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89620 avril 2009 — Les articles et analyses n’ont pas manqué ces derniers jours pour mettre en évidence la manœuvre en cours. Il s’agit de relever la vision de la situation, de présenter une amélioration qu’on suggérerait bientôt comme décisive, qui passe essentiellement sinon exclusivement par un “relèvement” aussi étrange que massif et enthousiaste du secteur bancaire US. La manœuvre est si énorme, à la mesure du susdit secteur, et si considérable, si convaincante que la “presse officielle” se sent soudain encouragée à parler de la fin de la crise, notamment serait-on tenté d'observer, selon l’argument impératif et qui doit nous clore le bec que la chose correspond à l’arrivée du printemps. Les commentateurs simplement réalistes prennent leurs plumes pour énoncer l’évidence, – le retour des petits oiseaux ne doit pas être confondu avec le retour de la prospérité.
Voici quelques exemples de ces interventions qui permettent de mieux appréhender, plus en détails et selon des données techniques autant que prospectives, l’évidence que le bon sens suggère. Ils donnent des éléments pour disposer d’une vision plus structurée de la “manœuvre” en question, qui relève de l’habituel technique de communication du travestissement de la réalité. Le processus étant fort au point et ayant déjà été expérimenté dans ses moindres détails, notamment pour la guerre en Irak, on comprendra que la vision alternative et printanière ainsi bâtie correspond plus à l’intention d’une démarche virtualiste qu’à celle d’un simple processus d’une grossière propagande. Le résultat n’est pas acquis pour autant.
• Le 13 avril 2009, dans le Times de Londres
«The spring-like whiff of optimism about the “green shoots” of economic recovery is, as they say in American football, a head fake. All economic contractions end eventually, and this one may be diminishing, but sustainable recovery is something else. It is impossible to envisage a recovery until such time as politicians are prepared to take on the financial establishment, and grab the solvency of the banking system by the scruff of the neck.
»In some ways, our crisis is already worse than the Great Depression. Global industrial production and exports have fallen more in the last year, than in the year to mid-1930. But one of the many lessons from the Depression, and other banking crises, is the over-arching need to stabilise the financial system as a precondition for stability, and then recovery. Historically, the reasons that governments delay or obfuscate in this task lie in both failure to realise the insolvency nature of big financial crises, and a failure to tackle vested financial interests.»
• La description des circonstances printanières que nous traversons est assimilé à la “méthode Coué”, par François Leclerc, le 15 avril 2009 sur le site de Paul Jorion. La vision est ici encore mieux précisée des deux univers de plus en plus éloignés, celui de la finance et celui de l’économie.
«[O]on peut aussi remarquer, qu’à en croire les visages avenants résentés aux investisseurs par les banques, dans une sorte de danse de la séduction un peu impudique vue la crise économique, qu’il y a décidemment deux mondes avec de moins en moins de choses à voir entre eux. Celui de la finance, qui prospérerait donc dans la crise, envers et contre tout, et celui de l’économie, dont les jours sombres s’accumulent sans fin, en dépit des tentatives de faire croire le contraire. [...]
»Un fort déphasage peut être constaté entre la santé retrouvée des grandes banques, à coup de cosmétiques et à force de bonnes affaires, et la crise économique dans laquelle le pays baigne tout entier. Il semble que le rôle attribué à Barack Obama soit de crédibiliser l’idée que “l’industrie financière” est le fer de lance de l’aggiornamento qu’il annonce. Rude tâche.»
• Le 13 avril le site WSWS.org analyse “les illusions du marché contre les réalités de la crise du capitalisme”. L’analyse est technique, appuyée sur des faits nombreux, interprétés comme il faut, enfin avec la conclusion qui s’impose… «The only realistic conclusion that can be drawn from these figures is that the capitalist system is sinking into the deepest slump since the 1930s, one that appears far closer to the beginning of the crisis than to its end. This crisis is shattering political illusions, not only in the Obama presidency, but in the profit system itself.» (Ce constat d’en être plus au début qu’à la fin de la crise renvoie au constat churchillien de Robert Reich, le 10 avril 2009 : «…We're Not at the Beginning of the End, and Probably Not Even At the End of the Beginning.»)
