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5309On débat beaucoup des violences en France, essentiellement sur les mots précis choisis pour désigner des situations que certains ne voudraient pas trop préciser ; le mot “ensauvagement”, par exemple, agite et oppose deux ministre ‘régaliens’, comme l’on sait, sans nécessairement réduire la dimension et la gravité de la cause de l’emploi de ce mot. Car la France est à l’heure de la montée des violences, à très grande vitesse, comme vont aujourd’hui les événements. A la fin, est-on encore en paix ? Cette question se pose avec insistance et angoisse, d’autant qu’elle détermine des attitudes fondamentales.
Pour l’universitaire et auteur suisse Éric Werner, la question est tranchée : c’est la guerre. C’est d’autant plus la guerre que la frontière est devenue très floue entre guerre et paix dans notre étrange époque où tout doit être redéfini, et que, dans cette incertitude et par les temps qui courent si vite, le pire est toujours probable. Dans l’interview de Werner reproduite ci-dessous, il y a effectivement ces précisions qui tranchent le débat :
« C’est très flou [entre est-ce la guerre ou est-ce la paix ?]. Mais il faut aller plus loin encore. C’est la question même de savoir si l’on est en paix ou en guerre qui apparaît aujourd’hui dépassée. Elle l’est pour une raison simple, c’est que tout, aujourd’hui, est guerre. La guerre est devenue “hors limites” (pour reprendre le titre du livre de Qiao Liang et Wang Xiangsui). Il n’y a plus dès lors à se demander si l’on est en paix ou en guerre. Car a priori l’on est en guerre. C’est le cas en particulier au plan interne... »
Diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et enseignant de philosophie politique à l’Université de Genève, rédacteur à L’Antipresse, Werner il a publié Légitimité de l’autodéfense : Quand peut-on prendre les armes ? aux éditions Xenia. On comprend alors combien les questions qu’on peut lui poser à la lumière des événements en cours en France ont leur orientation toute tracée. Le site La Cocarde Étudiante, qui a réalisé l’interview de Werner, également repris par Éléments, dont Werner est un collaborateur régulier, note pour introduire cette rencontre de questions-réponses :
« L’été Orange mécanique que la France a vécu a mis au centre du débat politique le concept d’ “ensauvagement”, repris jusqu’au sommet de l’État par le ministre de l’Intérieur. Pour remédier à ce phénomène, l’appel à un renforcement de l’État et à un tour de vis régalien est la solution la plus largement partagée, du moins celle qui paraît aller de soi. Or, à Palavas-les-Flots, à Bordeaux, ou encore à Nantes, des citoyens, désabusés de la dégradation de leur environnement quotidien, se sont constitués en collectifs pour prendre en charge eux-mêmes leur sécurité. Une même unanimité condamne cette voie vers l’“autodéfense”, considérée comme le début de la fin d’une société. Mais faut-il être si inquiet ? »
On notera que si la France est prioritairement citée, les USA constituent également un cas en pointe, encore plus qu’en France dans la mesure où des milices sont déjà constituées, et le pays bien avancé sur la voie de la dissolution et/ou de la guerre civile. D’autre part, effectivement l’on assiste aujourd’hui à des conflits de type asymétrique ou hybride (en Syrie, par exemple), extrêmement complexes à définir, où des unités du type-milice, plus ou moins régulières, jouent un rôle très important en répercutant sur le champ des armes les extrêmes complexités ethniques, politiques et religieuses.
Dans tous les cas, il s’agit d’une question plutôt ‘technique’ qui a déjà été débattue dans nos contrés, notamment dans les années 1970, lorsqu’il apparaît que les perspectives de conflits nécessitent des actions “citoyennes” de types non-conventionnels. Dans cette période des années 1970, devant la supériorité conventionnelle du Pacte de Varsovie telle qu’elle était perçue et affirmée par l’OTAN, un important mouvement de réflexion (en France avec le général Copel, en Allemagne, aux Pays-Bas) envisagea des types d’organisation de la sorte qu’on envisage ici. La “modèle suisse” du soldat-citoyen constitua notamment un point de référence (cela explique que des Suisses, comme Werner, soit particulièrement versés dans cette sorte de réflexion). La situation de la “menace” est aujourd’hui très différente ce celle du Pacte de Varsovie, mais l’aspect technique renvoie aux mêmes références.
