START-II en perspective (russe)

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Nous nous arrêtons à une intéressante analyse du commentateur Andreï Fediachine, de Novosti, sur le traité START-II (du 29 mars 2010). Commentateur politique et stratégique de l’agence, Fediachine a des contacts avec divers milieux dirigeants et experts à Moscou. Il n’exprime nullement une “position” officieuse à côté de l’officielle mais il rend bien compte de l’analyse qu’on fait, à Moscou, d’un problème aussi fondamental que celui que pose START-II.

«Il est enfin clair que le “redémarrage” russo-américain sera officiellement lancé le 8 avril à Prague lors de la signature du nouveau traité START.

»Pourtant, il s’agit plutôt d’un redémarrage Obama-Medvedev, alors qu’un véritable redémarrage Russie - États-Unis se heurte toujours à de nombreux obstacles. Le traité étant pratiquement né, on ignore toujours quand les Américains “lui feront faire ses premiers pas”, c’est-à-dire ratifieront le document au Congrès. Les parties sont convenues de soumettre simultanément le texte aux parlements des deux pays, juste après sa signature. Or, un grand nombre de sénateurs américains irrités feront tout pour lui bloquer la voie.

»On n’en connaît pour le moment que les grandes lignes, mais les 41 républicains du Sénat américain ont déjà fait savoir leur volonté de ne pas approuver cet accord. Ainsi, ils ne le ratifieront pas: 1) si l’administration refuse de procéder à une modernisation radicale des missiles balistiques intercontinentaux et 2) si elle conserve le rapport entre les armes nucléaires offensives et la défense antimissile. Si la première condition reste en effet réalisable, le deuxième “si” exige une modification du traité, chose inacceptable pour Moscou.

»La Russie a déjà été obligée de consentir au caractère très vague de la définition du lien entre l’ABM et le potentiel nucléaire qui figure dans l’accord. Au lieu d’interdire de façon directe toute modification du système stratégique ABM, clause sur laquelle Moscou a d’abord insisté, le préambule indique tout simplement un rapport entre les armements stratégiques offensifs et la défense antimissile. Le texte constate notamment que cette dernière favorise la course aux armements nucléaires. C’est surtout cette assertion quelque peu philosophique qui inquiète le plus les républicains et pourrait compliquer le sort du traité au Sénat.»

Notre commentaire

@PAYANT …Admirons donc la modération de Fediachine, lui qui ne recule pas d'habitude devant le sarcasme et le scepticisme, et la façon dont il sait observer avec prudence quelques grands traits qui, selon, lui, marquent ce traité. A le lire, un peu entre les lignes, il apparaîtrait évident que le traité satisfait les Russes. Nous nous sommes arrêtés à ce passage essentiellement, qui est le début de l’analyse, qui semble montrer cette satisfaction, malgré la mention de concessions de la part des Russes, autant que la prudence qui marque le commentaire. Cette satisfaction est toute contenue dans l’observation initiale («Il est enfin clair que le “redémarrage” russo-américain sera officiellement lancé le 8 avril à Prague lors de la signature du nouveau traité START»).

Le reste du texte est donc marqué par la prudence, la retenue, la sobriété sinon l’absence de commentaires officiels du côté russe. On ne peut même pas parler d’une certaine insatisfaction, comme on pouvait être tenté de le faire d’abord, lorsque le traité fut annoncé. Il semblerait que les Russes croisent les doigts jusqu’au 8 avril, et même qu’ils seront obligés de continuer à les croiser bien après, lorsque le traité ira devant le Sénat.