• Revenant sur le sujet le 18 avril 2009, le même site WSWS.org analyse l’attitude des banques, leur tactique dans cette occurrence, la façon dont elles ont modifié leur position et, par conséquent, le paysage général de la crise financière en train de devenir presque idyllique. Nous retrouvons toujours la technique et la tactique du développement d’un monde alternatif, virtualiste, – et des techniques parfois très classiques pour y parvenir.… WSWS.org cite notamment l’analyse du professeur Nouriel Roubini, désormais reconnu comme un expert en investigation des tromperies diverses du système.
«…Meanwhile, the banks have refused to significantly increase their lending to other businesses or consumers—the ostensible purpose of the government bailout. As the financial Web site RGE Monitor noted on Wednesday, “[I]n the real economy credit growth to the private sector has continued to slow at a fast pace in the US....”
«A second major factor in the improved earnings of the banks is reduced costs resulting from mass layoffs. US financial firms have laid off more than 400,000 employees over the past two years, and 148,000 in the final quarter of 2008 alone. In its report, Citigroup said it had cut the size of its work force to 309,000 people from 374,000 at its peak—a reduction of more than 17 percent. The bank has laid-off 13,000 people just since the end of 2008. […]
»Nouriel Roubini, professor of economics at New York University’s Stern School of Business, aptly summed-up the state of affairs as follows: “In brief, banks are benefiting from close to zero borrowing costs and fewer competitors; they are benefiting from a massive transfer of wealth from savers to borrowers given a dozen different government bailout and subsidy programs for the financial system; they are not properly provisioning/reserving for massive future loan losses; they are not properly marking down current losses from loans in delinquency; they are using the recent mark-to-market accounting changes by FASB to inflate the value of many assets; they are using a number of accounting tricks to minimize reported losses and maximize reported earnings; the Treasury is using a stress scenario for the [bank] stress tests that is not a true stress scenario as actual data are already running worse than the worst case scenario.”
»The banks are continuing, with the blessings of the Obama administration, the same predatory policies that generated massive fortunes on Wall Street and eventually plunged the US and world economy into the deepest crisis since the Great Depression.»
Si l’on veut, – c’est un peu notre interprétation psychologique, – tout se passe comme si le monde financier estimait avoir été brutalement et traîtreusement précipité dans la réalité le 15 septembre 2008, après plusieurs tentatives précédentes qu’il avait contenues à grand-peine. Après quelques mois d’une humeur saumâtre et de signes d’une très grande faiblesse, et avec l’aide massive et qui va de soi des contribuables par l’intermédiaire de leurs représentants politiques, il a enfin décidé de regagner l’univers virtualiste pré-septembre 2008 qui lui sied mieux. C’est à cela que nous sommes en train d’assister et nous allons nous arrêter à la tactique employée, qui est intéressante parce qu’elle est à peu près celle du “surge” mise au point en Irak.
On sait comment le “surge” a fonctionné en Irak. Ce n’est pas l’envoi de 20.000 soldats en plus en 2007, qui ont d’ailleurs mis six mois à se déployer, qui a résolu le problème d'une apparence très voyante de la catastrophe irakienne, mais une gestion brusquement économique et corruptrice du conflit, notamment l’achat massif et en bonne et due forme, avec salaires, primes, etc., de groupes (essentiellement sunnites) qui, jusqu’alors combattaient l’U.S. Army, en obtenant leur retournement contre les groupements d’Al Qaïda ou d'un pseudo-Al Qaïda, d’autres terroristes et de groupes criminels divers et “de droit commun”, qui menaçaient de plus en plus fortement l’autorité des pouvoirs locaux (notamment sunnites). L’U.S. Army n’a pas renforcé sa présence opérationnelle (seule l’activité aérienne décupla, avec les habituelles pertes civiles, cela va de soi) ni remporté des victoires. Au contraire, elle s’est repliée de plus en plus dans ses énormes bases, pour laisser les différents acteurs “légitimes” sur le terrain (sunnites, chiites, etc.) assurer leur mainmise, d’abord collectivement contre le pseudo-Al Qaïda et les divers groupes terroristes et criminels, ensuite sur leurs propres territoires. Les affrontement intercommunautaires furent mis en veilleuse, comme étant de peu d’intérêt pour chacun. Il s’agissait de restaurer une situation de contrôle d’où les Américains étaient exclus. Pour les Américains, il s’agissait d’assurer un retour à une certaine stabilité, à partir de laquelle ils pourraient envisager un retrait. Ils ne firent d’ailleurs guère de difficultés pour signer un accord de retrait, qui eût été impensable dans les termes où il fut signé, trois ou quatre ans auparavant. Grosso modo, pour l’establishment de sécurité nationale US, il s’agit de se sortir du guêpier irakien pour tenter de réaffirmer sa puissance (bonne chance) en évitant de la soumettre à un autre test de cette sorte. Bref, un retour au virtualisme de la puissance US, pré-Irak 2003.
