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13 août 2007 — Quel coup de génie d’aller passer ses vacances aux USA, pour faire croire à bon compte que les relations franco-américaines marchent le tonnerre! Ou bien : au moins, “Sarko l’Américain” s’est mis à bonne distance pour aller prendre les consignes du nouvel inspirateur de la France…Choisissez entre les deux versions. On verra dans les mois et les années qui viennent laquelle est la bonne.
En attendant, Sarkozy est en train, à fort bon compte (suite), de se construire une légende dans les médias anglo-saxons, — les seuls à compter vraiment pour fabriquer une “image” d’homme public, de people de la politique, — la seule chose, l’“image” d’homme public, de people de la politique, à compter vraiment pour former le jugement des dirigeants politiques les uns sur les autres et pour peser sur les négociations politiques… Ainsi vont les temps, par les temps qui courent.
“Super Sarko”, ainsi le surnomme-t-on, du Times au Financial Times. .. Pendant ce temps-là, curiosité de notre époque qui n’est pas sans compliquer le débat, Jean-Marie Le Pen, très serein, le 6 août au micro de RTL, dit tout le bien qu’il pense du président… Petit intermède pour reposer nos lecteurs des citations en anglais :
«Richard Arzt: Alors cette question des vacances du Président Sarkozy : combien ça coûte, qui l'a invité. Ce sont des questions importantes à vos yeux?
» Jean Marie Le Pen: Non, à proprement parler, elles n'ont de l'importance que celles que veut bien lui suggérer le Président de la République. Car je crois que chacune de ses actions est mûrement réfléchie, pesée, très bien informée et jusqu'ici assez bien réalisée, il faut le dire.
»Richard Arzt: Vous dites bravo l'artiste ?
» Jean Marie Le Pen: C'est ça, un petit peu, oui. Oui même si je le prends un peu pour un illusionniste mais c'est un illusionniste de grand talent.
»Richard Arzt: Il y a trois mois en tout cas qu'il est installé à l'Elysée, est-ce que globalement, à vos yeux, sa politique va dans la bonne direction ?
» Jean Marie Le Pen: Et bien écoutez, d'abord il fait une chose qui est moralement positive c'est qu'il tient, semble-t-il, au moins un certain nombre de ses promesses électorales. Bon, bien sûr, pas toujours dans la dimension, ni dans la profondeur que pourraient attendre ceux qui ont voté pour lui. Mais tout de même il va dans cette direction là et surtout il tient à son image d'omniprésence, de travailleur infatigable, de présence sur tous les fronts y compris sur le front national si j'ose dire, et cela c'est pour l'instant, assez payant dans l'euphorie qui accompagne toujours les vacances ; il n'y a pas de sujets de contestation grave. Il a passé la première phase de sa lune de miel avec je crois assez d'efficacité.»
Bien sûr, il y a eu le déjeuner avec GW, Laura et pappy. Sympa, style GW, mais vraiment rien d’enthousiasmant. Cécilia avait fait faux bond, ce qui ne fait pas très bonne impression. Sarko, au milieu de la famille Bush, a répété son antienne devant les journalistes: “nous sommes amis et, entre amis, on peut avoir des désaccords. Nous ne sommes pas d’accord sur tout”, — et peut-être même “pas d’accord du tout”? Sarko semble avoir la philosophie du “plus on est amis, plus on peut se permettre des désaccords”. On croirait, à l’entendre, que le désaccord est la véritable preuve de l’amitié. Rougeaud, hilare, GW approuvait.… Passons.
Par ailleurs, Sarko se rendant aux USA, vraiment pas très loin de Kennebunkport où Bush-père a sa résidence, il était difficile d’éviter une rencontre avec GW. D’ailleurs, pourquoi l’éviter ? Par crainte de justifier l’accusation d’alignement? Voire. Le précédent visiteur à Kennebunkport était Poutine (le 2 juillet). Poutine est-il aligné sur GW? Et ainsi de suite.
Fin de la récréation, revenons à nos Anglo-Saxons, les vrais, les sérieux. Quelques remarques dans la presse londonienne valent la citation.
• Il y a l’homme d’abord, petit certes, — mais Napoléon ne l’était-il pas également? («He has been likened to Napoleon and seems to have the energy of a nuclear reactor …») Les remarques du Times du 12 août sont stupéfiantes d’emphase, d’excès, de boursouflure, de mépris absolu de toute mesure. Non seulement Napoléon, mais homme de la “Renaissance” (Laurent de Médicis, Machiavel ou Michel-Ange?), — dito, renaissance de la France.
«From the picturesque shore of a lake in New Hampshire last week, France’s “hyper-president” kept a hawkish eye on developments back home, issuing press releases on everything from the death of a popular jazz musician to the malfunction of a fairground ride.