Au reste, la véritable différence avec les années 1970 comme avec la Suisse, encore plus que dans la “menace”, se trouve dans le rôle de l’État. Dans ce cas et au contraire des cas précédents, l’État n’est pas l’organisateur ou l’interrogateur, il est un “ennemi”, presque autant et même peut-être plus que la “menace” dont il ne sait plus, ni ne veut finalement, protéger le citoyen. Werner est extrêmement tranchant sur ce point et c’est un aspect extrêmement remarquable de son discours, de sa pensée et de ses conceptions puisqu’il va jusqu’à se demander si l’État n’est pas favorable à une guerre civile alors qu’il pensait il y a 20 ans (en 1999, dans son livre L’avant-guerre civile) que l’État voulait s’arrêter au bord de la guerre civile :
« L’État ne semble pas prendre la mesure de la gravité de la situation, dites-vous. Il en a au contraire tout a fait pris la mesure, puisqu’il est lui-même à l’origine de cet état de choses, ne serait-ce qu’en l’ayant laissé se développer comme il l’a fait. Mais on pourrait aussi le soupçonner de l’avoir lui-même mis en place.
»... On pourrait aussi dire que l’État est aujourd’hui l’ennemi prioritaire. Ce n’est bien entendu pas le seul ennemi : il y en quantité d’autres. Mais c’est l’ennemi prioritaire. Si on ne l’écarte pas en priorité, on n’écartera pas non plus les autres, ne serait-ce que parce qu’il est leur allié et les protège. En tout cas, il n’a rien fait pour en empêcher ou seulement même freiner la mise en place (par un meilleur contrôle des frontières, par exemple, ou encore en veillant à ce que les voyous et les criminels se voient appliquer les peines prévues par la loi : ce qui, on le sait, n’est jamais le cas). Sauf qu’il ne le qualifierait pas, quant à lui, de “grave”. Comme il lui est à tous égards hautement profitable, au moins le pense-t-il (c’est pour cette raison même qu’il l’a laissée se mettre en place), il le qualifierait plutôt de réjouissant. »
Cette position est absolument remarquable et tend à se rapprocher de celle des libertariens aux USA. Werner écarte l’idée qu’on puisse voir en lui un anarchiste ; il ne donne pas de raison ni d’argument pour expliquer l’attitude de l’État, sinon qu’il ne respecte plus le pacte social : « L’État n’est pas a priori mon ami. Il ne l’est que s’il se conduit en conformité avec le pacte social, qui lui fait obligation de protéger le citoyen. Autrement non, il ne l’est pas. Il l’est encore moins quand il m’agresse, comme c’est de plus en plus le cas aujourd’hui. Il est alors mon ennemi, et que cela lui plaise ou non je prends toutes les mesures que j’estime utiles et nécessaires pour me protéger contre lui. »
Nous n’avons pas lu le livre de Werner et ignorons donc 1) s’il explique pourquoi il perçoit l’État comme son ennemi, et 2) s’il l’explique quelle est le cause qu’il propose. Mais peu importe, car seule importe ici l’attitude tranchante, absolument décisive de ce commentateur sérieux et spécialiste de la question : “Oui, l’État est notre ennemi”. L’on constatera par ailleurs, au vu des événements, de leur rapidité, des positions des autorités, du sentiment populaire çà l’encontre de ses autorités (et l’on pourrait inclure évidemment les élitesSystème au service du PC), que la thèse selon laquelle, – peu importe la raison, – l’État est notre ennemi, sinon notre “ennemi principal” est largement recevable. Dans ce cas, d’ailleurs mais certainement d’un point de vue très intéressant, la réflexion rejoint celle qui évoque les hypothèses de forces extérieures aux seules manœuvres humaines, et exerçant une influence maligne catastrophique sur notre civilisation, nos sociétés, etc. On a l’État qu’on mérite : celui de l’état des lieux, de l’état des esprits et de l’état de l’ouragan catastrophique qui affecte cette fin de cycle civilisationnel.
