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349David Stockman fut, au début des années 1980 (nommé par Reagan en 1981) le plus jeune directeur du puissant Office of Management and Budget (OMB) qui gère le budget des USA. Il prit une part active à ce que les conservateurs saluent comme le redressement de l’économie des USA avec les années Reagan. Il vient de donner une interview à RAW Story, le 10 janvier 2011, qui constitue un avertissement dramatique, – un de plus, certes… Dans sa course de folles dépenses actuelles, le Pentagone est sur le point d’emporter le gouvernement fédéral dans un effondrement catastrophique. Ce que préconise Stockman, c’est une décision révolutionnaire de “démobilisation” semblable à celles qui eurent lieu en 1918-1920 et en 1945-46.
Cette interview se place dans le cadre bienvenu de l’extrême proximité du 50ème anniversaire du fameux discours du président Eisenhower, le 17 janvier 1960, sur le “complexe militaro-industriel” (CMI).
«The Obama administration's $78 billion cut to US defense spending is a mere “pin-prick” to a behemoth military-industrial complex that must drastically shrink for the good of the republic, a former Reagan administration budget director recently told Raw Story.
»“It amounts to a failed opportunity to recognize that we are now at a historical inflection point at which the time has arrived for a classic post-war demobilization of the entire military establishment,” David Stockman said in an exclusive interview.
»“The Cold War is long over,” he continued. “The wars of occupation are almost over and were complete failures – Afghanistan and Iraq. The American empire is done. There are no real seriously armed enemies left in the world that can possibly justify an $800 billion national defense and security establishment, including Homeland Security.”
»Short of that, he suggested, the United States has “reached the point of no return” with its artificial creation of wealth, and will eventually face a sharp economic decline.
»Stockman last fall criticized the extension of the Bush tax cuts while the federal government continued to borrow money abroad to pay for its public welfare and warfare programs. His solution to deficit spending – a huge across-the-board tax increase – is contrary to the current anti-tax ideology shared among tea party activists as well as fiscal conservatives in the Republican Party.
»Stockman, who was appointed by President Ronald Reagan in 1981 to run the Office of Management and Budget, offered two models for the US military's compulsory demobilization: the one after World War I in 1920 and the one after World War II in 1946.
»Calling today's military spending running at 5.4 percent of GDP "simply an absurd level that begs for radical contraction and surgery," he said that a “reasonable target” to shrink the defense establishment would be 3 percent of GDP by 2015. […]
»“Unless you have a profound change in foreign policy, you're not going to have the possibility of a radical change in defense spending. The later follows from the former,” he said. “This is a profound disappointment that there's not even a debate – a serious debate about dramatic change in our imperialist foreign policy and war-making establishment in this administration – allegedly the most left-wing administration that we've had in modern time.”
»“I don't have much hope that what needs to be done will be done until it's finally forced on us by a world bond market crisis, which will happen sooner or later,” Stockman added. […]
»“We've reached a point of no return. The size of the government. The massive size of the deficits and the national debt that has been created. The precedents that have been established for bailouts and intervention in every sector of the economy. The K Street lobbying system which totally dominates the Congress. All of these are very unhealthy developments.
»“And I'm not sure how they are going to be reversed or eliminated,” he concluded. “It may be a permanent way of life. Then, if it is, it'll be both a corruption of democracy and a serious weakening of the private capitalistic economy.”»
@PAYANT Au début des années 1980, Stockman fut une des vedettes de l’administration Reagan. Sa jeunesse, ses idées radicales, son indépendance d’esprit et sa conduite vigoureuse de l’OMB étaient certaines des marques de cette célébrité. Déjà, à cette époque, Stockman bataillait ferme contre le secrétaire à la défense Weinberger pour contenir les augmentations importantes du budget de la défense qu’avait décidées Reagan. Bien qu’il ait dû souvent s’incliner, Stockman laissa sa marque, même chez Reagan, et renforça paradoxalement (par rapport à ces dépenses de défense) la conviction du président de la nécessité de lutter par tous les moyens contre le déficit (d’où la loi Gramm-Rudman de 1985, votée par le Congrès avec le soutien enthousiaste de Reagan, qui limitait par loi le déficit public ; mais Gramm-Rudman ne vécut que quelques années avant d’être réduite à rien par une nouvelle loi, la Budget Balanced Act de 1990).
