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4 janvier 2003 — La Crise de la Corée du Nord pose un grave problème à nombre d'experts intellectuels occidentaux (journalistes, stratèges, etc, tous également personnages médiatiques et virtualistes) : comment faire apparaître ce qui est une défaite diplomatique et stratégique majeure des USA en quelque chose qui, tous comptes faits, n'est pas loin d'être une victoire. Voici une solution proposée.
Cette analyse stratégique de Marc Erikson, sur atimes.com, (voir aussi le texte complet repris sur notre site), nous expose pourquoi la crise du Corée du Nord est sans importance et pourquoi la crise de l'Irak est essentielle, donc pourquoi la politique (la stratégie) US est complètement juste et la crise coréenne, finalement, une chose avantageuse pour l'Amérique. Cette démarche constitue, si l'on veut, du “complotisme” dans sa version chic (sérieuse ou “autorisée, ou politically correct). Son objectif est de venir au secours de GW.
Les complotistes expliquent après-coup, par l'évocation de plans machiavéliques et élaborées dont nul ne saura jamais rien de sûr, des événements, des incidents, des phénomènes qui sont inexplicables, sinon par le hasard du désordre et le désordre des faiblesses humaines. (“Hasard du désordre et désordre des faiblesses humaines sont des domaines irrationnels déplaisants pour notre jugement qui est appuyé massivement sur la raison. D'où la réaction complotiste, qui y ajoute le charme du romantisme des entreprises dissimulées.) Les stratèges sérieux, c'est-à-dire conformistes, reprennent la technique. Ils expliquent toutes les faiblesses et les erreurs politiques et stratégiques par des plans mûrement pensés et par une interprétation après-coup de la réalité qui s'adaptent à cette explication. On comprend que cela profite quasi-exclusivement à l'image des USA parce que les USA, dans ce cas comme dans la majorité des cas sont seuls engagés dans des opérations spectaculaires à caractère stratégique ; on suppose même que cela ne soit plus très loin d'être une technique de relations publiques aussi bien qu'une tendance de la rationalité conformiste.
Voici donc ce que nous dit Marc Erikson :
« It's odd, isn't it? North Korea probably has at least a couple of nuclear warheads and the ballistic missiles to deliver them to the South and to Japan, perhaps even to Alaska. Iraq most likely doesn't have nukes — unless some bandits of a former Soviet republic sold it some. Why then, as none other than Saddam Hussein has noted, is the United States on Iraq's case and threatening and preparing for military action against it while it wants to resolve the nuclear row with self-admitted nuke constructor North Korea by diplomatic means?
» In an article in this edition of Asia Times Online, Beijing correspondent Francesco Sisci provides part of the answer. ''North Korea was once strategically important because it had the Soviet Union and China behind it. Now this is no longer the case; moreover, China and South Korea, which fought against each other over North Korea half a century ago, have an idyllic relationship and both work in strong partnership for a peaceful transition in North Korea. The mainstay of the Cold War in East Asia, the confrontation between Beijing and Seoul, has disappeared since the two countries established diplomatic relations and even more so after the launch of South Korea's Sunshine Policy toward the North. With China having possibly a better relation with the South than with the North, with Russia following suit and much weaker than it was 50 years ago, Pyongyang's threat can no longer be the trigger for a global crisis, but is only a worrisome issue, strictly localized ... the US can't accept being pushed around by threats coming from a country wielding its missiles like a bully in a saloon in a spaghetti Western.''
» But that's not the whole story. The reasons the administration of US President George W Bush, in the words of a Washington insider, has adopted an attitude of ''if the fellow [North Korea's 'Dear Leader' Kim Jong-il] wants to be clobbered, let him take a number and wait his turn; let the UN worry and deal with this'' are not limited to North Korea's diminished strategic significance and clout or, for that matter, the inconvenience of dealing with two members-designate of the axis of evil at the same time. The Bush team —rightly as I see it — regards Kim Jong-il's regime as an ossified ideological relic with no future potential for attracting adherents to its creed, while Saddam Hussein's regime, while it lasts, in effect anchors Islamist fascism in the Middle East and the Muslim world beyond. »
Ce type d'explication est en général sans lendemain, c'est-à-dire sans perspective et/ou indifférentes aux perspectives. Dans le cas exposé ici, la “perspective” est celle-ci : « In a post-Saddam context defined by a new security regime, the North Korea problem can be dealt with in the fashion German unification was achieved peacefully in the post-Soviet context ». Il semble totalement échapper à l'auteur que le processus de la réunification a déjà été lancé, puis plus ou moins freiné ; il a été lancé par les Sud et les Nord Coréens et freiné par les Américains, craignant, — « rightly as I see it », — que cette réunification conduise à la mise en question radicale de l'alliance sud-coréenne des États-Unis, c'est-à-dire la position d'“État-client” de la Corée du Sud par rapport aux USA.
