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372Dans l’imbroglio général de la crise, ou dans l’échiquier des influences c’est selon, la position du Prix Nobel 2001, ex-haut fonctionnaire de la Banque Mondiale qu’il a quittée en claquant la porte, le semi-“dissident” Joseph (Joe) Stiglitz, représente un cas non négligeable, une situation révélatrice, etc., pour mesurer la situation intellectuelle du pouvoir et de l’accès au pouvoir aux USA avec Obama. Il s’avère, au long d’une analyse-portrait de Bloomberg.News du 13 mars, que l’économiste un peu iconoclaste et éventuellement provocateur, grande gueule et caractère insupportable, tient une position particulièrement importante comme inspirateur, – ce qui est le contraire d’un aspirateur, – mais inspirateur du dehors comme nous disions.
D’abord, Stiglitz est un furieux, assez peu souple et trop mal embouché pour supporter toutes les contraintes du conformisme automatisé de type “group-thinking” et virtualiste qu’on trouve dans les bureaucraties américanistes. Il n’est pas avec l’équipe Obama, du moins formellement, parce qu’il ne supporterait pas les contraintes des milieux du pouvoir. Ce n’est ni ostracisme, ni mise à l’index idéologique. («[H]is outspokenness excludes him from government, said David Ellerman, who worked with the economist at the World Bank in the 1990s»). La popularité de Stiglitz dans son milieu intellectuel et dans la communication est à mesure de son influence.
«Like fellow Nobel laureate Paul Krugman, who writes a column for the New York Times, Stiglitz has his own forum, contributing regularly to Vanity Fair magazine. His articles, with titles including “Capitalist Fools,” are spread through the Internet via sites such as DemocraticUnderground.com and DailyKos.com.
»Stiglitz’s work is cited in economic papers by more people than that of any of his peers, according to a February ranking by Research Papers in Economics, an international database. Obama adviser Lawrence Summers is 11th on the list and Federal Reserve Chairman Ben S. Bernanke 34th. […]
»Stiglitz receives more than 50 requests from the media each week for comments, travels constantly, and delivers a speech almost every day, said his wife, Anya Schiffrin.
A l’égard du gouvernement Obama, et d’Obama lui-même, il existe des situations qui montrent de manière irréfutable l’influence de Stiglitz, autant que la facilité avec laquelle s’exerce cette influence. De même, cette situation n’empêche par des critiques ouvertes de Stiglitz adressées à certains membres puissants de l’équipe Obama.
«Joseph Stiglitz’s 2003 book “The Roaring Nineties” is a cornerstone of President Barack Obama’s blueprint to reshape the U.S. economy. […] A plan Obama was considering to buy illiquid assets on banks’ balance sheets amounted to swapping taxpayers’ “cash for trash,” Stiglitz, 66, said in January interviews at the World Economic Forum in Davos, Switzerland. “I’m hopefully shaping some of the debate and some of the policies and framing the discussion.” […]
“The Roaring Nineties” (W.W. Norton & Company, 432 pages, $15.95) argued that the deregulation and market excesses of the 1990s laid the seeds of later crises. It inspired a speech by Obama a year ago, said a top aide from the Obama campaign, who spoke on the condition he wouldn’t be identified. The address laid out the president’s plan to reinstate and modernize regulation of Wall Street to avoid further crises.
»Stiglitz also mentored several members of Obama’s economic team, including budget director Peter Orszag, 40, and Jason Furman, 38, deputy director of the National Economic Council.
»Still, Stiglitz is critical of how the president plans to rescue the economy and questions his appointment of Summers as his top economic adviser. It’s “a real concern” that people such as Summers, “who have been openly on the side of deregulation,” are back in positions of power, said Stiglitz. The presidential adviser helped secure passage of the 1999 Gramm-Leach-Bliley Act, which repealed longstanding banking regulations.
