Suicide à l’insu de notre plein gré

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Suicide à l’insu de notre plein gré

11 août 2019 – Je ne vais nullement porter grave préjudice à mes nombreux lecteurs, en les assommant du pullulement de soupçons évidents et d’hypothèses terribles, de sarcasmes, d’ironies et de persiflages divers, à propos de cet événement qui va jusqu’à faire tweeter à certains claviers impeccablement-Système qu’ils vont, eux, “finir par croire aux innombrables théories complotistes”. La liquidation d’Epstein par suicide librement consenti et sans la présence de son avocat est tellement évidente que moi-même, je me refusais à énoncer cette évidence de sa liquidation prochaine par pur souci d’éviter l’invraisemblance : une telle évidence, c’est invraisemblable !

J’ai pêché à cet égard par pur intellectualisme, en surestimant la sophistication intellectuelle des possibles comploteurs avec pourtant leur infinie puissance, et en sous-estimant l’incroyable degré d’incompétence ou de corruption c’est selon, de l’American Goulag, – certes les deux additionnés ou pris séparément, comploteurs-possibles et American Goulag, pour aboutir au suicide. Mais tout cela, finalement, importe peu, dans tous les cas pour le temps présent qui nous importe.

Ce que j’ai perçu de plus singulier, finalement, c’est, dans le public des élites et de la direction du système de l’américanisme, chez les dissidents du Système eux-mêmes, bref chez tous ceux dont la voix porte et s’entend même si c’est pour s’affronter les uns les autres, j’ai perçu passé le premier instant du choc de la nouvelle une sorte de commune incrédulité générale et stupéfaite, transcendant absolument tous les partis, les cabales, tous les coupables, les incapables, les parasites, les responsables, même ceux qui ont comploté si complot il y a, tous frappés par ce même constat qui les met pourtant tous en cause et dont pourtant ils s’exonèrent tous : “Ils ont osé !” Qui est donc ce “Ils“ ?

(Pour une fois, oubliez le genre, ce “Ils” tout à fait symbolique, ni masculin ni féminin, ni transgenre ; c’est le “Ils” des “complots” indicibles, le “Ils” de cette “étrange époque”, de ce “tourbillon crisique”, hors de la connaissance de tous, même des coupables eux-mêmes, le “Ils” des courants et des forces inconnues, des événements qui nous submergent, des choses manipulatrices du simulacre d’au-delà du genre humain, et imposé au genre humain... Et même le “Ils” d’une force obscure poussant Epstein à se suicider comme si suicide il y avait eu, grâce à d’invraisemblables capacités et dans des conditions extraordinaires de surveillance parfaitement tournées. [Voyez cette longue plate-forme de discussion sur le “suicide apparent”, avec des témoignages de prisonniers ayant connu les mêmes conditions, des gardiens de prison, des “officiers de détention spéciale”, etc.] )

Même le ministère de la Justice et le FBI, en lançant chacun, sans hésiter une seconde, leur enquête sur le cas, emploient sans l’ombre d’une preuve ni d’un indice puisqu’encore informés de rien, je veux dire comme dans un réflexe presqu’inconscient et incontrôlable ils emploient la même expression de “suicide apparent”, ce qui en dit long, dans le chef du qualificatif, sur leur considération pour le Bureau des Prisons, pour l’administration pénitencière elle-même, pour la démocratie américaniste, pour la vérité et la justice aux USA, c’est-à-dire pour eux-mêmes. Le ministre de la Justice William Barr, décrit par une source d’ABC.News comme “livide” de stupéfaction et de colère en apprenant la nouvelle, nous dit avant d’annoncer l’ouverture de l’enquête de son ministère (je laisse l’anglo-américain, pour le goûteux de la chose, et pour la puissance intrinsèque du mot “appaled”) : « I was appalled to learn that Jeffrey Epstein was found dead early this morning from an apparent suicide while in federal custody. Mr. Epstein’s death raises serious questions that must be answered. »

Pour compléter le symbole, mettez deux jeunes femmes connues comme pétroleuses, d’apparence agréable, influentes, extrêmement populaires chacune dans leur camps, Ann Coulter à droite sans hésiter et Alexandria Ocasio-Cortez (AOC) absolument très à gauche. L’une, Coulter, avait tweeté le 25 juillet (encore en anglo-américain) : « Dear Bureau of Prisons: Please get Jeffrey Epstein to a super Max prison pronto, or the people who want him dead will make sure we never know the truth. ACT NOW! », – c’est dire dans quel état de soupçon de l’acte de forces obscures et puissantes  elle se trouve aujourd’hui. AOC, autant à gauche que Coulter peut être à droite, tweete brièvement mais impérativement à la nouvelle de l’“apparent suicide” : « We need answers. Lots of them. »

