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35741er mai 2018 – On a déjà noté l’importance de l’intervention du général Thomas, qui assure le commandement des Special Operations des forces armées US. Cet officier général parlait devcant une audience de connaisseurs du domaine du renseignement, essentiellement dans le domaine de l’électronique (reconnaissance, identification, surveillance, guerre électronique par brouillage, etc.). Dans sa rubrique Tourbillon crisique du 27 avril 2018 de son Journal-dde.crisique, PhG notait après avoir cité le passage désormais fameux pour les spécialistes de l’intervention de Thomas :
« “Actuellement, en Syrie, nous nous nous trouvons, du fait de nos adversaires, dans l’environnement de guerre électronique le plus agressif que l’on puisse trouver dans le monde. Ils nous attaquent chaque jour, interrompant nos communications, désactivant nos AC [EC ?]-130, etc...” [...]
» ... l’infériorité sévère des forces US dans le domaine de la guerre électronique. [...] Un débat essentiel est en train de s’ouvrir, concernant les capacités électroniques des forces armées US dans un conflit de haute intensité, face essentiellement à la Russie dont les progrès considérables sont désormais actés. Ce débat, avec les propos du général Thomas, sonnent, dix jours après, comme une confirmation implicite de la version russe de l’attaque du 13-14 avril, et des interprétations qui ont donné un rôle essentiel dans l’interception des cruise missiles aux capacités de guerre électronique des Russes, soit pour repérer et informer les batteries syriennes, soit pour interférer directement dans le vol des missiles. »
D’autres interprétations assorties de commentaires annexes insistent dans le même sens du constat de cette faiblesse considérable des forces armées US dans un domaine si essentiel. Sur son site Dance with Bears, John Helmet ajoute, le 28 avril 2018, donc toujours à propos des déclarations du général Thomas et autour :
« En outre, le général Thomas a souligné que pour le moment, les capacités de guerre électronique de la Russie ne fonctionnent pas à pleine capacité en Syrie. Si la Russie décidait de le faire, les États-Unis perdraient toutes leurs capacités de communication dans la région. L'ancienne chef de la guerre électronique pour l’US Army, Laurie Buckhout, confirme que les États-Unis n'ont pas de capacités de guerre électronique aussi étendues que la Russie. “Nous avons une très bonne capacité de renseignement par écoute-radio et nous pouvons tout écouter. Mais nous n'avons pas le dixième de leurs capacités offensives [des Russes], notamment pour désactiver le fonctionnement de l’équipement électronique adverse”. »
La situation des forces armées US est paradoxale et assez étrange. L’on sait le goût de ces forces pour le technologisme sous toutes ses formes, et précisément pour l’électronique qui constitue le champ de développement d’un nombre très élevé de moyens d’intervention indirecte et directe de très haute technologie dans les conflits modernes. Pourtant, ces mêmes forces armées US se trouvent aujourd’hui dans un état d’infériorité extrêmement préjudiciable vis-à-vis des Russes notamment, et notamment dans ce domaine de la guerre électronique (EW pour Electronic Warfareen anglais).
A l’occasion de la déclaration du général Thomas, un débat s’est donc ouvert sur cette question du statut et de la situation opérationnelle des forces armées US dans le domaine de l’EW. Le premier article à se faire l’écho du discours de Thomas fut, comme on l’a lu chez PhG, celui de Breaking Defense du 24 avril, lequel renvoyait à un autre article du même site, du 8 janvier 2018, extrêmement intéressant, basé sur une interview d’un général de l’USAF spécialisé dans l’EW, passé à la retraite pour devenir député à la Chambre des Représentants où il est évidemment le spécialiste de la guerre électronique parmi les parlementaires de cette assemblée. C’est à partir de cet article que nous allons faire progresser notre analyse du cas US, en ce qui concerne l’EW.
