pour Alexandre le Grand. « It’s not a bad deal » apprécierait Mercouris.

Aparté pakistanais

Mais il y eut autre chose, et cela finalement assez goûteux et succulent pour notre humeur, et qui demande quelques détails. C’est Alexandre Mercouris justement, dans son anglais impeccable, qui l’a déniché et l’a exposé, non sans une ironie complice. Mercouris, comme vous pouvez le voir dans sa vidéo (43’15”), buvait du petit lait.

« Bien, c’est assez pour cela [la rencontre Poutine-Xi]...

» ...Pour moi, la rencontre la plus extraordinaire et la plus remarquable de ce sommet de Samarcande n’a pas été celle de Poutine et de Xi, – bien que celle-ci ait été [politiquement] la plus importante, – mais celle de Poutine et du Premier ministre du Pakistan Shehbaz Sharif... »

Mercouris nous rappelle que le précédent Premier pakistanais, Emran Kahn, « esprit indépendant et très prorusse », se trouvait à Moscou lorsque fut annoncée l’“Opération Militaire Spéciale” en Ukraine, et qu’il ne fut nullement découragé d’avoir des entretiens très amicaux avec Poutine. Les Américains-américanistes ne cachèrent pas leur fureur, qui se manifesta rapidement par des manœuvres parlementaires, des changements dans la majorité mettant Khan en minorité au Parlement et l’obligeant à démissionner. On en conclut que les USA avaient donc frappé une fois de plus, selon les règles de leur art et en respectant leur propre souveraineté qui leur donne droit de s’occuper des affaires des autres, comme d’habitude. L’on se retrouvait ainsi avec une marionnette proaméricaniste et antirusse nommée Sharif.

Et voici que la “marionnette” rencontre Poutine, et voici que le Kremlin publie des extraits des déclarations de Sharif faites à Poutine lors de leur entretien. Mercouris nous les rapporte, avec ses clins d’yeux et ses sourires entendus.

« Je veux que vous [Poutine] sachiez que la mémoire le plus ancienne que j’ai de votre grand pays remonte à 1978-1979 quand j’étais un étudiant. C’était mon premier voyage dans un pays étranger, j’étais allé à Moscou pour me familiariser avec les  pratiques des affaires, selon le vœu de mon père... [...] Voilà le premier souvenir que je garde de votre grand pays. A cette époque, nous commençâmes à commercer entre le Pakistan et l’Union Soviétique. Notre première aciérie fut construite par l’Union Soviétique à Karachi...

» Nous avions de très bonnes relations avec l’Union Soviétique [du temps d’Ali Bhutto].[...]  Cette sorte de relations avec votre grand pays doit se poursuivre [et c’est ce que nous faisions]. Elles existent par elles-mêmes, elles n’ont aucun besoin d’être renforcées de l’extérieur, elles sont inclusives, elles ne se font aux dépens de personne.

» Votre excellence [c’est à Poutine qu’il parle !], nous voulons continuer à renforcer nos relations avec votre grand pays, avec un complet engagement et une complète implication parce que vous êtes une super-puissance...[...]

» Le Pakistan attend beaucoup de cette compréhension mutuelle, de cette coopération, avec la promotion du commerce et des investissements et d’autres domaines, comme le développement d’un gazoduc... [...]

» Monsieur le président, vous êtes un homme d’action, vous décidez et vous tenez parole. Je veux vous assurer que je veux travailler avec vous dans la plus grande proximité et pour notre plus grand bénéfice mutuel... »

Mercouris n’en dit guère plus que cette lecture, sinon un sourire entendu (suite) et un effet appuyé à l’évocation de la mise en place d’un gazoduc qui relierait la Russie au Pakistan, et peut-être jusqu’à l’Inde... L’anecdote que constitue le détail de cette déclaration (ainsi les grands esprits nommeront-ils la chose) illustre une fois de plus, indirectement mais avec une force qui doit être mesurée à son colossal déplacement, – la chute des capacités d’influence des USA. Il s’agit pourtant d’un pays, le Pakistan, où la présence obsédante et “légalement illégale” des USA, du renseignement US, des divers déploiements secrets US, des forces spéciales et des mercenaires US, de la corruption US, tout au long de l’aventure afghane dans tous les cas, semblait garantir une mainmise américaniste à long terme, et écarter le genre d’erreur d’évaluation qu’a constitué l’opération du remplacement de Khan par Sharif. Effectivement, si Sharif était censé être proaméricaniste et opposé à la ligne prorusse de Khan, et antipoutinien par conséquent, qu’est-ce que cela donnerait qu’être antiaméricaniste, aujourd’hui au Pakistan ?! Alors que la haine et la condamnation de Poutine sont aujourd’hui des articles impératifs de la foi de l’américanisme et du catéchisme du bloc-BAO ?!

Curieux cela, par rapport aux ébranlements massifs dont témoigne cette réunion de Samarcande. Mais nous serions bien tenté de penser que c’est un peu dans cette sorte de “détails” plus même que dans l’affirmation de l’OCS, qu’on peut apprécier l’effondrement de l’hégémonie américaniste. L’absence de sens psychologique (méconnaissance des hommes impliqués), la maladresse et la lourdeur des manipulations, choses qu’on vous pardonne lorsqu’on est tout-puissants, devienne des détails qui tuent lorsque les eaux sont basses. Comme disent les cousins anglais, “le diable est dans les détails”.

 

Mis en ligne le 17 septembre 2022 à 17H15