Par conséquent, écoutons et lisons attentivement Éric Werner, dans cette interview du 6 septembre 2020 de CocardeEtudiante.com, reprise par Éléments.
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La Cocarde Étudiante : Dans votre ouvrage, vous analysez l’effacement, dans nos sociétés occidentales, de la frontière entre la guerre et la paix, et le mélange des deux états. L’actualité française est marquée par une succession dramatique d’agressions et d’homicides ultra-violents, aux motifs dérisoires et dont les auteurs sont quasi-systématiquement étrangers, « migrants » ou d’origine étrangère. Le concept d’ « ensauvagement » vous semble-t-il opérant pour analyser et comprendre ce phénomène ?
Éric Werner : Effectivement, la frontière entre la guerre et la paix tend à s’effacer, ce qui fait qu’on ne sait plus trop aujourd’hui par où elle passe. C’est très flou. Mais il faut aller plus loin encore. C’est la question même de savoir si l’on est en paix ou en guerre qui apparaît aujourd’hui dépassée. Elle l’est pour une raison simple, c’est que tout, aujourd’hui, est guerre. La guerre est devenue « hors limites » (pour reprendre le titre du livre de Qiao Liang et Wang Xiangsui). Il n’y a plus dès lors à se demander si l’on est en paix ou en guerre. Car a priori l’on est en guerre. C’est le cas en particulier au plan interne. Il y a différentes manières de qualifier l’état de choses actuel en France, mais on pourrait se demander si la référence à la paix civile est bien encore la plus appropriée.
Entrons un peu maintenant dans les détails. Vous parlez d’« agressions et d’homicides ultra-violents, aux motifs dérisoires ». Plus ils sont dérisoires, plus évidemment on est amené à se demander si la véritable motivation ne serait pas d’ordre politique. Sauf que cette motivation ne s’affiche pas toujours ouvertement. On peut en revanche se référer au contexte : djihad, indigénisme, surenchères post- ou décoloniales, iconoclasme, culture Woke, etc. Rappelons également la formule de Clausewitz : la guerre, poursuite de la politique par d’autres moyens. La criminalité en elle-même n’est pas la guerre. Elle ne le devient que lorsqu’elle devient un moyen de la politique. Mais alors, elle le devient très clairement. On pourrait se demander si ce n’est pas aujourd’hui le cas.
Autre point à considérer : on est en présence d’un phénomène évolutif. Pour l’instant encore, les agressions et les meurtres dont vous parlez (auxquels il faudrait ajouter les viols collectifs, les profanations d’églises et de cimetières, d’innombrables actes de vandalisme, probablement aussi un certain nombre d’incendies, etc.) relèvent de la micro-criminalité (ou encore d’une criminalité « moléculaire »). Autrement dit, ils restent dispersés dans le temps et dans l’espace, ne constituent donc pas encore un ensemble d’un seul tenant. Mais il est tout à fait concevable qu’ils le deviennent un jour, ne serait-ce qu’au travers de la contagion mimétique. Vous-même le relevez d’ailleurs, ils tendent aujourd’hui à se multiplier. C’est le cas en particulier dans les centres-villes, jusqu’ici relativement épargnés. Relevons au passage l’inexistence, ou quasi-inexistence, de la réponse policière, avec pour conséquence le développement d’un sentiment d’impunité poussant les voyous et les criminels à se montrer toujours plus agressifs et entreprenants. Bref, on a de bonnes raisons de penser qu’à un moment donné, une « coagulation », se fera, la micro-criminalité en question se transmuant alors en émeute (à l’échelle d’un quartier, d’abord, puis d’une ville). L’événement n’est pas complètement inédit. Rappelons pour mémoire les émeutes raciales de 2005 en région parisienne (avec des débordements jusqu’au cœur de la capitale). C’est une deuxième étape de l’évolution. Mais il peut y en avoir encore une troisième. Du niveau de l’émeute on peut ensuite passer à celui de l’insurrection. L’émeute s’étend dès lors à l’ensemble du territoire. C’est ce qui s’était passé, par exemple, en 1789. Rien ne dit que le processus actuel ira jusqu’à son terme, mais on ne saurait a priori en exclure la possibilité. Tout dépend de ce que décideront ou non de faire les victimes potentielles : se défendront-elles ou non ? En 1789, elles s’attendaient si peu à ce qui leur arriva qu’elles n’eurent pas le temps seulement de se poser la question. Et donc ne se défendirent pas. C’est bien montré par Taine dans ‘Les Origines de la France contemporaine’.
