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31 décembre 2002 — Nous passons dans une nouvelle phase de la présentation dialectique (virtualiste serait mieux) de la politique extérieure des États-Unis. A l'explication musclée du printemps dernier d'un impérialisme hégémonique qui entend mener le monde en le dominant (Kagan et compagnie) succède (ou revient) l'impérialisme contraint, l'impérialisme-malgré-nous, ou dit encore, en un titre qui mériterait d'être inoubliable (titre initial de l'article, dans le Washington Post) : « Accidental imperialist ». C'est le côté geignard et réticent de l'habillage virtualiste de la politique extérieure des États-Unis, par la machine virtualiste de l'américanisme.
Après tout..., nous dit Jackson Diehl, dans le Post et le IHT du 31 décembre, — après tout, l'Amérique n'avait rien voulu de tout cela. L'argumentation suit, serrée et, bien entendu, artistiquement tronquée pour ne pas gâcher la perspective. Selon Diehl, il y avait une situation des années 1990, où l'Amérique n'intervenait guère, vivait heureuse et quasi-modestement, jouant à la Bourse et suivant les frasques de Clinton ; et il y a une Amérique d'aujourd'hui, agressée par le monde extérieur, forcée par lui à jouer un rôle hégémonique auquel elle n'a jamais vraiment prétendu, — mais elle se sacrifiera puisque seule elle a la puissance de la faire, seule elle a la vertu de le faire.
Bien sûr, il y a des aspects involontairement plaisants dans cet argumentaire, qu'on destine précisément aux mémoires courtes.
• Il y a donc la politique des années 1990, quand l'Amérique ne songeait aucunement à jouer ce rôle auquel les circonstances et les sombres desseins de l'extérieur la contraignent aujourd'hui :
« This was a policy for the 1990s, when the minority of Americans who cared about international affairs debated the indiscernible shape of the ''post-Cold War era,'' when a booming United States felt free to nurse along, or simply neglect, threats from the likes of Iraq. There was the luxury to debate whether it was worthwhile to intervene to stop a war of aggression, even if it were in Europe, or one of history's worst episodes of genocide, if it happened in Africa. »
On est admiratif de la souplesse presque chatoyante du souvenir. Cette Amérique des années 1990, peu intéressée par l'extérieur, débattant joyeusement d'interventions extérieures qu'elle ne fait pas, c'est tout de même celle qui lance la globalisation en 1991-92, celle qui se désigne comme « the indispensable nation » (Albright) ; qui intervient au Panama (1989), dans le Golfe (1990-91), en Somalie (1992), en Haïti (1993) ; qui confisque en 1993-94 le processus de paix du Moyen-Orient lancé par l'obscure petite Norvège, pour satisfaire le goût des cérémonies de Clinton ; qui intervient en Bosnie en août 1995 et force tous les protagonistes à se réunir à Dayton, qui les enferme dans une base de l'USAF sous la direction de Holbrooke jusqu'à la signature d'un traité ; qui force le reste de l'OTAN à accepter un élargissement de l'Alliance pour satisfaire son électorat polonais, comme GW veut sa guerre en Irak pour verrouiller sa réélection ; qui impose Kofi Annan comme secrétaire général de l'ONU parce que ni Albright ni le sénateur Helms ne supportent Boutros Ghali qui est candidat pour un deuxième mandat, soutenu par la majorité du Conseil ; qui intervient brusquement au milieu de négociations avec la Yougoslavie en février 1999 (Albright), impose des clauses inacceptables aux Serbes et conduit l'affaire jusqu'à l'intervention de l'OTAN au Kosovo.
