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1375On doit lire cet article du 28 février 2015 de EUObserver, sur la déclaration de l’ambassadeur de Chine Qu Xing en Belgique (dans le journal Xinhua, relais du PC chinois), signifiant un engagement plus marqué, nettement plus marqué de la Chine au côté de la Russie dans la crise ukrainienne. (“Nettement plus marqué” par rapport à la réserve proverbiale des autorités chinoises, certes.) (Pour un autre exposé de cette intervention de l’ambassadeur Qu Xing, voir notamment un texte de ZeroHedge.com le 28 février 2015, avec sa traduction en français du Saker francophone le 1er mars 2015.)
L’article de EUObserver commentant cette déclaration est intéressant parce que, EUObserver oblige, il représente une vision extrêmement américaniste dans le concert transatlantique lorsqu’il interprète sa partition à Bruxelles, sous la direction d’une fine baguette britannique. Il mérite amplement citation et appréciation critique à mesure, pour mieux mesurer la “stratégie de communication” assortie des consignes du désormais classique déterminisme-narrativiste
«China’s ambassador to Belgium has said the West should pay more heed to Russia’s “security concerns” in order to solve the Ukraine crisis. Qu Xing spoke out last week in an interview with China’s state mouthpiece, Xinhua, in a rare intervention on the conflict.
»The Russian narrative says the West orchestrated a “coup” in Kiev last year... [...] The EU, the US, and Ukrainian people themselves see the revolution as a popular uprising against the egregious corruption, and, to an extent, the Russia-subservience of the former regime.... [...] For his part, Qu was cautious to steer a middle way. He told Xinhua the revolution started out locally, but later became a geopolitical event. “There were internal and external reasons for the Ukraine crisis. Originally, the issue stemmed from Ukraine's internal problems, but it now is not a simple internal matter. Without external intervention from different powers, the Ukrainian problem would not develop into the serious crisis as it is”, he said. “The major powers need to seek a win-win situation rather than zero-sum security”. Qu’s other remarks leaned toward Russia’s version of the story, however. He indicated that Ukraine’s pro-Western vector, which entails the possibility of future EU or Nato membership, is a legitimate issue of concern for Moscow. “The West should … take the real security concerns of Russia into consideration,” the ambassador said.
»With Vitaly Churkin, Russia’s ambassador to the UN, claiming the Western powers are trying to distort the recent, so-called, Minsk 2 ceasefire pact to extend their control over the situation, Qu also questioned the Western side’s integrity. He said the fact that France and Germany, but not the US, took part in the Minsk 2 talks, gives the trans-Atlantic alliance a get-out clause. “Even though a latest ceasefire agreement had been achieved, it is still possible for the Western parties to change the original decisions in the future for the excuse that the United States was not involved in the negotiations,” he noted.
»Qu’s statements amount to a novelty in China’s policy of non-intervention in overseas crises which do not directly abutt its Asian borders. Last March, it abstained in a UN vote on non-recognition of Russia’s annexation of Crimea and, in the intervening year, it has said little beyond calling for a peaceful and diplomatic solution. The Qu remarks are likely to be taken by Russia as a sign that it isn’t isolated on the world stage, amid attempts to build new political and economic ties with non-aligned states, including also Brazil.
»But at the same time, analysts note that China is keen to take advantage of Russia’s rift with Europe. Last year, it negotiated a rock-bottom price for gas supplies in a new Russia-China pipeline. Meanwhile, a contact in the US military told EUobserver that China poses a greater strategic threat to Russia in the long term than either EU or Nato expansion. He said China’s mushrooming need for the hydrocarbons which Russia possesses in vast abundance in its desolate, far-eastern territories, should make the Kremlin pause for thought.»
Le texte manifeste in fine la mauvaise surprise pour le bloc BAO que constitue cette déclaration du Qu Xing, beaucoup trop précise et concrète du point de vue du bloc. Il est assuré que le bloc, totalement enfermé dans son autisme (un vrai, celui-là) qui lui interdit de voir que d’importantes parties du monde agissent et “communiquent” à leur façon, continue depuis un an à vivre sur l’affirmation que la Russie est “isolée”, et notamment que la Chine ne la soutient guère dans cette crise ukrainienne où toute la faute repose sur la Russie belliciste et agressive du monstrueux Poutine, ce diable quasiment extraterrestre. La perception psychologique du bloc (surtout les très fins américanistes) a une tendance très forte à prendre la réserve d’expression des Chinois pour le reflet d’une politique indéterminée, indécise sinon inexistante. L’idée centrale de cette finesse d’analyse est que la Chine, pays jugé barbare et faible, et par ailleurs déjà jugé et condamné comme l’ennemi géopolitique n°1 de la civilisation triomphante du bloc (les USA surtout [bis]), est au fond fascinée, séduite et enchaînée au modèle occidentaliste et américaniste, – donc au fond d’elle-même, antirusse. (On observe une fois de plus l’extrême plasticité de l’analyse du bloc, accordée au sport universel de la contradiction interne largement favorisée par le cloisonnement de l’esprit comme vertu première de la pensée et complément indispensable de l’autisme déjà signalé.)