Il y a donc comme une étrange unanimité dont on doit ressentir au premier abord, pour bien comprendre l’enjeu et la force formidable de la situation du monde, qu’elle est inconsciemment sincère. Peu importe dans ce cas les magouilles qui suivront, ceux qui s’y retrouveront en empêchant tout prolongement et ceux qui tenteront de faire s’amplifier l’affaire selon les intérêts de chacun, il faut d’abord s’arrêter à cet instant que j’ai tenté de décrire comme je l’ai ressenti. La chose, – la mort d’Epstein, c’est-à-dire quoi qu’il en soi de la réalité (suicide réel ou assassinat), la vérité-de-situation de l’événement qui doit être désignée comme la “liquidation” d’un coupable horriblement dangereux pour le Système,  – était à la fois tellement prévisible et tellement énorme, qu’on se disait que cela ne se ferait pas. Tout le monde savait qu’il devait être “liquidé” en raison de tout ce qu’il était supposé porter comme actes d’accusation contre ce qui était supposé être tant de personnages de première grandeur, et par conséquent il semblait paradoxalement mais logiquement impensable pour la raison de l’esprit qu’un acte aussi cru et brutal, aussi impudent, aussi indifférent au moindre apparat des formes, aussi dénoncé par avance, qu’un tel acte soit posé au regard de tout ce qui avait précédé (première tentative de “suicide apparent” d’un détenu hyper-surveillé, passage en détention dite de maxi-“suicide watch” et ainsi de suite).

Certains ont fait la comparaison avec la “liquidation” d’Oswald peu après son arrestation, le 24 novembre 1963, disant que celle d’Epstein était la plus fameuse opération de cette sorte depuis Oswald. Mais les conditions sont si différentes, presque à l’opposé, qu’on ne peut parler d’une même sorte d’acte dans l’esprit de la chose à cause des circonstances qui dictent la forme (l’essence) de l’événement. Nul ne connaissait Oswald, on n’avait même pas eu le temps de s’interroger sur lui, on n’attendait encore rien de lui, et finalement on n’avait pas eu le temps de craindre grand’chose pour lui. Epstein, c’est tout le contraire : archi-connu, archi-décrit dans ses sordides trafics et son fric insaisissables, archi-dévoilé dans ses connivences et ses connaissances, pédophile globalisé, maquereau universel, agent double-triple-quadruple, archi-menacé de tous les côtés, archi-surveillé et archi-protégé de toutes les façons, tous les comploteurs du monde et même les autres prévoyant et annonçant publiquement sa liquidation... Oswald, c’était un épisode tragique dans la tragédie immense de l’assassinat de JFK, Epstein c’est une tragédie-bouffe mâtiné de porno-bouffe sordide, qui pourtant implique des fournées de “grands de ce monde”, la queue entre les jambes, du Prince au Président. Nul ne s’intéressait à Oswald, tout le monde suivait Epstein en prison minute par minute. WhatDoesItMean nous informait même le 30 juillet que le “contrat” pour la liquidation d’Epstein atteignait $100 millions.

Ainsi nous apparaît-il, – dans tous les cas “il m’apparaît” mais acceptez que j’étende ma démarche à un “nous” représentant nos élites-Système, – que cet acte décrit par nous-mêmes comme inarrêtable et inéluctable, était perçu par nous-mêmes comme impossible et inacceptable dans le cadre-simulacre qui est le nôtre, et dont tout le Système dépend en vérité. Or, le Système l’a pourtant fait ! Il a fait ce qu’il avait proclamé lui-même comme impossible et inacceptable ! Tous ces gens qui sont dans le Système et œuvrent pour lui regardent avec terreur le Système en action. C’est donc que le Système est inarrêtable et inéluctable dans ses pulsions de surpuissance, et ces pulsions qui, dans le cadre où nous évoluons, deviennent d’une façon ou d’une autre productrices d'autodestruction.

J’ignore bien entendu ce qu’on va faire de cette affaire du “suicide apparent”. Mais ce que je crois, c’est qu’au lieu de soulager quelques consciences qui n’ont plus conscience de rien depuis longtemps, elle va accroitre le désordre et la discorde encore plus qu’ils ne sont, si c’est possible... Et effectivement c’est possible, car désordre et discorde entretenus par des haines si fortes, si hystériques, par cette psychologie folle de “guerre civile”, qu’on est prêt à se déchirer encore plus et jusqu’à l’os même au risque qu’ils se perdent tous.

Le pessimiste (donc “optimiste bien informé”) qui est en moi, c’est-à-dire le pessimiste sur le sort du monde-Système (donc “ bien informé” là-dessus et par conséquent “optimiste”), me conduirait à envisager joyeusement qu’Epstein mort dans ces conditions, pourrait bien faire, par les réactions que son “suicide apparent” va provoquer dans le système de la communication, plus de dégâts qu’Epstein allant jusqu’à son procès. Pour paraphraser Henri III devant Guise à terre, poignardé par ses Quarante-Cinq : “Il est plus menaçant mort que vivant”.