Je réponds par là même à votre question sur l’ensauvagement. Cette terminologie est évidemment inadéquate. Les voyous et les criminels qui agressant aujourd’hui les personnes dans la rue et souvent les tuent, ne le font pas parce qu’ils seraient soi-disant retournés à l’état sauvage. Ils font la guerre, c’est tout. La guerre, que je sache, ne s’est jamais signalée par son caractère particulièrement humain ou civilisé.
La Cocarde Étudiante : L’État ne semble pas prendre la mesure de la gravité de la situation, ne serait-ce que dans le choix des mots de ses responsables (« incivilités ») ou dans l’absence de traitement des causes profondes de cette ultra-violence et de l’insécurité permanente. Peut-on dire qu’en France, le pacte social entre l’État et ses citoyens est rompu ?
Éric Werner : L’État ne semble pas prendre la mesure de la gravité de la situation, dites-vous. Il en a au contraire tout a fait pris la mesure, puisqu’il est lui-même à l’origine de cet état de choses, ne serait-ce qu’en l’ayant laissé se développer comme il l’a fait. Mais on pourrait aussi le soupçonner de l’avoir lui-même mis en place. En tout cas, il n’a rien fait pour en empêcher ou seulement même freiner la mise en place (par un meilleur contrôle des frontières, par exemple, ou encore en veillant à ce que les voyous et les criminels se voient appliquer les peines prévues par la loi : ce qui, on le sait, n’est jamais le cas). Sauf qu’il ne le qualifierait pas, quant à lui, de « grave ». Comme il lui est à tous égards hautement profitable, au moins le pense-t-il (c’est pour cette raison même qu’il l’a laissée se mettre en place), il le qualifierait plutôt de réjouissant.
En revanche une question se pose : dans quelle mesure entend-t-il aller plus loin encore dans cette direction ? Dans mon ‘Avant-guerre civile’, je défendais l’idée suivant laquelle les dirigeants étaient prêts à aller jusqu’à l’extrême limite séparant l’avant-guerre civile de la guerre civile ! Ils ne voulaient pas basculer dans la guerre civile. C’est une thèse qu’on pouvait encore défendre en 1999 (date de la publication de la première édition de l’ouvrage), peut-être encore en 2015 (date de la deuxième édition). J’hésiterais peut-être à le faire en 2020. On a parfois le sentiment que les dirigeants actuels seraient désormais prêts à franchir la ligne de démarcation. Ce thème est développé avec brio par Laurent Obertone dans son roman d’anticipation, ‘Guérilla’. Obertone décrit une guerre civile hypothétique, avec en arrière-plan l’État qui tire les ficelles, et en fin de compte empoche la mise. Il s’agit là d’une œuvre de fiction, mais le décryptage qu’elle suggère de la stratégie actuelle de l’État, plus exactement encore des personnels qui, tout au sommet de l’État (ou dans ses profondeurs, comme on voudra), prennent les décisions dans un certain nombre de domaines retient l’attention. – Quant au pacte social entre l’État et ses citoyens, il n’y a, bien entendu, plus de pacte depuis longtemps, puisque depuis longtemps également l’État ne protège plus ses citoyens. Mais ce n’est pas seulement le cas en France : c’est le cas également en nombre d’autres pays européens.
La Cocarde Étudiante : Avec la vague d’attaques djihadistes que la France a subie depuis 2015, souvent conduites de manière tout à fait « artisanale » (attaques au couteau), l’idée d’une reprise en main de sa défense par le citoyen lui-même a gagné du terrain dans les esprits. Le citoyen, ou un regroupement de citoyens, est-il l’échelon le plus efficace aujourd’hui pour assurer la protection du peuple français ?
