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3 janvier 2005 — Quelle sera la stratégie de l’Europe en 2005 et, plus généralement, pour le deuxième mandat de GW Bush? Par “stratégie” et par “Europe”, nous entendons des concepts bien vagues et, pourtant, déterminants.
• En principe, et si l’on s’en tient aux faits plus qu’aux intentions, il est difficile de parler d’une “stratégie” européenne. Il n’y a pas de politique extérieure commune sur les sujets les plus brûlants. La défense européenne, elle, est en formation, d’une façon beaucoup plus décisive qu’on ne veut bien le dire en général, mais d’une façon inattendue qui implique qu’on ne peut (encore) parler de “stratégie” au sens plein et noble: par le bas, c’est-à-dire par le biais technique et la planification opérationnelle, plus que par des directives venues d’une direction stratégique encore inexistante. Alors, pour la “stratégie” européenne, il faut s’en tenir à des “tendances”. Par contre, le champ de cette “stratégie-tendance” est formellement identifié: les rapports avec les USA. Parce que, selon ce que deviendront ces rapports, l’existence d’une stratégie sera établie dans un sens (autonome) ou l’autre (alignée) et, par conséquent, sa forme et son orientation.
• Les faits, encore eux, montrent dans la logique de ce qui précède qu’il n’y a pas d’“Europe” à proprement parler, sur le plan de la politique extérieure et de la stratégie. Là aussi, il faut s’en remettre aux tendances et aux pressions de certaines réalisations et de certains événements. Là encore, comme dans le domaine de la stratégie, c’est dans l’évolution des rapports avec les Etats-Unis que tout sera déterminé.
Ces bases notablement incertaines n’empêchent pas de proposer l’affirmation que la stratégie européenne et le fait politique de l’Europe (sans aucun sous-entendu institutionnel d’aucune sorte: ce qui nous importe ici est la perception) évolueront très rapidement en 2005 et, plus généralement, durant le deuxième mandat de GW. La rapidité des événements dans une époque où aucune coordination internationale sérieuse n’assure de contrôle et la poursuite d’une politique extérieure d’apparence très agressive et très affirmée de la part des Etats-Unis en sont la cause. La période 2005-2009 est décisive, et 2005 donnera une orientation également décisive dans la mesure où l’on assistera, paraît-il, à une tentative de réconciliation entre les USA et l’Europe. (Cette tentative sera du plus heureux effet cocasse: réconciliation pour quoi, sur quoi, entre qui et qui, dans quel but, etc? Tous les liens, accords, coordinations, interférences, etc, existant entre Europe et USA font des rapports entre ces deux puissances un entrelacs d’“ententes” diverses, à l’infini et ad nauseam, où l’on voit mal ce qu’on pourrait ajouter de plus, sinon une fusion extatique à-la-britannique, style l’Europe devenant le 51e État de l’Union [prélude du rest of the world devenant le 52e]. Le désaccord USA-Europe est d’humeur, d’insupportabilité. Souhaitez-leur bonne chance dans leur nième tentative de rabibochage.)
Plutôt que des grandes thèses et démonstrations, nous vous présentons les deux orientations possibles au travers de deux textes assez discrets, l’un par le canal de sa publication, l’autre par sa forme. Cette discrétion est, pour nous, d’autant plus indicative de la réalité de ces deux options. Les auteurs n’ont pas de grandes précautions à prendre. Ils sont peu connus et n’hésitent pas à écrire les consignes noir sur blanc. Par conséquent, ces anonymes sont des porte-parole accidentels mais significatifs des deux tendances à identifier, — bien qu’ils soient tous d’une même tendance et qu’ils soient tous Britanniques (cela pimente encore l’affaire). Effectivement, dans les deux textes, les tendances importent plus que les auteurs. On peut avoir ainsi une meilleure idée de l’affrontement en cours en Europe entre les atlantistes et les partisans d’une Europe autonome (ceux que les Britanniques désignent aujourd’hui, avec un sens heureux de la formule, comme les “euro-gaullistes”).