L’article du 8 janvier rapporte notamment :
« L’armée américaine n'est “pas prête” à la guerre électronique (EW) contre des adversaires de haute intensité, selon un vétéran de l’EW devenu membre du Congrès. Nous avons fait des progrès importants contre les communications terroristes en Afghanistan et en Irak, explique le député Don Bacon, général à la retraite qui a récemment visité les deux pays. Mais même contre de tels ennemis équipés de basse technologie, m’a-t-il dit, nous sommes gênés par un équipement vieillissant – comme le EC-130H Compass Call qu'il pilotait lors de son service, – et une doctrine dépassée. [...] “Nous sommes modérément préparés pour la lutte de basse intensité comme en Irak et en Afghanistan. [...] Mais nous ne sommes pas préparés du tout pour une guerre de haute intensité.” [...]
» ...Le combat de haute intensité, bien sûr, sera encore plus difficile. Les avions EW traditionnels ne sont pas des avions furtifs, ils doivent donc garder leurs distances de la défense AA. Cela devient de plus en plus difficile et plus dangereux à mesure que les missiles sol-air de fabrication russe se développent en portée, notamment avec le système S-400 Triumf d’une portée de 250 miles. L'ancien EC-130H de l’Air Force et le nouveau [programme au stade exploratoire] EC-X, l'ancien Prowler [EA-6B] et le nouveau Growler [EA-18G] de la Navy, sont tous menacés, – de même que d’autres avions de soutien tels que les AWACS. »
Ce que souligne Bacon, c’est une faiblesse généralisée des plateformes EW US, c’est-à-dire une “mise sur la défensive” de ces plateformes dans une situation de vulnérabilité extrême. Nous voyons principalement deux raisons à cette situation.
• La première est la crainte de la défense anti-aérienne russe, et notamment des fameux S-400 qui ne cessent de s’affirmer chaque jour davantage comme la terreur du ciel. La présence des S-400, comme des autres moyens de défense anti-aérienne, crée ce que la bureaucratie US nomme des zones A2/D2 (soit Anti-Access/Area Denial) où c’est une portion entière de l’espace aérien qui est “interdit” à toute incursion de l’ennemi, et donc à des vols et à des déploiements de surveillance et de combat électronique.
• La seconde est une réelle pauvreté de matériels offensifs, c’est-à-dire d’avions EW de pénétration, capables éventuellement de prendre le risque d’incursions dans les zones A2/D2, justement pour tenter de les dégrader et permettre à l’offensive aérienne de progresser et aux moyens EW d’être mieux protégés d’une part, plus engagés en profondeur d’autre part. Dans ce cas, seule l’US Navy possède un avion de cette sort, le EA-18G (Growler), extrapolé de l’avion de combat A/F-18, et éventuellement le EA-6B Prowler (rétrocédé pour l’essentiel de l’effectif à l’aviation du Corps des Marines) mais qui est d’une génération beaucoup plus vieille et par conséquent disposant de beaucoup moins de qualités de vol inhérentes à une mission de pénétration. L’USAF, par contre, est cruellement démunie d’un tel type d’avions, alors que sa zone d’action est par définition beaucoup plus vaste que celle de l’US Navy, notamment, bien entendu, au-dessus des territoires terrestres, et qu’elle tient le rôle central pour la mission de l’“air dominance” aux dimensions globales.
• Lors de l’attaque de la “nuit du vendredi-13” avril contre la Syrie, deux bombardiers B-1 (B-1B) de l’USAF ont effectué un tir de cruise missiles. On a d’abord dit qu’ils n’étaient pas escortés, puis une autre version est apparue : au moins deux EA-6BProwler, avion de guerre électronique, les accompagnaient pour fournir une couverture défensive EW aux deux bombardiers. Ceux qui ont diffusé la nouvelle ont prévenu une interrogation qui pouvait venir à l’esprit en observant que le fait que les deux avions appartiennent au Corps de Marines permettaient de faire participer toutes les forces disposant de moyens aériens à l’attaque. Une autre explication moins glorieuse est que la Navy n’a pas voulu affecter deux EA-18G plus modernes aux avions de l’USAF parce qu’elle ne tient pas à disperser son effectif de première ligne, – et puis, c’est simplement la vieille rivalité entre les services, qui, dans ce cas, met en évidence cette redoutable faiblesse de l’USAF qui rejaillit sur l’entièreté des capacités EW des USA.