»His dynamism appears to be paying dividends in France, where business confidence has risen and unemployment has fallen to its lowest level in 25 years. The “French renaissance” was making waves abroad as well, particularly in Germany, where irritation has grown over a resurgent France striking out on its own.
(…)
»The jet-setting “Sarko” has given the impression of being everywhere, hence his other nickname of hyper-president. On Friday he flew to Paris to attend the funeral of a cardinal. Yesterday he was back in America, joining Cécilia, his wife, for lunch with George and Laura Bush at the US presidential family’s holiday home in Kennebunkport, Maine. Sarkozy’s perpetual blur of motion is not limited to the world stage.»
Les journalistes britanniques arrivent à trouver des témoignages français allant dans le sens de cette “Renassance” qui font de la France d’avant-le-6-mai une sorte d’Union Soviétique (voir plus loin) qui s’est, après-le-6-mai, ouvert “sur l’Ouest”. (Sarko-Gorbatchev, maintenant.) On ne rêve pas, on résume le “narrative”- commentaire dans la presse (anglo-saxonne), vous savez la presse la plus professionnelle du monde, — et peut-être le Times proposerait-il de remplacer le 14 juillet par le 6 mai?
«“There has definitely been a change of feeling,” said Nina Mitz, president of the business consultants Financial Dynamics in France. “There is a feeling that anything is possible. That things are being dealt with. There is activity. A feeling of energy.”
(…)
»People seem to take him at his word. “With the arrival in power of Mr Sarkozy, there’s a feeling that France is opening towards the West,” said the Franco-British Chamber of Commerce.»
• Les faits, la formidable réalité qui sourit au “chairman Sarkozy“ (comme on disait “chairman Mao”), sont même complices, car ils ont anticipé. L’amélioration du chômage, de la croissance, qui ont évidemment précédé le 6-mai, comme si Chirac et le peuple français avaient eu l’intuition géniale du règne de Sarkozy-Auguste qui allait enterrer la période de stagnation: «It seems to be having an effect: the business climate indicator went up and unemployment has fallen to 8%, the lowest in nearly a quarter of a century. Growth was forecast at 2.25% this year, up from 2% last year. Sarkozy hopes that the reforms will push it much higher.»
• Les relations France-US vont formidablement bien. Habile, le Financial Times (le 10 août) voit une manœuvre napoléonienne, une sorte d’Austerlitz de la relation publique dans le choix de vacances de Sarko : «His choice of the US as the place to spend his first holiday since taking office was viewed on both sides of the Atlantic as a reinforcement of his Atlanticist credentials.» Confirmation par le Times, qui ne voit pas moins, dans le déjeuner avec Bush, le remplacement du Royaume-Uni du pauvre Gordon Brown né en costume-cravate par le bondissant Sarko en jean’s-blazer dans la place privilégié des “special relationships” : «…yesterday’s lunch with the Bushes could herald the birth of a French “special relationship” with America to rival the fabled — but faltering — British one.»
• Ah, un dernier truc : Sarko maître de l’Europe et maître du monde par conséquent… L’Europe, avec Merkel virée (le Times) : «Some in Berlin suspect Sarkozy wants to oust Merkel as Europe’s most influential leader. German diplomats were appalled when France discussed with all its main partners, except Germany, the decision to put forward Dominique Strauss-Kahn as the EU’s candidate to head the International Monetary Fund. “Sparks are flying,” said a Merkel adviser.» Le monde dans la foulée de l’Europe : «Sarkozy has big global ambitions for France after more than a decade in which it did little other than oppose the war in Iraq. Sarkozy almost single-handedly resurrected the European Union constitution…»
Ouf. Voilà des vacances bien remplies
C’est simple : on invente une fiction et, à partir de là, on invente un “Super-Sarko” et une autre fiction remplace la fiction précédente avec tout le crédit du monde. Il y a de quoi mourir de rire, vraiment mourir de rire, à lire dans le Times, sous la plume de Nicola Smith, que la France d’avant Sarko est «…sometimes described as a sort of “luxury Soviet Union”» (traduction inutile, isnt’it?) Si c’est vraiment néessaire, et pour fixer les idées, voyez par exemple notre F&C du 22 avril 2007. Pour l’exemple, comme on dit en temps de guerre. Evidemment, à partir de la France interprétée lugubrement comme une marche funèbre intitulée “luxury Soviet Union”, Super-Sarko c’est la symphonie fantastique.