Le premier texte est de deux Britanniques, John Micklethwait and Adrian Wooldridge, journalistes à The Economist, hebdomadaire lié à la City et favorable à une zone atlantique de libre-échange, donc politiquement atlantistes. L’article est publié de façon très discrète, très loin, là-bas, au Texas, dans le Houston Chronicle du 31 décembre 2004. Il donne des arguments inattendus, presque à couper le souffle, pour rehausser la cause sacrée du rapprochement avec les USA: l’assimilation de l’assassinat du réalisateur de cinéma néerlandais Van Gogh (en novembre 2004) à une attaque du 11 septembre 2001 contre l’Europe, impliquant que l’Europe est totalement terrorisée désormais, par la terreur cela va de soi; et la transformation de Poutine en une sorte de néo-Staline pour époque postmoderne, impliquant que l’Europe est totalement terrorisée, par les divisions blindées néo-staliniennes cela va de soi. (D’où nécessité de se blottir dans une “néo-alliance” avec Washington, pour que Washington nous protège comme il sait si bien faire, en Irak par exemple.) Un autre argument du rapprochement de l’Europe des USA est la mort d’Arafat et la résolution annoncée, quasi-promise, de la crise israélo-palestinienne. La vigueur, le crédit et le sérieux de ces trois causes de l’établissement d’un “néo-atlantisme” en Europe portent témoignage de la réalité de ce phénomène annoncé. Les sceptiques invétérés et ironiques du phénomène de la Résurrection atlantiste, dont nous sommes (on le sent), observeront plutôt qu’il s’agit a contrario de la démonstration de l’état désespéré, aujourd’hui, de la tendance atlantiste en Europe.
(Le point le plus intéressant de ce texte est, finalement, de nous confirmer que GW n'est pas un accident mais bien le signe d'une nouvelle [?] façon d'être de l'Amérique. [« [I]t is not Bush who is the exception, but the U.S. itself that is exceptional. »] Ce qui est, pour les deux compères, le véritable argument pour nous recommander, à nous Européens, de nous soumettre.)
Voici de larges extraits de l’article.
« For European leaders such as France's Jacques Chirac and Germany's Gerhard Schroeder, Bush's victory reflected not just a tragedy but a failure of foreign policy.
» Yet if the chancelleries of Old Europe are famous for anything, it is coldhearted pragmatism. “There is no point wondering what might have been,” says one German diplomat. “Foreign policy cannot just stop for four years.”
» Paradoxically, the very thing that neoconservatives detest most about European diplomacy — that Machiavellian willingness to cut deals with anyone — is now working in Bush's favor. But there is arguably more to this sea change than just a grumpy acceptance of the status quo. From a European perspective, three things are making it easier to warm to the Bush White House.
» One is the death of Yasser Arafat. No issue divides Europe and the United States more keenly than the Israeli-Palestinian dispute. For the last few years, Europeans have criticized Bush for failing to put enough pressure on Israel to get out of the occupied territories and for refusing to deal with Arafat. But since Arafat's death, Europeans and Americans have been able to find common ground: supporting Ariel Sharon's withdrawal from Gaza, putting pressure on Israel to let the Palestinians hold elections and, covertly, backing Mahmoud Abbas to become the next Palestinian leader.
» A second reason is Europe's growing worries about Islamic terrorism. The murder in November of Theo van Gogh, a provocative Dutch filmmaker, at the hands of an Islamic militant has been called Europe's 9/11. Though the two events are obviously not fully comparable, it is certainly true that American conservatives, such as Francis Fukuyama and Bernard Lewis, have found a wider audience recently for the idea that radical Islam is inimical to European traditions of tolerance.
» The third force is the reappearance, albeit in a milder form, of the threat that kept the trans-Atlantic alliance together for half a century. The Russian bear is growling again. The Ukrainian election — complete with its KGB-style poisoning of the opposition leader and heavy-handed electoral fraud — has reminded European diplomats of Vladimir V. Putin's determination to control his “near abroad.”