• La présentation du brave GW en isolationniste frileux et provincial, écrasé par sa charge, timide, maladroit, qu'on voit presque se cognant dans les meubles de la Maison-Blanche avant le 11 septembre, a aussi de quoi laisser penser : « [A]n initially cautious, uncertain and quasi-isolationist president reacting to the crystallization of a new global era [...] Bush's foreign policy mostly consisted of trying to retreat from international treaties and foreign military deployments. His signature initiative was missile defense, which implied a strategy of ignoring rogue states until their missiles reached the territory of the United States. » On rappellera tout de même que cette “retraite” des traités internationaux a été ordonnée pour permettre aux USA d'agir comme ils l'entendent, notamment pour développer des systèmes d'armes prohibés (accord ABM et d'autres ensuite) ; on rappellera que ces retraits (Kyoto) ont pour but de permettre à l'économie américaine, et notamment au corporate system (avec l'industrie pétrolière en pointe), de mieux investir les marchés extérieurs ; on rappellera que la mission des “architectes” du systèmes anti-missiles a été très vite, d'annoncer son élargissement au monde occidental (type-OTAN) dans son ensemble, et d'aller tenter d'enrôler le plus possible d'alliés dans l'aventure ; on rappellera qu'avec l'enrôlement de 5 pays européens dans le programme d'avion de combat JSF, l'industrie US et le Pentagone sont en position, s'ils arrivent à développer ce programme, de liquider l'industrie stratégique d'armement de l'Europe. On ne se lassera pas de rappeller...
• Même les références historiques valent le détour : comparer l'actuelle “obligation” pour les USA d'intervenir dans le reste du monde à celle de 1941, « like it was America standing between Nazi Germany and a takeover of all of Europe », — c'est montrer un sens excessif de la liberté par rapport aux références de la réalité, ou bien leur ignorance c'est selon. L'Amérique est intervenue dans la Deuxième guerre mondiale, forcée par une attaque japonaise, 2 ans et demi après le début de la guerre, 28 mois après la chute de la Pologne, 16 mois après la chute de la France, 6 mois après l'attaque de l'URSS, alors que toute l'Europe sauf le Royaume-Uni et la Suisse était entre les mains de Hitler. Son entrée effective dans la guerre, comme nation dirigeant les opérations militaires, date du 6 juin 1944 (première occasion où les USA détiennent un poste de commandement interallié de théâtre) ; depuis les batailles d'El Alamein (1942), Koursk et Stalingrad (1943), la machine de guerre allemande était stoppée et irrémédiablement affaiblie face aux Britanniques et aux Soviétiques, c'est-à-dire que l'Allemagne avait perdu la guerre. Les opposants à Hitler aurait sans doute réussi à le renverser et ils auraient demandé l'armistice aux alliés courant 1943 si Roosevelt n'avait pas imposé la condition de capitulation sans condition en janvier 1943.
• Dans le désordre, on mentionnera la confusion des arguments, dont certains doivent causer une certaine peine à ceux qui gardent du respect pour les vertus du journalisme professionnel. Nous annoncer que ces deux dictateurs (Saddam et le Nord-Coréen) sont « capable of defending themselves with weapons of mass destruction, who could have been managed or left to stew on back burners » n'a rien de sérieux ; non plus que de citer, parmi les nouveaux “armements” de Saddam ces banalités approximatives déjà entendues dans les discours officiels (« drone aircraft and longer-range missiles »), comme si Saddam avait des UAV Predator armés de missiles Hellfire ou des ICBM Minuteman.
• Conclusion : c'était écrit, — conclusion aujourd'hui fort en vogue, où l'on nous dit que la guerre est inévitable à cause de la mobilisation, comme en 1914, où l'on nous dit, comme ici, qu'elle est inévitable comme la Guerre froide fut inévitable, disons par la force des agressions extérieures (« the conflicts that will shape this difficult winter of 2003 were mostly inevitable. It's just that, as half a century ago, Americans were slow to understand the threat, and reluctant to take it on — until inaction seemed the worst choice »)
Mais redevenons sérieux. Ce type d'articles devrait se multiplier. Il indique que, désormais, la politique extérieure expansionniste US rencontre de sérieuses difficultés (Irak, Corée du Nord, d'une façon générale les capacités militaires US en crise). Il faut trouver une explication. L'argument devient implicitement que ces difficultés sont causées par les pressions imposées sur les USA par les événements extérieurs du monde, et par cette obligation calamiteuse que l'instabilité du reste du monde impose à cet îlot de stabilité et de vertu qu'est l'Amérique, de prendre en charge la mission historique que les autres peuples lui assignent. On peut toujours essayer de proposer cette thèse.
[Ci-dessous, l'article de Jackson Diehl faisant l'objet de ce commentaire. Notre recommandation est bien entendu que ce texte doit être lu avec la mention classique à l'esprit, — “Disclaimer: In accordance with 17 U.S.C. 107, this material is distributed without profit or payment to those who have expressed a prior interest in receiving this information for non-profit research and educational purposes only.”.]