De fait, nous n’avons fait qu’interpréter de façon assez libre mais néanmoins ordonné ce que nous dit le même Bacon à propos de cette faiblesse EW des forces armées US, quoique sans souligner que cette faiblesse est d’abord le fait de l’USAF. Ses remarques à ce propos font apparaître un acteur, sinon inattendu, du moins dont on peut attendre qu’il brouille toute la problématique du cas à défaut des moyens de l’adversaire : le désormais inusable pour les tribulations du Système et la tendance usine à gaz triomphante, – notre F-35, alias JSF...
« C'est pourquoi les États-Unis ont besoin de brouilleurs “offensifs”, estime Bacon : des avions furtifs plus difficiles mais néanmoins pas impossibles à repérer et qui peuvent pénétrer l’espace aérien ennemi pour mener une EW à plus courte distance. Cela voudrait-il dire que l'avion d'attaque interarmées F-35, qui a des capacités EW très puissantes mais classifiées ? Peut-être, m'a dit Bacon, en soulignant qu’il ne voulait pas aller plus loin dans la discussion, à cause du domaine “classifié”. [...]
» Aucun aéronef ne résoudra le problème, a-t-il souligné: Les États-Unis ont besoin d'une “force équilibrée” composée à la fois d'aéronefs EW pilotés et de drones, à la fois furtifs et non-furtifs. “La furtivité n'est pas la recette-miracle. La furtivité doit être soutenue et protégée par des moyens EW”, estime Bacon. (La furtivité réduit la signature radar mais ne peut pas l'éliminer). “Avant que vous n’ameniez un B-2 ou un B-21 sur s cible dans la bataille conventionnelle de haut niveau, il faudra avoir fait le ménage avec l’EW”... »
Quand on considère l’inventaire des moyens EW de l’US Navy et de l’USAF, le constat vient aussitôt d’une antinomie des moyens. La Navy a eu depuis plus d’un demi-siècle des “pénétrateurs” EW rapides et disposant de capacités de combat intrinsèques, avec les deux cas de versions EW de deux avions de combat embarqués : le EA-6B Prowler extrapolé du A-6 d’attaque, dont la plupart de l’inventaire a été rétrocédé à l’aviation du Corps des Marines (voir plus haut, à propos des B-1B) ; et le EA-18G Growler, version EW du F/A-18E/F Super Hornet, dont il garde l’armement offensif : commandé à 160 exemplaires dont au moins une certaine déjà livrés, le Growler est une unité essentielle des capacités de guerre électronique offensive de la Navy. Pourtant, l’US Navy n’a pas la mission globale de l’“air dominance” même si elle joue un rôle complémentaire important, – c’est l’USAF qui conduit cette mission globale.
Par contraste avec la Navy, l’USAF n’a rien de cette sorte de systèmes offensifs/de pénétration EW qui permettent de conduire une véritable doctrine et une stratégie EW. Elle a abandonné la formule avec le vieux F-105 Thunderchief dans sa version F-105G dont la mission périlleuse au Vietnam était d’attirer sur lui l’“éclairage” des radars des batteries de missiles sol-air et de tirer sur eux avant que le tir des missiles sol-air soit déclenché, ou bien de décrocher après avoir tiré en tentant de “leurrer” ou de brouiller les missiles déjà tirés. Pourtant, l’USAF conservait un avion ECM aux capacités de pénétration offensive, une version du fameux F-111 à géométrie variable du début des années 1960 : près d’une cinquantaine de EF-111A Raven (F-111A transformés) furent ainsi produits au début des années 1970. Il s’agissait d’une machine puissante, capable d’évoluer dans un environnement hostile grâce aux capacités intrinsèques du F-111 de base (grande vitesse, alternance d’attaques EW offensives à altitude moyenne/élevée, vol à très basse altitude [capacité spécifique du F-111 avec son équipement de suivi de terrain] pour éviter les tirs de défense).