Éric Werner : Le plus efficace, je ne sais pas. De toutes les manières, il n’y en a pas d’autre. A partir du moment où l’État n’assure plus la protection du citoyen, ce dernier récupère ipso facto son droit naturel à l’autodéfense. Il n’y a pas de décision particulière à prendre à ce sujet, cela se fait automatiquement. Soit l’État ne semble pas prendre la mesure de la gravité de la situation, dites-vous. Il en a au contraire tout a fait pris la mesure, puisqu’il est lui-même à l’origine de cet état de choses, ne serait-ce qu’en l’ayant laissé se développer comme il l’a fait. Mais on pourrait aussi le soupçonner de l’avoir lui-même mis en place. fait ce qu’il lui revient de faire (c’est le pacte social qui le lui impose), et donc protège le citoyen, soit il ne le fait pas, en quel cas le citoyen récupère son droit à l’autodéfense. Maintenant, il peut aussi ne pas l’utiliser. Mais ce n’est pas parce qu’il ne l’utilise pas qu’il ne l’a pas récupéré. La question que vous posez doit donc être reformulée. On peut ne pas vouloir se défendre, c’est tout à fait possible. Mais qu’est-il préférable : se défendre ou ne pas se défendre ? Personnellement je réponds : se défendre, et cela pour au moins deux raisons : 1) L’agresseur préférerait le contraire, que je ne me défende pas. Je ferai donc ce qu’il n’a pas envie que je fasse : je me défendrai. 2) L’expérience historique montre qu’on a bien davantage de chances de rester entier et vivant en se défendant qu’en ne se défendant pas. On le voit en particulier durant les périodes de révolution et de guerre civile. Les gens qui ne se défendent pas sont à peu près sûrs de mourir. Ceux, en revanche, qui se défendent ont une petite chance au moins de s’en tirer.
Après, il y a manière et manière de se défendre. On décide en fonction de chaque situation. Dans mon livre sur l’autodéfense, j’insiste en particulier sur le fait qu’en choisissant de se défendre plutôt que de ne pas le faire, on ne se confronte pas seulement à l’agresseur mais à l’État ne semble pas prendre la mesure de la gravité de la situation, dites-vous. Il en a au contraire tout a fait pris la mesure, puisqu’il est lui-même à l’origine de cet état de choses, ne serait-ce qu’en l’ayant laissé se développer comme il l’a fait. Mais on pourrait aussi le soupçonner de l’avoir lui-même mis en place., qui directement ou non protège l’agresseur. Théoriquement l’État reconnaît le droit à la légitime défense, mais cette reconnaissance, justement, n’est que théorique : en fait, il ne le reconnaît pas. Il ne laisse même rien passer dans ce domaine. Il faut donc faire très attention à ce qu’on fait (et dit). Je n’affirme pas qu’il ne faut rien faire. Mais il faut être prudent, discret, plutôt en retrait (je pense en particulier ici à l’Internet). Le problème a souvent été abordé dans le cinéma américain. Je pense en particulier au film de Peter Hyams, ‘La nuit des juges’, sorti dans les années 80. – Un mot enfin sur la « protection du peuple français ». Je crois que si vous réussissez à vous protéger vous-mêmes (vous-même en tant qu’individu, éventuellement groupe d’individus), c’est déjà beaucoup.
La Cocarde Étudiante : La notion de citoyen-soldat, ou l’idée de confier à l’individu les moyens de sa défense, restent néanmoins particulièrement mal perçues en Europe, très vite associées à l’image de « milices » sans foi ni loi ou conduisant nécessairement à des « carnages » de tireurs fous à la sauce états-unienne. Comment expliquez-vous cette diabolisation de l’autodéfense et du port d’arme ?
