« ...Sous nos yeux à tous. »

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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« ...Sous nos yeux à tous. »

24 février 2021 – « ... Nous sommes en train de devenir un État ... totalitaire sous nos yeux à tous »... La phrase paraîtra anodine aux esprits forts, ceux-là qui, inlassablement et chaque jour, nous dévoilent les mystères de ce monde en fusion, les entrelacs des conspirations et des manipulations dont ils connaissent tous les labyrinthes et entrelacs. Je laisse les esprits forts à leurs occupations.

Il y a, comme ça, des moments, des instants qui vous paraissent soudain emportés et haussés comme par une sorte de grâce ; nullement parce qu’ils vous enchantent ou vous séduisent comme par enchantement, nullement parce qu’ils vous prédisent que vos illusions n’en sont pas et que les lendemains chanteront, mais parce que vous distinguez en eux une profonde vérité . Je dis cela, même, et dans cette époque-là que nous vivons, – même et malgré que cette vérité découvre ce que vous deviniez implicitement sinon explicitement, un champ de désastre catastrophique où règnent les ruines ; tant il est une fulgurance de l’intuition qui dit que rencontrer un instant de vérité dans un univers désintégré par le chaos humain du simulacre, de la narrative , de l’acquiescement au mensonge général, même si cette vérité est terrible, cela conduit effectivement à une restauration complète de votre dignité. C’est cela, un moment de grâce, non pour ce qu’il est mais par ce qu’il vous donne, ce qu’il ranime en vous.

Qu’on me pardonne cette introduction qui paraîtra fort exaltée, voire disproportionnée sinon suspecte à certains, lorsqu’on en saura l’objet. Il faut s’abstraire des circonstances de rencontre, débarrasser les personnes et les mots des charges habituelles des analyses et des contingences politiques. Ce que j’ai à exposer ici est la force du sentiment que j’ai ressenti, après en avoir exposé les circonstances et les mots dans le détail, et je n’ignore pas que l’on pourrait en juger avec la plus grande suspicion, sinon le sarcasme de la raillerie.

... Et l’on verra combien, dans la discussion comme dans les commentaires qui l’accompagnent alors qu’il est au départ question de la façon dont est appréhendée la crise de la pandémie de la Covid, les appréciations qui viennent à l’esprit, les intuitions qui nous conduisent, disparaît bien vite la dimension sanitaire. Nous n’en sommes plus à discuter virus, hospitalisations, vaccination, quelque intérêt qu’on puisse trouver à ces sujets, même dans les plus virulentes polémiques. Rapidement, si rapidement, tout cela est transmuté non pas en termes politiques mais bel et bien, pour mon compte et selon ma perception sans aucun doute, en termes métahistoriques ; pour cette raison relevant de l’évidence, il est évidemment question de la Grande Crise.

Quoi qu’il en soit et pour faire un début, commençons effectivement par ce qu’il y a de plus commun : les circonstances elles-mêmes, passées au tamis des moyens de cette chose qui marque la modernité, la communication, et cela se passe aux États-Unis où gronde le plus intensément la fureur de cette immense crise qui nous frappe tous ; car si les États-Unis mènent le monde aujourd’hui comme on ne cesse de le psalmodier, c’est bien dans le domaine de la crise, – de la Grande Crise, veux-je dire !

L’un des deux personnages principaux se nomme Noami Wolf. C’est une auteure comme l’on dit aujourd’hui, et une activiste féministe, une intellectuelle de la haute bourgeoisie juive de l’élite dite ‘libérale’ au sens américaniste, de la côte Est et New-Yorkaise. Démocrate et progressiste, elle fut dans l’équipe qui permit à Bill Clinton d’être réélu en 1996. Son Wiki nous dit notamment ceci, pour fixer bien les idées :
« Avec la publication de ‘Quand la beauté fait mal, elle est devenue l'une des représentantes de ce qui sera décrit plus tard comme la ‘troisième vague féministe’. Elle reste une avocate des causes féministes et des politiques progressistes, insistant ces dernières années sur une dégradation des institutions démocratiques aux Etats-Unis. »

Lundi soir, elle passait, de façon bien inhabituelle pour elle puisque le réseau est de réputation conservateur, sur Fox.News. C’est d’abord sur ‘Epoch Times’ que j’ai eu la nouvelle, avec quelques détails qui se suffisent à eux-mêmes pour rendre compte de ses déclarations :