C’est alors qu’intervient un événement mystérieux qui est un signe extrêmement spécifiques à la base de la faiblesse actuelle de l’USAF : le retrait du service des Raven autour du milieu des années 1990, alors que l’appareil avait encore devant lui de longues années de service opérationnel possibles. Nul n’a pu expliquer cette décision bureaucratique sinon, après coup, par des arguments budgétaires sans guère de fondement. Il existe à notre sens une cause beaucoup plus fondamentale et profonde qui a un nom et qui influa toutes les décisions concernant la puissance aérienne : la technologie furtive (Stealth Technology). (Cela concerne essentiellement l’USAF, l’U.S. Navy s’étant toujours montrée beaucoup plus réservée vis-à-vis de la technologie furtive, et l’étant aujourd’hui plus que jamais.) On a déjà signalé à plusieurs reprises la décision fondamentale qui fut prise peu après la première Guerre du Golfe, – notamment le 12 décembre 2008 puis à diverses autres occasions.
« ... L’USAF [lança], après la guerre du Golfe-I de 1991, qui représente sans aucun doute un sommet dans l’histoire de la supériorité et de l’efficacité de l’aviation militaire dans un conflit de cette importance (“L’année 1991 apparut comme l’aube d’une ère nouvelle pour la puissance aérienne US”), un vaste plan de refonte de ses structures... [...] Au départ (en 1992-92), il y a le choix [...] de développer une aviation de combat “tout-stealth” : “Après Desert Storm, l'Air Force décida de ne plus jamais acheter un avion non-furtif. Selon Merrill A. McPeak, alors chef d’état-major de l’USAF, il ne servait plus à rien d'acheter des chasseurs ‘en aluminium’. La furtivité devait devenir le fondement de l’USAF...” »
Il s’agit d’un évènement considérable que ce choix du “tout-stealth”, aussitôt suivi d’un second événement à peu près équivalent, qui est l’échec complet et total de la technologie furtive à complètement modifier la guerre aérienne. On sait que cette technologie, promise à un avenir bouleversant et révolutionnaire s’est avérée être un énorme trou noir où la puissance aérienne des États-Unis est en train de se perdre. (Pour l’histoire de la technologie furtive, voir les 22 juillet 2005 et 23 juillet 2005.) L’effet fut catastrophique avec les premiers modèles furtifs et se poursuit en s’aggravant considérablement avec le F-35, notamment du point de vie de l’intégration des technologie, des coûts et, par conséquent, des capacités opérationnelles en volume comme en spécificités, voire simplement comme possibilité tout court d'être véritablement opérationnel... Pour rappel :
• Le B-2, premier bombardier furtif développé à partir de 1978 était prévu à plus de 500 exemplaires à $180 millions l’exemplaires. Oups : on en a construit 21 à $2,4 milliards l’exemplaire. (Confidentiellement, l'état-major général français du temps de la guerre du Kosovo, qui n'était alors pas complètement aligné sur l'“ami américain”, évaluait en fait le côut d'un B-2 à autour de $6 milliards.)
• Le F-22, chasseur lourd et multifonction furtif était en principe le successeur du F-15, prévu à 650 exemplaires. La dotation a été réduite à 336 puis finalement à 180. Heureusement, le F-15 existe toujours et assure l’essentiel des missions offensives lourdes, tandis que le F-22, qui n’a pas atteint toutes ses capacités, effectue des mission sur la pointe des ailes et entouré d’ambulances de l’air.
Tout cela explique que l’USAF ne se soit guère préoccupée de nouveaux avions de guerre EW, notamment des avions de pénétration offensifs, alors qu’on avait peine à faire fonctionner la technologie furtive tandis que le principe même de cette technologie nous avait affirmé que la protection électronique n’était pas nécessaire pour des avions qu’on qualifiait encore d’“invisibles” dans les années 1990, – bien qu’ils ne le soient nullement. (Comme par ailleurs, tout restait centré sur la technologie furtive et qu’il n’était pas question de faire subsister un avion de combat qui aurait pu apparaître comme une alternative, on ne songea nullement à faire une version intégrée EW, soit du F-15, soit du F-16, comme la Navy a fait avec le A-18G par rapport au F/A-18.)