Ainsi va la théorie… La pratique, elle, est bien différente; il y a l’Afghanistan, les dégâts infligés aux structures des forces et la crise du Pentagone ainsi aggravée, les crises collatérales et complémentaires engendrées ou aggravées aux USA par l’Irak, y compris la crise budgétaire, l’effondrement de l’influence US, etc. Comme tactique, le “surge” a marché dans l’univers virtualiste et en Irak parce que c’était de l’intérêts des “acteurs” principaux; mais ce n’est pas une stratégie et on a utilisé la chose, en fait comme si elle était une stratégie. L’Irak a toutes les chances d’être tout de même une catastrophe, – pour l’Irak, certes, confronté à une résurgence de guerre civile avec les sunnites redynamisés, et d’ores et déjà pour l’US. Army, qui ne sait exactement de quelle façon parvenir à un retrait. Les USA sont définitivement diminués par cette catastrophe et c’est là une défaite stratégique majeure, “surge” ou pas “surge”.
Ce que fait Wall Street depuis deux mois, avec l’aide des “copains et des coquins” qui pullulent dans l’administration et alentour, c’est un “surge”, exactement dans les mêmes conditions techniques, l’apport d’argent public lui permettant de rétablir les conditions d’avant et de paraître s’extraire de la crise, avec divers acteurs collatéraux “convaincus” de jouer son jeu. Le but est de sortir de la crise financière et de revenir au bon vieux temps d’avant. Comme le décrit John Gapper, dans le Financial Times à propos de Goldman Sachs, c’est effectivement le retour au “bon vieux temps”: «[The Goldman Sachs CEO,] Mr. Blankfein, criticized Wall Street’s past pay practices as “self-serving and greedy,” but Goldman is still putting aside 50 percent of revenues—$4.7 billion in the first quarter—for the bonus pool. Inside, it may feel “humbled,’ as Mr. Blankfein said, but it looks like the same old bank. Once it has repaid the $10 billion, Goldman hopes to go back to paying employees what it wants, buying and selling more or less what it fancies and operating as before.»
Le problème est que, comme en Irak, les conditions extérieures ont fortement évolué. Entretemps, une crise économique majeure à éclaté et s'est développée, directe conséquence de la crise financière. C’est-à-dire qu’il faut bien peser les termes: Wall Street veut sortir de la crise, non pas la résoudre. C’est là qu’est le nœud de l’intrigue puisqu’il est par ailleurs proclamé que Wall Street est le nœud de toutes choses, le deus ex machina du système et ainsi de suite. Les hérauts de la fable, les Summers, Bernanke et compagnie, et BHO quand il s’y met, proclament que “puisque Wall Street va, tout va” – mais là, vraiment, c’est un peu court.
Le “surge” irakien n’a pas encore réussi sa manœuvre, dont le but essentiel est le retrait US d’Irak d’une façon pas trop désavantageuse par rapport à la catastrophe installée dans ce pays. La formule du “surge” n’est donc pas encore tactiquement assurée. Mais quant à en faire une stratégie! Or, c’est ce à quoi prétend le “surge” de Wall Street, dans une tentative encore plus folle; car Wall Street ne peut prétendre évacuer New York comme l’U.S. Army tentera d’évacuer l’Irak. Au contraire, il faudra que New York, Washington, le Middle West, le Sud profond, la Californie suivent et s’alignent sur le “surge”, confirment le “surge”. Il faudra que l’économie suive le “surge”, qu’elle soit elle-même un “surge”. Mais elle suit le chemin inverse, et ne fera que le suivre toujours davantage puisqu’aucune des conditions qui y conduisent n’ont été annulées et que nombre d’entre elles s’aggravent.
Le “surge” de Wall Street, c’est la volonté de réinstaller le monde virtualiste qui prévalait avant la crise. C’est le virtualisme de retour contre la réalité. Vieille bagarre, mais cette fois avec les cartes différemment distribuées. La réalité a la dent bien plus dure, avec la catastrophe économique. Le “surge” de Wall Street pourrait réserver de bien désagréables surprises à Wall Street, – encore plus, à notre sens, que l’U.S. Army en a connues et en connaîtra peut-être encore en Irak.
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