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104725 décembre 2006 — “Surge” (accélération, renforcement très rapide, montée accélérée en puissance, etc.) est le mot-clef à Washington, aujourd’hui. Il définit les intentions de GW Bush vis-à-vis de l’Irak : un renforcement rapide des forces US en Irak, pour frapper un coup décisif (à Bagdad), qui permettrait de renverser le cours de la guerre. Certains jugent que ce “surge”-là doit être du court terme (“short term surge”), le changement de la situation militaire devant permettre aux Américains de passer la main aux Irakiens et de s’en aller, — vite, le plus vite possible.
Il est assez juste de dire que cette idée-là (“short term surge”) est, de loin, la plus répandue à Washington. Après un embrassement général des idées de l’ISG (qui contenait une option “short term surge” qui n’apparaissait que comme un facteur plutôt secondaire), l’attitude de GW Bush a conduit au climat actuel où l’on juge inévitable un renforcement militaire et où l’on espère qu’il sera court.
Les “neocons”, qui pourraient paraître rester les inspirateurs de GW Bush, — mais il n’y a qu’une rencontre d’esprits — ne sont pas d’accord. Bill Kristoll l’a fait savoir le 24 décembre sur Fox.News (repris par RAW Story), en précisant qu’il était convaincu de traduire le sentiment de GW Bush. Il s’agit plutôt d’un “long term surge” ou, plus encore, d’un “surge untill complete victory”…
»“There's no point having a short term surge,” Kristol said on Fox News Channel. “Especially, if it's proclaimed ahead of time that it's just short term. Then [the enemy] goes into hiding for 3 or 6 months.”
»“We pull back and we're in the same situation,” the Weekly Standard editor said. “Bush will commit — I believe, when he speaks in a couple of weeks — to doing this. That this is a strategy for victory and that he's willing to do this for the remaining 2 years of his presidency.”
»Forcasting the president's plan for Iraq, Kristol adds, “I think [Bush] will say ‘We can win. We have to win. We're going to increase troop levels as part of a new strategy for the sake of victory.’ And, so, it will not be a short term surge.”
»Kristol respects the president for increasing troops against conventional wisdom in D.C. and against the wishes of public sentiment, but mocks the majority of people that have doubts about a troop increase, saying, “This is a remarkable moment, though. I came to Washington 30 years ago. How often does a president go against ¬— what Juan referred to — the wider consensus in this town, ‘the military solution isn't possible?’ It's a very broad consensus of the establishment and, I think, that's why there's so much anger among the establishment-types. 'Gee. The Baker-Hamilton Commission pronounced its verdict. And how dare the president make up his own mind and decide that he's not just going to just gracefully accept defeat with this nice bi-partisan patina of the Baker-Hamilton Commission. How dare he decide that we might win in Iraq.”
»Kristol praises the president's embrace of the neocon-preferred Iraq plan and compares him to President Reagan, saying, “It's nice to see a president showing leadership and courage. It reminds me that the only time I've really seen this was Reagan at Reykjavik [talks] in 1987. He turned down Gorbachev's — what was thought to be, a very generous offer. You remember this well — to get rid of so many weapons. And Reagan said, ‘No. We're not getting rid of SDI [aka Star Wars]’ He went against the bipartisan consensus, the conventional wisdom. He was right and this time Bush is going to do it. It's impressive. It's impressive to take charge in this way.”»
Dans cette affaire, la logique est du côté des néo-conservateurs. L’argument de Kristoll est implicite et irrésistible : si un “short term surge” aboutit à un résultat opérationnel positif, pourquoi s’en aller? Pourquoi ne pas le poursuivre jusqu’à la victoire?
Bien entendu, on émettra les doutes les plus complets sur les effets d’un “surge” des forces US en Irak, short ou pas ; on émettra même un doute sur la possibilité que les USA parviennent rapidement à un “surge” acceptable en volume de leurs forces, compte tenu des lenteurs de la bureaucratie et de l’incroyable capacité de gaspillage du Pentagone. Ces doutes sont complètement acceptables et considérablement justifiés. Mais si vous acceptez la logique du principe d’un renforcement pouvant être fait rapidement et pouvant apporter un changement décisif dans la situation opérationnelle, alors les néo-conservateurs ont, d’un point de vue américaniste, complètement raison.
Les neocons tiennent l’establishment pris à son propre piège du conformisme. Qui osera proclamer et faire accepter l’idée que la guerre en Irak est une catastrophe depuis le début, que c’était même une catastrophe avant qu’elle soit lancée, que l’idée même de la guerre est une catastrophe et que les forces américanistes sont incapables de la remporter? Qui, au sein de l’establishment, oserait avancer tout cela alors que l’essentiel de l’establishment, comme le rappellent les néo-conservateurs eux-mêmes, a approuvé cette guerre et affirme bruyamment que la puissance militaire US est capable de tout, indépassable, exceptionnelle et ainsi de suite?
Le conformisme washingtonien, qui est celui d’un acquiescement religieux à la puissance US, interdit de tels arguments qui, bien entendu, balaieraient toutes les affirmations des néo-conservateurs. Ainsi en est-on conduit à revenir à la logique dont les néo-conservateurs présentent l’extrême.
Les néo-conservateurs ont effectivement ceci d’agaçant (pour l’establishment washingtonien) et d’intéressant (pour nous) qu’ils poussent la logique américaniste jusqu’à son terme, sans dissimuler. Bien sûr, ils sont “allumés”, utopistes, victimes de leurs propres illusions, complètement virtualistes, etc., mais à l’intérieur de ce système lui-même complètement virtualiste ils ne sont pas illogiques. Ils vivent sur la fable de la puissance US qui est tenue comme une vérité révélée et au-delà de tout soupçon ; ils proposent donc d’utiliser cette puissance jusqu’au bout et sans restriction. Le reste de l’establishment distingue la catastrophe irakienne et craint ses conséquences pour l’équilibre du système, — mais il veut tout de même sauvegarder la fable de la puissance US, comme s’il y croyait encore, en tentant de ficeler un retrait d’Irak qui ne paraisse pas l’être trop. L’establishment ne peut donc complètement contredire les néo-conservateurs puisqu’il souscrit finalement au fondement de leur logique.
On a dit et redit que les néo-conservateurs ne représentaient plus grand’chose après la perte de la plupart des postes de direction que nombre des leurs (Wolfowitz, Feith, Bolton, etc.) occupaient. C’est vrai. Même leur “influence” sur GW n’est pas vraiment explicable en ces termes. En réalité, il se trouve que les néo-conservateurs, bien plus que d’être les “mauvais génies” de l’Amérique, représentent le mieux possible la tendance irrésistible de l’hubris américaniste poussé à son extrême. Ils sont par conséquent les plus fidèles porte-voix de l’inconscient américaniste. Leurs thèses n’influencent pas la psychologie de GW, elles ne font que rencontrer ce que l’esprit de GW nous concocte de façon assez abrupte et naturelle.
Les néo-conservateurs ne sont plus les maîtres à Washington, s’ils l’ont jamais été. Mais ils parlent haut et fort le langage de Washington. Ils expriment l’esprit de Washington aujourd’hui. Ils ne sont pas un accident de l’américanisme, mais l’expression un peu enfiévrée, un peu exaltée, de cet américanisme, — et d’un américanisme emporté par un tourbillon, incapable de retrouver la maîtrise et le contrôle de soi. Face aux néo-conservateurs battus et ricanants, Baker ne fait pas le poids.