« L’ancienne officielle du parti démocrate Naomi Wolf, qui a aidé l’ancien président Clinton lors de sa réélection, a déclaré à Fox News lundi soir que la nation “se dirige vers une situation de coup d’État, vers un État policier” en raison des mesures de [restriction et de confinement dues à la pandémie-Covid].
» “Ce n’est pas une question partisane”, a déclaré Wolf lors de son interview. “Cela transcende tout ce sur quoi vous et moi pourrions être en désaccord ou en plein accord. Cela devrait rassembler la gauche et la droite pour protéger notre Constitution.”
» Ces derniers mois, Wolf a utilisé son compte Twitter pour mettre en garde contre les ordres de fermeture des gouverneurs ainsi que contre la volonté du président Joe Biden de mettre en place des fermetures supplémentaires en raison de la pandémie.
» “L’État a écrasé les entreprises, il nous empêche de nous réunir librement pour pratiquer notre culte comme le prévoit le Premier Amendement, il prend possession de nos corps ... ce qui est une violation du Quatrième Amendement, il restreint notre circulation, on nous inflige des amendes dans l’État de New York ... les violations se poursuivent”...
» Wolf a expliqué que l’autoritarisme est mis en place sous le couvert de la sûreté et de la sécurité.
» “Nous en sommes à une situation que je n’aurais jamais pensé voir de mon vivant ... C’est la dernière marche avant la suspension de l’État de droit, c’est là que vous commencez à être un État policier, et nous en sommes là. Et il n’y a aucun moyen de contourner cette marche”, a-t-elle poursuivi.
» “Ils s’en servent pour prendre des mesures d’urgence qui nous privent de nos droits : droits à la propriété, droits de réunion, droits de culte, tous les droits garantis par la Constitution”, a-t-elle déclaré, faisant valoir que “de telles mesures n’ont jamais été prises dans aucune circonstance, [y compris durant les périodes de guerre] et, en vérité, nous sommes en train de devenir un État ... totalitaire sous nos yeux à tous”. »

Ayant lu cela, j’ai suivi le lien de ce qui était indiqué comme “Fox.News”, sans autre précision. Je me disais que, vu l’horaire, la notoriété de l’invitée et la teneur de ses déclarations, ce pourrait être avec Tucker Carlson. C’est effectivement cas : Carlson, lundi soir, à son émission habituelle. Le lendemain (hier soir pour nous), on pouvait lire ce tweet, de Noami Wolf, témoignant du succès de vision du segment Carlson-Wolf :
« Merci d’avoir publié cette discussion sur la manière dont la gauche et la droite doivent s’unir pour lutter contre la tyrannie imposée à notre nation sous la dissimulation d’une crise médicale. 303 200 ‘vues’. Les gens me contactent pour exprimer leur appréciation pour cette conversation transpartisane et m’offrir leur soutien… »

Je m’arrête à cette improbable mais roborative rencontre, parce que je la trouve symbolique de beaucoup de vérités terribles que nous devons affronter. D’abord, il faut être bien conscient qu’il s’agit de deux stars qui, normalement, devraient être proches des insultes pour plaider leurs causes respectives, comme c’est l’usage devenu. Wolf est une féministe-progressiste, sérieuse, intellectuelle, pas une de ces folles qui voudraient faire guillotiner tous les « mâles blancs » (Ou les châtrer non ? C’est peut-être plus opportun, je veux dire plus humaniste) ; mais dans tous les cas diurais-je, une démocrate progressiste que l’on prend au sérieux. Carlson, on le connaît, vedette incontestée des conservateurs-populistes, éventuellement trumpistes, avec un abattage exceptionnel et dévastateur. Il est le « mâle blanc » que tout citoyen progressiste US plus ou moins wokeniste adore haïr absolument.