[…]
»[Stiglitz] won the Nobel in 2001 for showing that markets are inefficient when all parties in a transaction don’t have equal access to critical information, which is most of the time. “Adam Smith’s invisible hand – the idea that free markets lead to efficiency as if guided by unseen forces – is invisible, at least in part, because it is not there,” Stiglitz wrote in a 2002 article in The Guardian newspaper. The idea implies that there’s an important role for government to play in the economy, he wrote.
»“This is Joe’s moment in time,” said Jared Bernstein, chief economist for Vice President Joe Biden. Bernstein, who calls himself a Stiglitz “disciple,” said the economist “understood the tendency for markets to fail in ways that nobody else did. He was way ahead of the rest of us.”»
Le cas Stiglitz est très intéressant, presque fascinant, moins pour le contenu de sa pensée (qui n’entre nullement en ligne de compte dans notre analyse ici) que pour apprécier la situation structurelle du pouvoir aujourd’hui. Son cas vaut particulièrement pour le pouvoir aux USA, parce qu’il s’avère et se confirme que ce pouvoir connaît des chaos et des bouleversements considérables dans ses orientations et dans sa méthode avec l’arrivée d’Obama, essentiellement par rapport et contraste facile avec ce qui a précédé, après huit ans d’“évasion”, ou d’enfermement plutôt, dans un monde presque irréel à force de conformisme et de réduction de la pensée aux schématismes les plus sommaires, littéralement du niveau de l’idiotie pathologique. Pourtant, cette situation (aux USA) n’est pas différente en substance de celle des pouvoirs politiques en général en Occident, “dans la famille occidentale” comme les experts parisiens affectionnent aujourd’hui de nommer la situation d’interdépendance des pays du système autour d’un “centre” (les USA) en fluctuation et lui-même en crise profonde, dont l’influence se mesure aujourd’hui au désarroi et à l’ébahissement devant l’évolution de la situation.
Nous ne pensons pas que la position actuelle de Stiglitz aurait été possible avant la crise et ses prémisses, c’est-à-dire avant 2008. Son départ tonitruant de la Banque Mondiale l’avait placé dans la dissidence, bien que sa distinction du Prix Nobel l’ait maintenu bien entendu dans une position de notoriété et avec un statut confortable. Mais jusqu’en 2008, il faisait vraiment partie de l’“opposition” dissidente, rejetée par le système (ses travaux sur le coût de la guerre en Irak ont marqué cette position), c’est-à-dire au-delà d’un mur infranchissable sinon au prix d’un conformisme de pensée et de langage dont l’excitation hystérique et quasi-éjaculatrice des néo-conservateurs assurait la police dans un style notoirement terroriste. Depuis 2008, et singulièrement depuis septembre 2008, Stiglitz est devenu une référence importante, dont il est entendu pourtant qu’elle ne peut être “institutionnalisée” dans les structures de gouvernement. Nous ne pensons pas qu’elle en soit pour autant amoindrie, par rapport à tout ce qu’elle peut donner (car, bien entendu, l’influence de Stiglitz a des limites per se et elle n’est pas nécessairement bénéfique; répétons que nous abordons son cas ici seulement selon ce qu’il nous dit du fonctionnement du système).
La position et l’influence de Stiglitz donnent indirectement une bonne mesure du désarroi du système, de son impuissance durable devant la crise dans la mesure où cette crise détruit constamment les seules références jusqu’ici autorisées. (Cette activité destructrice constante de la crise fournit une bonne description d’un cas inattendu de “destruction créatrice”, un cas où la thèse de la “destruction créatrice” des neocons et des capitalistes extrémistes est retournée contre eux.) Le cas Stiglitz montre que le système est devenu perméable aux influences non conformes par nécessité, et d’ailleurs sans la moindre garantie que cela puisse le changer tant ce système est à la fois prisonnier et géniteur automatique de structures d’automatisme extrêmement contraignantes. D’où cette position de Stiglitz, à la fois de très forte influence, à la fois en dehors des structures du pouvoir, – une position très caractéristique par contraste de la crise du pouvoir, à la fois de son emprisonnement et de son désarroi le poussant vers une recherche de certaines ouvertures.
Mis en ligne le 14 mars 2009 à 05H11