L’on voit que l’on envisage aujourd’hui, un peu en catastrophe sans trop le dire, une version EW du F-35, ce qui relève du comique le plus sarcastique qu’on puisse imaginer, – et l’on comprend ainsi que le député Bacon n’ait pas envie de trop s’aventurer à ce propos, sous le prétexte bienvenu du secret, – et le “peut-être” ci-après sera savouré pour ce qu’il vaut, lorsqu’on parle du JSF en version brouilleuse des autres alors que le premier avion brouillé par un JSF en version-brouillage serait immanquablement le JSF brouilleur lui-même...
« Cela voudrait-il dire que l'avion d'attaque interarmées F-35, qui a des capacités EW très puissantes mais classifiées ? Peut-être, m'a dit Bacon, en soulignant qu’il ne voulait pas aller plus loin dans la discussion, à cause du domaine “classifié”. »
Il y a sans aucun doute une transversale à tracer entre la situation de l’USAF aujourd’hui, engluée dans la catastrophe du JSF, le choix du tout-furtif dans les années 1990, et la catastrophique posture de la même USAF (et dans une moindre mesure des autres services) dans la guerre EW. On rejoint ici les années 1990, qui sont comme une parabole où se rencontrent le mythe du Progrès indéfini, celui du technologisme, celui des États-Unis oplus que jamais “nation exceptionnelle”atteignant sa situation d’affirmation globale et d’hégémonisme sur la postmodernité...
« Le choix fait au début des années 1990 de faire du “tout-stealth” est typique des USA entrés dans une ère d’exubérance comme ils le firent à cette époque. A la même époque (au printemps 1992), des fuites permettaient à la presse de révéler les grandes lignes d’un “plan”de dominationdes USA des affaires mondiales, sous la forme d’un Defense Planning Guidance rédigé sous la direction de Paul Wolfowitz alors au Pentagone. La coïncidence de dates n’est pas une coïncidence.
» Le choix de l’USAF renvoyait aux mythes essentiels de l’américanisme dans sa conception de la modernité basée sur la puissance et la technologie-reine du monde. La dimension aérospatiale est elle-même une des dimensions de cette conception. La puissance de la technologie comme clef de l’expression de la modernité, et de la domination qu’elle permet, en est une autre dimension. Le “tout-stealth” est un choix idéologique autant qu’un choix opérationnel, – autant qu’un “choix de civilisation”, si l’on veut. Il est complètement le reflet des conceptions US d’affirmation de la puissance des USA sur le monde qui a maturé pendant les années 1990 avant de s’exprimer aussitôt après le 11 septembre 2001... » (Notre texte du 12 décembre 2008.)
La campagne aérienne contre la Serbie, – la guerre du Kosovo de 1999, – assurée majoritairement par l’USAF montrait bien déjà cette carence des moyens de guerre électronique. Le commandant des forces de l’OTAN, le SACEUR (le général Wesley Clark) dut faire appel en catastrophe à tous les EA-6B Prowler de la Navy disponibles pour protéger les missions de l’USAF, – tandis que le seul avion abattu par les Serbes était un F-117A, premier chasseur à technologie furtive prétendument indétectable. Ensuite, la décadence des moyens de guerre EW de haute intensité ne cessa de s’amplifier à cause de la fameuse attaque 9/11, à cause de l’affectation massive des moyens EW disponibles vers des missions de guerre de basse intensité, contre les attaques terroristes et de guérilla...