Pour débuter l’entretien qui fut effectivement chaleureux, Carlson dit qu’il n’aurait « jamais cru pouvoir [parler à Wolf] sinon sur des sujets sur lesquels nous sommes en complet désaccord », et de saluer son « courage » de venir à cet entretien qui pourrait lui coûter pas mal de critiques de certains de ses (faux-)amis. Le reste de l’entretien fut consacrée essentiellement à l’intervention de Wolf, dont on a lu quelques extraits, et pour lesquels Carlson ne pouvait qu’approuver, lui-même terminant en disant le plaisir qu’il avait eu à cette ‘conversation’, et constatant ainsi que deux personnalités si opposées sur tant de sujets, pouvaient trouver une entente commune sur l’essentiel ; lui-même, Carlson, partageant la même tristesse, le même désarroi, la même incompréhension qu’exprimait Wolf, devant le caractère extraordinaire de cette “situation d’urgence” sans précédent, pour ses abus de pouvoir, pour ses violations de la Constitution, sur une telle durée, alors qu’il y eut tant d’épisodes dans l’histoire (notamment d’autres pandémies, et de si graves) qui ne justifièrent jamais de telles mesures ; et ces mesures, tout cela, ayant pour effet effectivement de mettre en place un « État policier... un État... totalitaire sous nos yeux à tous ».

Maintenant, extrayons-nous du contexte américain/américaniste. Vous comprenez que c’est une ‘conversation’, entre adversaires idéologiques, qui aurait son sens et sa raison d’être dans n’importe lequel de nos pays du bloc-BAO, déchiré par les mêmes divisions et contraint par le même autoritarisme absurde et prisonnier de lui-même (pas besoin de complots, – bêtise, hybris et aveuglement suffisent à la besogne) ; pour en venir, clopin-clopant dans le tonnerre des imprécations et des narrative, à sacrifier les fondements d’une existence sociale et humaine acceptable et responsable. Ce qui me fait parler d’une “sorte de grâce” à propos de cette rencontre aussi courte et pourtant si exceptionnellement significative, c’est l’espèce de volonté d’amnistie, – cet acte si haut (*), – entre tous les partis et les engagements, y compris ceux qui s’opposent frontalement en général, dans ce cas pour faire face à un danger commun, venu d’en-dehors, qui menace toute la structure sociale et la structuration psychologique des êtres.

... C’est aussi une “sorte de grâce”, à écouter ces deux-là, dans l’observation que leur échange implique la réalisation d’un danger qui plane, qui rode et nous menace, et qui n’est pas vraiment de facture humaine. Tous les deux sont de partis opposés qui s’accusent en général l’un l’autre d’installer ce totalitarisme, et rien de cela ne transpire en aucune façon de leur échange ; ce qui doit nous conduire intuitivement à prendre le ‘pari pascalien’ de l’absence d’arrière-pensées et d’une innocence commune en la matière.

Cette “sorte de grâce” n’est pas nécessairement une promesse de bien-être comme on pourrait le croire lorsqu’on parle de “grâce”, mais l’instant du partage d’une vérité commune, enfin reconnue comme telle. A les entendre, effectivement, on croirait qu’ils écoutent d’une même oreille, celle de la sagesse que l’antique sentinelle de la nation indienne pose contre le sol pour écouter les grondements telluriques de la colère des dieux, autant que des manigances des démons. Que reconnaissent-ils ensemble, dans cette affreuse occurrence où des constructions humaines qui se glorifient d’avoir inventé la liberté du monde, travaillent d’arrache-pied à pulvériser cette liberté ? Est-ce le DeepState, la machinerie du Système devenu fou et qui emporte ses serviteurs les plus zélés, attachés à leur ultime croyance et inconscients des ravages que cet aveuglement cause à la structure du monde ?

Mon ‘pari pascalien’, effectivement comme une “sorte de grâce”, est qu’ils ont identifié de concert les mugissements de la Grande Crise de l’Effondrement du Système, qui emprunte les chemins tortueux et furieux de la déconstruction du monde, et que cette vérité perçue en commun les rapproche et les unit. On comprend leur sidération, on partage leur affliction commune, on n’ose leur dire qu’il faut en passer par là pour être quitte un jour qui n’est plus si loin des maléfices brutaux qui pèsent sur l’espèce. Au moins, ceux-là, dans cet instant, ont reconnu la terrible vérité de cette terrible époque de la Fin des Temps (la fin des temps du Système).

Si ce n’est une “sorte de grâce” ...
 

Note

(*) “Amnistie”, du grec “ἀμνηστία”, et signifiant “oubli” ; il s’agit d’« une notion de droit pénal qu’on peut définir comme “l’acte qui dispose que des fautes passées devront être oubliées, et qui interdit à quiconque de les rechercher ou de les évoquer sous peine de sanctions” ».