(Accidental imperialist)
By Jackson Diehl, Tuesday, December 31, 2002, International Herald Tribune
WASHINGTON As the United States enters the new year facing crises and the potential for war in Iraq and North Korea simultaneously, an obvious question presents itself: Did the Bush administration bring all this trouble on itself?
Most Europeans would say it did. So would several of the emerging Democratic presidential candidates. This, they would say, is the natural consequence of George W. Bush's aggressive unilateralism, his militaristic new doctrine of preemption, his insistence on expanding a justified war against Al Qaeda to a misconstrued ''axis of evil.''
When Bush took office two years ago, this argument goes, neither Iraq nor North Korea looked very worrisome. Didn't Colin Powell himself, at his first press conference with the president-elect, dismiss Saddam Hussein as a ''weak'' dictator ''sitting on a failed regime that is not going to be around in a few years' time''? As for North Korea, the outgoing Clinton team seemingly had come to within inches of striking a comprehensive deal that would have ended the threat of weapons of mass destruction from Pyongyang. Dictator Kim Jong Il was engaging with the South and appeared ready to open his hermit state to the outside world.
Had the Bush administration stuck with Powell's initial strategy of patching up the ''box'' in which Iraq had been contained during the previous decade and embraced his impulse to continue the negotiations with North Korea, the United States might be entering 2003 fully focused on winning the still formidable fight with Al Qaeda and stabilizing a still volatile Afghanistan - a pretty full plate.
Instead it is mobilizing tens of thousands of troops and juggling UN Security Council debates to deal with two dictators, both capable of defending themselves with weapons of mass destruction, who could have been managed or left to stew on back burners.
Or so goes the argument. Yet there is another way of looking at the history of the last two years: not as a tale of an arrogant cowboy stirring up the world's rattlesnakes, but of an initially cautious, uncertain and quasi-isolationist president reacting to the crystallization of a new global era. The Bush administration of pre-Sept. 11 seemed content to string along the old policies on Iraq and North Korea. Iraq hawks inside the administration were a distinct minority, and Powell eventually won the argument about whether to reopen talks with Pyongyang.
Bush's foreign policy mostly consisted of trying to retreat from international treaties and foreign military deployments. His signature initiative was missile defense, which implied a strategy of ignoring rogue states until their missiles reached the territory of the United States.
This was a policy for the 1990s, when the minority of Americans who cared about international affairs debated the indiscernible shape of the ''post-Cold War era,'' when a booming United States felt free to nurse along, or simply neglect, threats from the likes of Iraq. There was the luxury to debate whether it was worthwhile to intervene to stop a war of aggression, even if it were in Europe, or one of history's worst episodes of genocide, if it happened in Africa.
Then a new era came knocking, and not just in the form of hijacked airliners. As sanctions on Iraq crumbled, it became more and more obvious that Saddam Hussein had not been contained. He had developed new weapons - drone aircraft and longer-range missiles - and was aggressively hunting for nuclear materials. The supposedly peaceable Kim Jong Il was discovered to have launched another secret bomb project even while Madeleine Albright was negotiating with him.
The minimalism with which a contented America engaged the world in the 1990s, and with which the Bush administration began, suddenly looked like a dangerous shirking of responsibility.
In a recent meeting at The Washington Post, my colleague David Broder asked a senior administration official why Bush had come to embrace ''an almost imperial role'' for the United States. The answer was long, eloquent and revealing.
''A few years ago there were great debates about what would be the threats of the post-Cold War world,'' the official said. ''Would it be the rise of another great power, would it be humanitarian needs or ethnic conflicts? And I think we now know. The threats are terrorism and national states with weapons of mass destruction and the possible union of those two forces.''
''It's pretty clear that the United States is the single most powerful country in international relations for a very long time,'' the official continued. ''It is the only state capable of dealing with that kind of chaotic environment and providing some kind of order. I think there is an understanding that that is America's responsibility, just like it was America standing between Nazi Germany and a takeover of all of Europe. No, we don't have to do it alone. But the United States has to lead that.''
By that account, the conflicts that will shape this difficult winter of 2003 were mostly inevitable. It's just that, as half a century ago, Americans were slow to understand the threat, and reluctant to take it on - until inaction seemed the worst choice.