Ainsi le texte de Fediachine, commentateur effectivement chevronné et bien informé, nous permet-il de développer plus avant une analyse de la part des Russes, sur la position des Russes, non seulement sur le traité START-II, mais plus encore que sur ce traité, sur la situation aux USA, sur la situation d’Obama au sein de son gouvernement, face au Congrès. Les Russes ne s’en sont pas laissés compter par la “victoire historique” d’Obama devant la Chambre, le 21 mars, et ils connaissent bien l’état effroyable de désordre qui règne, d’une part à Washington au sein de l’establishment, d’autre par dans le pays lui-même, aux USA. Ils sont persuadés que les USA sont dans l’état d’une latence explosive. En l’occurrence, et quels que soient leurs propres intérêts, ils jugent qu’avec START-II en l’état qui semble maintenir une soupape de sécurité pour leurs préoccupations concernant les anti-missiles, l’intérêt général est que ce traité passe la ratification du Sénat parce qu’il constituera une pierre solide de la normalisation des relations de la Russie, non seulement avec les USA, mais avec l’Occident dans son entier, l’Occident dans sa version de “monde atlantiste” qu’elle est avec l’OTAN. Le but des Russes est effectivement de parvenir à cette stabilité pour, éventuellement, faire évoluer ce “monde atlantiste”, éventuellement en le fractionnant, en modifiant les relations qu’il peut avoir avec lui, ou avec certaines parties de ce monde. D’une certaine façon, START-II, dont la signification s’est transformée à mesure que diverses affaires en ont changé la perception (l’affaire des anti-missiles, les difficultés de négociation mais aussi les difficultés d’Obama à Washington), est devenu, ou est en train de devenir pour les Russes un enjeu qui dépasse largement les domaines qu’ils couvrent. Raisonnons a contrario: si START-II échoue au Sénat des Etats-Unis, ce sont toutes les relations entre les USA et la Russie, et aussi toutes les relations intra-européennes qui seront bouleversées, et beaucoup plus dans le sens du chaos que dans le sens de l’affrontement linéaire (resucée de l’affrontement Est-Ouest); enfin, ce sera la situation même des USA, où l'on se sera tant déchirés à propos de START-II, qui sera aggravée dans le sens du désordre, accroissant ainsi l'instabilité de ce pays avec les craintes qu'on peut avoir à cet égard.

C’est bien cela. A la lumière de l’évolution des réactions des uns et des autres, de ce commentaire de Fediachine pris comme référence, notre appréciation est que START-II est en train de dépasser très largement son cadre. Il est en train de devenir l’enjeu, non pas des relations de la Russie avec les USA (avec l’Ouest), mais l’enjeu entre la stabilité ou le chaos, selon qu’il sera adopté ou pas, dans toute la zone qui va de la Russie aux USA, et aux USA même. Cela nous paraît un prolongement important, qui s’est fait en quelques jours, qui est en train de se faire pourrait-on dire. La question de la stabilité ou du chaos, et non plus la seule question de la stabilité stratégique, en est devenue l’enjeu, et les Russes, qui ont l’oreille fine, semblent le percevoir.

Dans le commentaire de Fediachine, la question des anti-missiles (armes défensives, ou ABM) semble être devenir secondaire au profit de la nécessité de faire ratifier le traité. Mais il est entendu qu’il y a, pour les Russes, un seuil minimum au-dessous duquel on ne peut aller, d’où la nécessité de ne rien modifier au traité, et une raison de plus qu’il soit ratifié directement, sans accroc. L’affaire a changé de sens. Notre appréciation est que ce changement, tel que nous le percevons, ne règle pas tout. Si tout se déroule conformément aux vœux des Russes (signature du traité, ratification sans modification, etc.), comme l’écrit Fediachine, “le ‘redémarrage’ russo-américain [aura été] officiellement lancé”; mais cela ne durera qu’un temps très court et, très vite, la question des anti-missiles ressurgira, – on peut faire confiance au Pentagone qui agit en l’occurrence comme un corps autonome. Sans doute nombre de dirigeants et commentateurs russes se doutent-ils de quelque chose à cet égard, mais, pour l’instant, ils repoussent ces préoccupations à plus tard.

Dans cette affaire, les Russes sont comme une sorte de médecin au chevet d’un grand malade, le système de l’américanisme, agité de convulsions, et le médecin espérant qu’une drogue nouvelle nommée START-II, si elle est acceptée par le malade, calmera un temps les convulsions. Aussi le médecin emploie-t-il tout son pouvoir de persuasion, toute sa retenue pour faire accepter la médecine. Mais il ne doit pas ignorer que, comme tous les calmants, l’effet de celui-ci, même accepté, n’aura qu’un temps. Et comme les temps vont vite, ce temps sera très court.


Mis en ligne le 1er avril 2010 à 07H23