Stendhal et la médiocrité américaine

Les Carnets de Nicolas Bonnal

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Stendhal et la médiocrité américaine

Stendhal aimait une société qu'il cherchait à détruire. D'un côté il était bonapartiste, athée, républicain, de l'autre il aimait les marquises (comparez la Sanseverina à Bovary pour voir !), les cours italiennes, les papotages élégants et les bonnes manières en voie de disparition. Car derrière la république il voyait le bourgeois.

Il suffit d'aller à la source pour lire, sur cette belle question du temps immobile et américanisé, les sentences suivantes, toutes extraites de Lucien Leuwen ou de ses préfaces (sur ebooksgratuits.com).

Epicerie mondialisée :

« L’auteur ne voudrait pour rien au monde vivre sous une démocratie semblable à celle d’Amérique, pour la raison qu’il aime mieux faire la cour à M. le ministre de l’Intérieur qu’à l’épicier du coin de la rue (deuxième préface). »

Intolérance démocratique :

« Le journaliste qui élèvera des doutes sur le bulletin de la dernière bataille sera traité comme un traître, comme l’allié de l’ennemi, massacré comme font les républicains d’Amérique (ibid.). »

Déclin du goût et de la joie :

« Je m’ennuierais en Amérique, au milieu d’hommes parfaitement justes et raisonnables, si l’on veut, mais grossiers, mais ne songeant qu’aux dollars. Ils me parleraient de leurs dix vaches, qui doivent leur donner au printemps prochain dix veaux, et moi j’aime à parler de l’éloquence de M. Lamennais, ou du talent de madame Malibran comparé à celui de madame Pasta ; je ne puis vivre avec des hommes incapables d’idées fines, si vertueux qu’ils soient ; je préférerais cent fois les mœurs élégantes d’une cour corrompue (p.116). »

Talleyrand et Washington :

« Washington m’eût ennuyé à la mort, et j’aime mieux me trouver dans le même salon que M. de Talleyrand. Donc la sensation de l’estime n’est pas tout pour moi ; j’ai besoin des plaisirs donnés par une ancienne civilisation (P.117)… »

Dégoût du bon sens :

« J’ai horreur du bon sens fastidieux d’un Américain. Les récits de la vie du jeune général Bonaparte me transportent ; c’est pour moi Homère, le Tasse, et cent fois mieux encore. La moralité américaine me semble d’une abominable vulgarité, et en lisant les ouvrages de leurs hommes distingués, je n’éprouve qu’un désir, c’est de ne jamais les rencontrer dans le monde. Ce pays modèle me semble le triomphe de la médiocrité sotte et égoïste, et, sous peine de périr, il faut lui faire la cour (p.117). »

L'argent, bien sûr, encore et toujours :

« Mais je ne puis préférer l’Amérique à la France ; l’argent n’est pas tout pour moi, et la démocratie est trop âpre pour ma façon de sentir (p.120). »

Aussi fort que Tocqueville ici, Stendhal et la tyrannie démocratique :

« Puis-je, après cela, me dire républicain ? Ceci me montre que je ne suis pas fait pour vivre sous une république ; ce serait pour moi la tyrannie de toutes les médiocrités, et je ne puis supporter de sang-froid même les plus estimables. Il me faut un premier ministre coquin et amusant, comme Walpole ou M. de Talleyrand (p.158). »

L'horreur électorale :

« Ah ! l’Amérique !… À New York, la charrette gouvernative est tombée dans l’ornière opposée à la nôtre. Le suffrage universel règne en tyran, et en tyran aux mains sales. Si je ne plais pas à mon cordonnier, il répand sur mon compte une calomnie... Les hommes ne sont pas pesés, mais comptés, et le vote du plus grossier des artisans compte autant que celui de Jefferson, et souvent rencontre plus de sympathie. Le clergé les hébète encore plus que nous ; ils font descendre un dimanche matin un voyageur qui court dans la malle-poste parce que, en voyageant le dimanche, il fait oeuvre servile et commet un gros péché… Cette grossièreté universelle et sombre m’étoufferait (p.858)…»

Mais Stendhal se fait peu d'illusions sur le futur fatigué du gaulois :

« Prenez un petit marchand de Rouen ou de Lyon, avare et sans imagination, et vous aurez un Américain. » C'est Taine qui expliquera que le bourgeois créé par notre monarchie serait ce tsunami qui finirait par tout emporter.