Éric Werner : Qu’y a-t-il là de si surprenant ? Vous attendriez-vous peut-être à ce que l’État et les médias à sa solde les enjolivent ou en fassent l’apologie ? Si l’État leur était favorable, cela se saurait. Il leur est en réalité totalement hostile. C’est peut-être même la chose du monde à laquelle il est le plus hostile. Cela étant, puisque vous évoquez les États-Unis, il faut aussi rappeler que la situation en la matière est profondément différente des deux côtés de l’Atlantique. Aux États-Unis le droit de porter des armes est considéré comme un droit fondamental (2ème amendement de la constitution), en certains États, même, comme un devoir. Les citoyens ont le devoir d’être armés et de se défendre quand ils sont attaqués. C’est l’inverse exactement en Europe. On vous recommande avec la plus grande fermeté de ne pas vous défendre. C’est un très lourd handicap pour les Européens. Les Européens partent de beaucoup plus bas dans ce domaine que les Américains.
La Cocarde Étudiante : Sous les effets conjugués de la mondialisation libérale, de la perte de souveraineté au bénéfice d’instances supranationales, et de l’immigration massive, la cité « France » est de plus en plus une chimère, et le beau mot de « citoyen » a été dépossédé de son sens. Vous expliquez dans votre essai que la sentence « je réplique donc je suis » peut redonner à la citoyenneté et à la loi (‘nomos’) leurs lettres de noblesse, comment ?
Éric Werner : D’une manière générale, la guerre civile a pour effet de redistribuer les cartes, de remettre les compteurs à zéro. Elle offre ainsi l’occasion d’une refondation. C’est ce qu’explique Giorgio Agamben dans son essai sur la ‘stasis’, autrement dit la guerre civile (‘La guerre civile : Pour une théorie politique de la stasis’, Editions Points, 2015). La ‘stasis’, écrit-il, « est un paradigme politique coessentiel à la cité ». On est dans un cycle mort-résurrection. La cité meurt avec la ‘stasis’, mais la ‘stasis’ est en même temps ce qui la fait renaître de ses cendres. Elle renaît évidemment autre. Ce n’est plus la même cité qu’auparavant. Mais renaît. Concrètement, on sort de l’état de nature pour en revenir à l’état civil. Un nouveau pacte social est conclu entre de nouveaux citoyens (en l’espèce, citoyens-soldats). On pourrait aussi se référer à Machiavel. Dans ‘Un air de guerre’ (Xenia, 2016), j’explique que, pour Machiavel, c’est la guerre elle-même qui rend apte à la guerre. On n’a donc pas besoin d’être apte à la guerre pour la faire. La guerre elle-même nous y éduque. Or l’aptitude à la guerre n’est pas sans lien avec un certain nombre de vertus proprement civiques: courage, empathie, dévouement au bien commun, etc. Il est vrai qu’au point de départ, il y a une décision personnelle : se défendre et donc répliquer, plutôt que rester passif et ne pas répliquer. Le choix de se défendre précède la guerre qui rend apte à la guerre.
La Cocarde Étudiante : Diriez-vous qu’aujourd’hui l’Etat, tel qu’il est et agit, représente le principal obstacle à la bonne vie et la protection du citoyen ?
Éric Werner : On peut le dire comme ça. On pourrait aussi dire que l’État est aujourd’hui l’ennemi prioritaire. Ce n’est bien entendu pas le seul ennemi : il y en quantité d’autres. Mais c’est l’ennemi prioritaire. Si on ne l’écarte pas en priorité, on n’écartera pas non plus les autres, ne serait-ce que parce qu’il est leur allié et les protège. Ce n’est pas être anarchiste que de le dire. Personnellement je ne suis pas anarchiste. Je reconnais tout à fait l’utilité de l’État, et à certains égards, même, sa nécessité. On a tout à fait besoin de lui, par exemple, pour résister à une invasion étrangère. Mais je ne suis pas non plus un inconditionnel de l’Etat. L’État n’est pas a priori mon ami. Il ne l’est que s’il se conduit en conformité avec le pacte social, qui lui fait obligation de protéger le citoyen. Autrement non, il ne l’est pas. Il l’est encore moins quand il m’agresse, comme c’est de plus en plus le cas aujourd’hui. Il est alors mon ennemi, et que cela lui plaise ou non je prends toutes les mesures que j’estime utiles et nécessaires pour me protéger contre lui.