C’est donc l’avis d’un expert budgétaire que donne Stockman, et d’un expert budgétaire particulièrement au fait des ravages que peuvent causer les dépenses militaires. Bien que la chose commence à se chuchoter à voix de plus en plus haute, Stockman est le premier expert avec une expérience gouvernementale à désigner sans la moindre ambiguïté le Pentagone comme la cause fondamentale de la catastrophe du déficit public qui est en train de s’abattre sur Washington. Ce qui est le plus impressionnant dans le discours de Stockman, ce sont les comparaisons historiques évoquées et les chiffres qui en découlent. Pour lui, la situation de l’économie s’apparente à celle de 1918 et à celle de 1945, c’est-à-dire une “économie de guerre” au moment où cesse la guerre, au moment où il faut “démobiliser” l’économie. (Comparaison significative et comparaison étrange : il n’y a pas de guerre en cours qui se puisse comparer à 1914-1918 et 1941-45, et d’ailleurs pas de véritable guerre du tout ; ou bien, nous n’y comprenons rien et il y a la plus grande guerre de tous les temps, qui se poursuit et se poursuivra longtemps ; dans aucun des deux cas, qui représentent deux jugements assez communs et les plus répandus, l’argument de Stockman n’est recevable. Pourtant, l’argument des Stockman est valable sur le plan comptable : on a ici une mesure de la subversion des dépenses militaires par rapport à la réalité) … Les chiffres proposés sont à mesure : réduire d’ici 2015 à peu près de moitié le budget général des dépenses de sécurité nationale (que Stockman situe à plus de $800 milliards annuels et qui pourraient être évaluées aisément à $1.200/$1.300 milliards)… Sinon, c’est le “point de non retour” de l’effondrement du trésor public, de l’économie, de la stabilité voire de l'existence des USA en tant qu'entité fédérale centralisée, etc.
L’intervention de Stockman concentre encore un peu plus l’attention de la crise du déficit du gouvernement central sur le budget de la défense, qui va sans aucun doute devenir le point de fusion de l’affrontement autour de cette question, et, au-delà, la question de la politique extérieure. Stockman a évidemment raison, comme on ne cesse de le répéter : avec une politique extérieure entièrement militarisée, la question du budget de la défense devient la question centrale de toute la politique extérieure et de sécurité nationale des USA. Cela permet ainsi de dégager d’une façon de plus en plus nette les termes de l’affrontement fondamental à Washington, entre d’une part la crise des moyens financiers et budgétaires du gouvernement et, d’autre part, la crise de sa politique, les deux crises s’opposant frontalement. Cet affrontement résume tous les autres, y compris la crise financière et la crise sociale, y compris la crise économique en général et la crise infrastructurelle du pays, y compris la crise des tensions centrifuges grandissantes.
Si Stockman a raison quant aux volumes qu’il avance pour tenter de résoudre cette crise du budget militaire et du déficit, inutile de plaider longuement pour comprendre qu’on se trouve dans l’impasse la plus complète. Il est évidemment hors de question de trouver un processus, ou une majorité, ou une volonté politique, sans parler des trois à la fois, conduisant à la réduction des dépenses militaires que suggère Stockman. On peut même se demander s’il est concrètement et pratiquement possible d’y parvenir si les trois conditions ci-dessus étaient rencontrées, puisqu’une telle orientation signifierait, par exemple, la fin des engagements extérieurs (Afghanistan, Irak) avant 2015 et qu’une telle issue est quasiment irréalisable même si tout l’état-major le réclamait à hauts cris, même d’un point de vue logistique, en raison de la lourdeur et de la masse presque paralysée des forces US et de leurs énormes moyens et de leurs intérêts bureaucratiques. Nous vivons dans un monde évidemment surréaliste où même les plus sérieux statisticiens, experts gouvernementaux, etc., ignorent le nombre total de bases dont le Pentagone dispose, – ce qui signifie en fait que personne ne le sait vraiment, – sauf, peut-être, le Pentagone lui-même, ce bâtiment mythique presque doté d’une âme sombre, ce Moby Dick, l'une des parts essentielles du “Système-en-soi”, la chose indéfinissable et insaisissable…
Part conséquent, le diagnostic de Stockman assorti de l’impossibilité évidente d’appliquer le remède qu’il préconise impliquent une catastrophe budgétaire dans un délai assez rapide, disons largement avant 2015 puisque lui-même fixe cette année comme charnière essentielle pour une réduction substantielle (proche des $500 milliards/an) du budget de la défense, donc il situe effectivement les nécessités à cette hauteur et dans ce délai. Le jugement de Stockman est bien celui d’un effondrement, ce qu’il n’ose tout de même exprimer d’une façon aussi abrupte puisqu’il enchaîne vaguement sur la perspective d’un “sharp economic decline”. C’est là une caractéristique habituelle de la dialectique de personnalités qui, malgré des opinions tranchées, n’osent tout de même pas complètement rompre avec l’idée d’une pérennité structurelle du Système. On comprend et l’on compatit. Il n’empêche que le jugement technique de Stockman et son orientation visant à mettre en évidence la question même des dépenses militaires, donc de la politique extérieure belliciste, de l’appareil de sécurité nationale, en général de la “politique de l’idéologie et de l’instinct”, – c’est-à-dire, tout ce qui caractérise le Système-en-soi, dans son fonctionnement, dans sa substance même, – ce jugement et son orientation portent en eux-mêmes leur verdict eschatologique. Si tout cela est menacé d’effondrement à moins de réformes radicales qui sont en réalité impossibles à envisager, c’est bien que le Système lui-même est menacé tout entier d’effondrement. Il poursuit donc sa route auto-suicidaire, sous l’œil acéré de certains parmi ceux qui le comprirent et le servirent le mieux, et qui comptabilisent les avancées vers la catastrophe finale en évitant de parler de “catastrophe finale”.
Mis en ligne le 11 janvier 2011 à 12H57