C'est effectivement désormais le principal enjeu de la crise : l'alliance sud-coréenne des USA.
Ces mêmes stratèges “complotistes” et conformistes doivent s'activer et tailler leur plume pour se préparer à nous expliquer demain comment l'administration GW a pu obtenir comme résultat l'éventuelle perte de l'alliance sud-coréenne en se montrant si habile avec la crise de Corée du Nord. Cela qui a toutes les chances de s'accomplir si, effectivement, la résolution de la crise conduit à un rapprochement entre Sud et Nord, comme on peut faire l'hypothèse. Les Sud-Coréens sont eux-mêmes complètement prêts à entamer un processus les éloignant décisivement des USA.
De façon très significative, la question des rapports entre USA et Corée du Sud, avec cette rupture possible, n'apparaît nulle part dans le raisonnement de l'auteur-stratège, Marc Erikson. La seule issue défavorable [le risque] envisagée est militaire (une « full-scale war against the South »). On a un exemple de plus de la présence, dans ce raisonnement conformiste, de la polarisation des relations internationales sur les seuls moyens de la violence et de la force armée, — effectivement à l'image des conceptions américaines.
• En attendant, la Corée de Kim (le “Grand Leader” qui devait ne durer qu'une poignée de “matins calmes” à la mort de Kim Senior, et qui reste en place depuis plus d'une décennie) est caractérisé avec un mépris expéditif comme un régime dit-“ossifié”, — « an ossified ideological relic ». Demain, s'il lui prend l'idée de lancer une bombe, on imagine que ce caractère de bombe “ossifiée” nous conduira à en minimiser les effets, voire à en ignorer même la réalité.
• Au contraire, le régime de Saddam, malgré le traitement subi depuis deux ans, malgré le délabrement de ses moyens et de son influence, est décrit dans des termes dont l'exagération ne cesse pas, là non plus, de faire mesurer la dégradation de l'analyse critique à laquelle conduit le conformisme de la pensée.
• S'y ajoutent l'exagération et l'irréalité, tant dans la description des capacités organisationnelles et doctrinales de la soi-disant “menace” (irakienne), que dans la description des ambitions (US) de refondation qu'on ne peut qualifier que de “civilisationnelles”, en cas de guerre. Bien que ces divers analystes développant ces thèses semblent équilibrés et raisonnables, il apparaît alors que les sources auxquelles ils se conforment (plutôt que se référer), essentiellement dans les milieux stratégiques US, sont évidemment marquées par une pathologie de la psychologie.
• Ci-dessous, la description du régime de Saddam présentant des éléments des deux derniers points ci-dessus :
« Iraqi President Saddam Hussein and his Tikriti clique are not themselves the principal exponents of the Islamist fascism invented in its current form by Muslim Brotherhood ideologue Sayyid Qutb (see the AToL series Islamism, fascism and terrorism, November-December 2002) and practiced and promoted by Osama bin Laden's al-Qaeda and the network's chief theoretician and strategist al-Zawahiri. But by controlling a nation state with substantial resources, they backstop and support several Islamist terrorist (mainly Palestinian) outfits and, more important, function as a reference point for other corrupt and dictatorial Arab regimes. Disarming this clique and, if need be, expelling it from Iraq would send the strongest possible signal to the rest of the Arab world as well as the mullahs in Iran that in-depth political change can no longer be postponed. It would at the same time at least begin the process of and create the circumstances for undermining the ideological hold and initiative Islamist fascism now has as an admired protagonist force among Muslim youths worldwide.
» In that sense, disarming Saddam is no end in itself of US foreign policy. It is envisaged as a catalyst for comprehensive political transformation in the Middle East and Southwest Asia, with democratic Kemalist Turkey as a model. It is envisaged as well as a critical stepping stone for constructing a global security consensus and system with the support of China and Russia in which proliferation of weapons of mass destruction and terrorist action under whatever spurious guise is anathema and dealt with promptly and comprehensively. The United States could have gone it alone in Iraq and still could and might do so. Its choice of going to the United Nations Security Council and building a consensus there reflects the desire and determination that broader regional and global goals stay untainted (or at any rate least tainted) by the charge of self-serving unilateralism. »
En conclusion, on dira que ce type de raisonnement apparaît irrémédiablement déséquilibré, inconsistant et étranger, voire presque hostile à la réalité. Effectivement, la cause est qu'il est tout entier défini par la nécessité de conformation à une pensée générale en vogue, — ce qu'on nomme conformisme. La démarche que nous décrivons ici de manière critique nous confirme indirectement dans la justesse de la thèse défendue par Neil Gabler, accessible sur notre site : le problème du monde de la communications, des journalistes aux stratèges comme Erikson, n'est pas idéologique mais conformiste. Ce n'est pas la crise d'un jugement, d'un parti-pris, c'est la crise de l'esprit tout court.