Bien, soyons sérieux (suite). Bien sûr, ces journalistes sérieux racontent n’importe quoi. Chirac n’a jamais été anti-US par conviction, non plus que Schröder d’ailleurs (Chirac l’a été par légalisme international, Schröder par opportunisme électoraliste). Ce sont les extrémistes US qui en fait des anti-américanistes, avec leurs montages sommaires reposant sur l’un ou l’autre slogan, aussi grossier qu’inculte (du type “Cheese-eating surrender monkeys”) ; bref, la pensée neocon-Murdoch réduite aux acquêts. Les autres instigateurs de la légende ont été les Britanniques, plus vicieux ceux-là. Il s’agissait de faire passer la mégalomanie de Blair en faisant croire que c’était tout avantage pour la gloire de l’Empire ; pas de meilleur moyen que le contraste, en vouant Chirac-Schröder aux flammes de l’enfer. L’habileté des “spin doctors” qui constituent le plus clair de la presse britannique a fait le reste. D’ailleurs, tant mieux tout cela, puisque la campagne de dénigrement a empêché Chirac de se précipiter à nouveau dans les bras de “l’ami de plus de 200 ans de la France”, une fois le forfait (l’Irak) accompli, — ce dont Chirac rêvait.
Le même topo peut être suivi sur l’état délabré de la France, autre fantasmagorie mise en place par les Britanniques, de la City à Fleet Street. Stupidité sans fin ni rien du tout, que tous les faits et chiffres démentent ; le Royaume-Uni crève devant ce pays, — la France, — qui a su établir une puissance indépendante qui lui donne un poids plus important que le Royaume-Uni (voir ce que l’U.S. Navy pense de la flotte française, les planificateurs US de la force nucléaire française, tout le monde de l’infrastructure ferroviaire française, d’Ariane, d’Airbus et ainsi de suite).
Par conséquent, Sarko n’a rien rétabli du tout. Mais tout se passe comme s’il l’avait fait et c’est tant mieux. La “narrative-Super-Sarko” a été inventé par la presse britannique, Financial Times en tête, qui croyait tenir son anti-Chirac en interprétant faussement Sarkozy, — sans réaliser que c’est eux-mêmes qui avaient inventé un Chirac qui nécessitait qu’on inventât un anti-Chirac. Ils sont tombés de haut, sur les positions nationales de Sarko, — sur le commerce et son “patriotisme économique”, sur le libéralisme et ses conceptions anti-BCE, sur les rapports USA-Europe de commerce et de coopération des armements avec la “fin de la naïveté” (discours du Bourget, le 26 juin : «L'Europe et la France, nous n'avons aucune leçon à recevoir en matière de libéralisme. Mais que les choses soient claires. La naïveté, c'est fini. La réciprocité, cela commence.»), même et déjà sur les problèmes du MO (voir le Liban)… Mais tant pis, ils ont inventé “Super-Sarko”, ils ne peuvent se démentir, ils vont devoir le boire jusqu’à la lie. Quel magnifique exemple du spin britannique, du virtualisme pris à son propre piège. Quant à “Sarko l’Américain”, il semble avoir trouvé sa feuille de route : puisqu’on est vraiment amis (avec les USA), on se dit tout, et surtout qu’on est pas d’accord sur grand’chose, sans chichis ni fioritures. Avec des amis comme ça, plus besoin d’ennemis.
Sarko est un “mec” de son temps. Assez commun, super-speedé, toujours sur la brèche, faisant beaucoup de vent, donnant son avis sur tout. Ainsi donne-t-on l’impression, dans ces temps historiques incertains, de vouloir prendre le monde dans ses mains (« Sarkozy has big global ambitions for France…»), — ce qui sied à la Grande Nation. Sarko a un bon cerveau : celui de son conseiller Guenot traduisant les consignes de la “France éternelle”, la Grande Nation.
Tout cela n’est pas vraiment glorieux mais c’est d’époque, l’époque des “petits hommes”, des “scélérats” de Maistre et du “dernier homme” de Nietzsche. Nous sommes dans une époque qui confond évidemment la gloire de Rome avec les people et le strass. Sarko sait faire dans ce domaine. Ce n’est pas un inspiré, c’est un malin gonflé au turbo. Comme dit Le Pen, hommage du malin au malin : «…je crois que chacune de ses actions est mûrement réfléchie, pesée, très bien informée». Dans une époque si indigne, c’est ce qu’il fallait à la France pour qu’elle joue son rôle, avec les moyens du bord et sans trop se compromettre; avec un peu de chance et la patine de la fonction pour Sarko, peut-être même la France saura-t-elle continuer, ou recommencer à “tenir son rang” comme disait Mitterrand. Super Sarko aura bien mérité des éditoralistes.
… Cela dit, nous comprenons Cécilia, la dame de son cœur qui sait ce qu’elle ne veut pas. Un déjeuner au hambuger avec George et Laura, quelle perspective horriblement chiante. Voilà bien le seule note de sincérité sans complication de cette aventure.
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