(…)
» If these three things have prompted Europeans to reconsider Bush, European leaders also claim that the White House is reconsidering them, particularly in the light of the Iraqi quagmire. They point to the relatively warm response from Washington to the EU's attempts to negotiate with Iran (something Bush might well have previously dismissed as pointless). One former prime minister points out that second-term presidents have generally been more conciliatory figures, less interested in posturing and more in horse-trading. He cites Ronald Reagan as an example.
» There is a personal edge to all this. Just as the snooty continentals eventually came to admire the gormless Hollywood actor, there is a grudging willingness to rethink some prejudices about the inarticulate Texan.
» Many European leaders once swallowed the Michael Moore version of history: that Bush was an ignorant interloper who stole the White House. His thumping re-election, however, shows that he represents a large body of conservative American opinion.
» In short, Europeans are getting used to the idea that it is not Bush who is the exception, but the U.S. itself that is exceptional — and that if they want to deal with this exceptional superpower they need to humor it rather than rile it. Strangely enough, this has been Tony Blair's strategy all along; it is rapidly becoming the Continent's strategy, too. »
Aussi intéressant (non, bien plus intéressant) est ce petit courrier discret dans les colonnes du Times de Londres, du 29 décembre 2004, section “courrier des lecteurs”. Bien plus intéressant parce que cette sorte de “Letter to the Editor” dans The Times, présentée presque comme un article, c’est de la confidence au sein de la famille (famille de l’establishment UK) pour les choses qui comptent; intéressant aussi, parce que le courrier est d’un nommé Alan Lee Williams, professeur et président de l’Association du Traité de l’Atlantique, section UK, — l’ATA étant la courroie de transmission “populaire” de l’influence atlantiste/US en Europe, par OTAN interposée. Williams rentre d’une réunion internationale des ATA. Ses propos témoignent d’une très profonde inquiétude, derrière la fête convenue d’auto-congratulations que sont ces réunions: « this show of support by ATA masked its underlying anxiety about the best way of reconciling Europe’s strategic culture with the reality of American power. » Williams nous parle des choses qui comptent (Galileo, certes, les effets des rapports euro-chinois sur les rapports transatlantiques, l’idée d’“Europe super-puissance”, entièrement et généreusement, mais nullement de façon injuste, attribuée aux Français). L’intérêt de ce texte se trouve encore plus dans sa dernière phrase, où le brave Alan Lee Williams nous affirme qu’effectivement « [t]he drift towards a superpower Europe is real… », et que la seule chose qu’on semble devoir espérer est que cette “dérive” conduise à « a partnership rather than competition with America »
Nous reproduisons intégralement la lettre du professeur Williams au Times de Londres, lettre postée le 27 décembre et publiée le 29.
« Sir, I recently attended the 50th anniversary of the Atlantic Treaty Association in Rome, where some 40 countries reaffirmed their support for Nato and the transatlantic alliance. America would continue to play a central role in formulating strategic concepts compatible with the development of the alliance’s Response Force and its newly achieved operational capability.
» However, this show of support by ATA masked its underlying anxiety about the best way of reconciling Europe’s strategic culture with the reality of American power. Opponents of the Iraq war: France, Germany, Belgium, Spain, together with Greece and Luxembourg, apparently regard the fledgeling EU Rapid-Reaction Battle Groups as the basis of a possible European superpower.
» Many countries believe that Nato’s ten members’ refusal to send troops to the Iraq training academy has opened up a deep fissure in the transatlantic relationship. Worse than the refuseniks’ reluctance is US concern over the development of Galileo, the EU’s space-based navigation programme. They perceive it, perhaps wrongly, as the basis of a collaborative venture with China and Russia, whose future strategic interests are likely to be contrary to those of a transatlantic alliance.
» Many believe that France is seeking to develop a superpower Europe. The drift towards a superpower Europe is real, but a partnership rather than competition with America is required, if we are to maintain unity. »
… Que tout cela nous invite à goûter la variété, la variabilité et l’ubiquité de l’analyse sur le destin et la politique de l’Europe à l’égard des Etats-Unis, éclairés par la comparaison entre les écrits des compères Micklethwait & Wooldridge, et les confidences du digne professeur Williams.