Defense Breaking du 8 janvier encore :
« [...I]l se trouve que nous n'avons pas vraiment fait de guerre électronique offensive pendant la plupart de ces 16 années [depuis 2001]. À l'époque où Bacon survolait l’Irak, l'accent était mis sur une seule mission: le brouillage des bombes en bordure de route (RCIEDS). Les missions des EC-130E Compass Callde l’USAF, – initialement conçus pour brouiller les communications ennemies – et les avions d’attaque EW de la Navy et du Marine Corps, – conçus pour l’attaque des radars de la défense anti-aérienne, – furent toutes redirigées de toute urgence pour protéger les Humvees roulant sur les routes irakiennes et afghanes. Le nombre de morts causés par les mines terrestres artisanales a écarté toutes les autres missions de guerre électronique. »
Cette idée n’est pas seulement une appréciation conjoncturelle : elle marque une lenteur exceptionnelle de la “nation exceptionnelle” à s’adapter aux circonstances changeantes des tensions et des conflits, qu’elle suscite d’ailleurs elle-même comme c’est le cas avec la Russie ; en même temps que l’incapacité de la même exceptionnalité à traiter plusieurs problèmes à la fois, à admettre la possibilité de types différents de conflits “en même temps”. L’expert distingué du Lexington Institute Loren B. Thompsonle dit justement :
« Nous avons passé tant de temps à nous battre contre des ennemis de très bas niveau technologique, notamment en Asie du Sud-Est, que nous sommes devenus très lents pour accélérer l’expansion de nos capacités EW tactiques. »
Cet ensemble permet de “techniquement et tactiquement” comprendre combien les USA se trouvent dans une situation difficile face aux Russes, qui n’ont cessé de développer des moyens EW ces 15 dernières années. (En plus de leurs divers ensembles terrestres et aériens de brouillage et de contre-mesures électroniques, en plus de leurs très puissants moyens de défense aérienne, les Russes disposent de versions EW spécifiques, entièrement intégrée des principaux de leurs avions de combat pour des missions EW offensives profondes, notamment le Su-24, le Su-25, le Su-30, le Su-34, etc..)
En conclusion de cette revue des arguments divers expliquant les faiblesses US dans un domaine où leur puissance technologique devrait leur assurer une place bien plus importante, il y a une tendance, certainement beaucoup plus forte au sein de l’USAF que de la Navy qui a la mission spécifique de défense de ses porte-avions, à considérer que la puissance offensive spécifique, le poids spécifique de la force offensive US suffisent à garantir ce qui est perçu comme inéluctable, c’est-à-dire la victoire assurée pour l’américanisme. La chose a été entretenue par une myriade de conflits de basse intensité où il est facile de jouer de l’effet de communication pour pouvoir faire croire à la victoire (“déclarer la victoire et s’en aller”, tactique courante de la communication US).
Nous avons toujours suivi avec le plus grand intérêt, sur ce site, les caractéristiques de la psychologie de l’américanisme, que nous tenons comme spécifique, “exceptionnelle” dans le sens de n’être radicalement pas comme les autres (ce qui ne signifie nullement dans notre interprétation “supérieure” aux autres types psychologiques, cel va de soi). Il existe aux USA dès les origines un tel usage intensif de la communication pour formater le sentiment du citoyen vis-à-vis de son pays, dans un pays bâti sur la communication et nullement sur la vérité historique, qu’il y a effectivement une véritable création permanente d’une psychologie américaniste typique. Au cours de nos recherches, nous avons isolé deux traits spécifiques de cette psychologie, qui constituent non pas des capacités spécifiques de perception, mais des perceptions imposées à la psychologie américaniste à la différence des autres. Outre le trait de l’inculpabilité qui est le sentiment de l’absence à terme et décisivement de culpabilité de l’américanisme quelle que soit son action, il y a également le caractère de l’indéfectibilité, complément du précédent, qui est la certitude de ne pouvoir être battu dans tout ce qui figure conflit et affrontement.
Nous pensons que la bureaucratisation intense de la puissance américaniste, alimentée par une communication d’une intensité à mesure, colore ce processus (la bureaucratisation) de ces traits psychologiques spécifiques, et évidemment propres à l’américanisme. Ainsi nous paraît-il logique de compléter les différents constats techniques développés ci-dessus, d’un substrat psychologique fondamental expliquant la faiblesse considérable des capacités électroniques des forces armées US, qui sont nécessairement d’essence défensive par rapport aux forces offensives même lorsqu’elle opèrent d’une façon offensive, puisque leur but est d’affaiblir les capacités ennemies. En un sens, nous voulons dire par là que la puissance US se juge elle-même si grande, si extrême, si au-dessus et au-delà du reste, qu’elle n’a pas véritablement besoin d’affronter spécifiquement et de détruire les moyens de l’ennemi pour le défaire, mais qu’il importe simplement qu’elle fasse peser son poids sur lui pour qu’il s’effrite, se désintègre, se néantise et s’entropise en un sens. Le Russe, semble-t-il, n’a toujours pas compris cela puisqu’il ne s’est toujours pas désintégré ni entropisé.
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