Par conséquent, la Chine a été, est et sera destinée à être un adversaire de la Russie, point final, – en attendant d’être elle-même attaquée et déstructurée-dissoute comme la Russie elle-même, par le bloc BAO (les USA) lorsque le temps sera venu. Par conséquent (suite), l’intervention de Qu Xing est accueillie avec surprise, incrédulité et un brin de ce qui pourrait devenir une sorte de panique. (Un axe Moscou-Pékin, ce n’est pas rien, pour qui juge le monde en autiste et à la lumière de sa propre exceptionnalité, et ignore également la signification aussi bien de l’expansion de l’OCS que de l’activisme des BRICS.)
Ainsi et également à la lumière de ce qui précède, on comprend que le texte de l’EUObserver est un exercice intéressant en déformation pour tenter de faire correspondre la déclaration de Qu avec les consignes de la narrative. Par exemple, la position chinoise est définie comme une “prudente voie moyenne («For his part, Qu was cautious to steer a middle way») entre la position de la Russie et celle du bloc BAO, alors qu’elle est par ailleurs décrite comme un engagement explicite et exceptionnel en faveur de la Russie. D’un côté, la politique chinoise continue à être interprétée, par rapport aux positions russe et du bloc BAO, dans le sens d’une minorisation extrême, sans réelle signification et surtout sans aucune conséquence de renforcement de la position russe, ce qui conduit à ne voir aucune amélioration de la politique russe. D’un autre côté, elle est présentée en tant que telle, sans relations avec les autres, d’une façon condamnable, comme une aggravation infondée et inacceptable, parce qu’appuyée sur une narrative (celle de la Russie) qui est inacceptable du point de vue du droit et des “valeurs” occidentales, et par conséquent on peut en déduire que la Chine accentue une position propre qui la rend critiquable et dangereuse. L’essentiel dans cette logique est bien entendu de nier que la Russie et la Chine forment un axe, ou un bloc, tout en dénonçant séparément la Russie et la Chine.
La point le plus intéressant dans cette stratégie de communication parvenant à concilier ce qui semble ne pas pouvoir l’être (condamnation de la Chine et de la Russie pour une position similaire dans une même crise mais refus de la perspective de leur alliance selon cette proximité renforcée par de nombreux autres facteurs dans le même sens), c’est certainement le dernier passage de l’article qui fait référence à une source américaine présentée explicitement comme celle d’un “officiel” (un militaire) de la communauté de sécurité nationale US. D’une façon assez inattendue, elle représente un avertissement et un “conseil” à la Russie, presque pour prévenir la Russie d’un danger qui la menace, du type : “Ne vous rapprochez pas trop de la Chine, elle finira par envahir et annexer vos terres les plus orientales, notamment la Sibérie, à cause de ses besoins en énergie, et de ce fait représente un danger bien plus grave que l’UE et l’OTAN”. («Meanwhile, a contact in the US military told EUobserver that China poses a greater strategic threat to Russia in the long term than either EU or Nato expansion. He said China’s mushrooming need for the hydrocarbons which Russia possesses in vast abundance in its desolate, far-eastern territories, should make the Kremlin pause for thought.») On notera que cette thèse est contenue dans la Prospective 2015-2025 de Stratfor sur l’effondrement par fragmentation de la Russie, selon l’idée que la Chine pourrait être tentée par l’annexion des parties riches en ressources énergétiques de l’extrême Est de la Russie.
La conclusion qu’on peut tirer de cette lecture et de cette interprétation, aisément discernable dans cette sorte de texte écrit conformément à la narrative du bloc BAO, et facilité d’une façon décisive par la psychologie de l’américanisme, c’est bien entendu que le bloc/les USA ne craignent rien de plus que le rapprochement entre la Chine et la Russie en même temps qu’il leur semble impossible de distinguer les signes qui rendent d'ores et déjà indubitable ce rapprochement. Dans le premier cas, c’est leur paranoïa de la sécurité qui s’exprime dans la considération que toute puissance se constitue pour agresser l’Amérique ; dans le second c’est l’hybris essentiellement de l’exceptionnalisme, qui ne peut concevoir qu’une puissance se constitue qui puisse être concurrentielle, et encore moins supérieure à celle des USA.
Mis en ligne le 2 mars 2015 à 12H31
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