Surprenante surprise, quoique sans surprise

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Surprenante surprise, quoique sans surprise

8 juillet 2024 (10H10) – Cette époque étant faite d’une crise sans fin parcourue de surprise en surprise, on ne sera pas surpris d’être une fois de plus surpris. Je l’ai été donc par ce résultat qui montre d’une part la puissance de l’action coordonnée de forces d’influence qui se haïssent entre elles, d’autre part par l’extraordinaire volatilité obtenue par la peur et l’hallucination de la population. C’est un bon moment pour les techno-complotistes de sortir leur bazar dialectique, à commencer par “les oppositions contrôlées”, pour faire de Macron le Diable qui renaît de ses cendres et peut encore mieux préparer le Great Reset, nième chapitre. Vraiment, cette sorte de commentaires repris jusqu’à plus soif sans jamais se fixer n’est pas ma tasse de thé, ni de gros vin qui tâche.. Je crois que les gens simples qui suivent passionnément la politique mille fois recommencée et même les autres sont sortis incrédules de ce résultat fait pour enfanter d’étranges lendemains, à nouveau pleins de surprises.

La seule chose qui aurait dû m’alerter c’est ce sentiment rapporté par un ami qui est une bonne source, en visite il y a quelques jours à Paris pour un travail innocent et qui se retrouva au milieu d’une famille électrifiée par la venue mille fois recommencée du fascisme-simulacre.

Cette impression avait inspiré, mais pas assez fortement peut-être, mais après tout le bon sens y a sa place, – le passage suivant de ce texte du 3 juin 2024 :

« L’état de déchaînement nerveux de la France en général, dans de telles circonstances, est absolument considérable et furieux ; il alimente, comme un immense déferlement d’une nature devenue folle, quelque chose comme un chaos totalement déconstructurant. La route reste entièrement ouverte à Macron pour la suite de sa mission à contre-sens, comme elle l’est pour un germe de contagion, un homoncule proliférant, jusqu’à une sorte de folie qui le mettra dans la même situation que Joe Biden. »

Aussi, et pour me dédouaner de la pauvreté de mon commentaire, je ne résiste pas au plaisir de reprendre ce texte d’un érudit italien, qui pourtant « ne prétend pas être un expert de la politique française » et qui, pourtant, écrivait ce texte, samedi 6 juillet, veille du deuxième tour... Il mériterait de figurer comme un commentaire tout à fait honorable écrit aujourd’hui.

Il s’agit d’Andrea Marcigliano, dans ‘electromagazine.it’ (traduction de ‘euro-synergie.hautefort.com’) du 6 juillet... Il nous annonce que « Macron-Brancaleone et Mélenchon-Brancaleone partent à la Croisade (antifasciste) ». L’Armée Brancaleone (‘L’Armata Brancaleone’) est un film de 1966 qualifié de « farce médiévale », de Mario Monicelli, menée avec brio et dans le désordre le plus complet  par Vittorio Gassman. Rien de plus approprié à la France Macron-Mélenchon de 2024, dans leur farce postmoderne.

Cela dit, je propose un petit bémol. La fin que nous propose Andrea répond assez bien à la raison ; mais la raison gouverne-t-elle encore quelque chose dans ces temps de surprises ? ‘L’Armata Brancaleone’ à la française devrait normalement ajouter le désordre au désordre, créant ainsi un flux incontrôlable et insaisissable effectivement propice à de nouvelles surprises qui seront autant de chemins de traverse, – sans oublier le développement au galop de de la GrandeCrise dont le prochain rendez-vous est fixé en novembre avec l’élection américaniste... Ce qui, ô surprise, ne signifie pas qu’Andrea ait forcément tort !

PhG-Semper Phi

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Leur croisade antifasciste

Permettez-moi d'apporter une précision immédiate. Je ne prétends pas être un expert de la politique française. L'un de ceux, si nombreux aujourd'hui, qui encombrent les médias et le web de leurs analyses. Et qui auraient sans doute du mal à trouver Orléans ou Bordeaux sur une carte.

Mais je suis un curieux. Et quand j'entends quelque chose, j'essaie, si possible, d'en vérifier le bien-fondé. Avec des données concrètes.

Ainsi, cette histoire de désistements entre le parti de Macron et le Nouveau Front Populaire de Mélenchon, annoncée à grand renfort de trompettes comme présageant la défaite de Le Pen, m'a mis la puce à l'oreille.

Et je me suis mis en quête de données. Du concret, du concret, et non pas des rêves, comme ceux de nos experts de salon.

En attendant, qu'est-ce que c'est que ce Nouveau Front Populaire ? Qui, dans son nom, rappelle celui de 1936, celui de Léon Blum. Qui a conduit la France au désastre. Mais qui reste l'un des mythes (ratés) de l'antifascisme transalpin. Et, à y regarder de plus près, aussi de celui de notre pays cisalpin.

Il a été créé le 10 juin 2024. C'est-à-dire, pour être généreux. Et à la suite du succès du Rassemblement national aux élections européennes. Avec l'objectif affiché de rassembler toute, mais vraiment toute la gauche pour écarter la menace d'un “gouvernement fasciste”.

Ce qui, soyons honnêtes, en tant que programme politique, est vraiment un peu...  peu.

Car il ne suffit pas d'être contre quelqu'un ou quelque chose pour dire que l'on a quelque chose en commun.

Et en effet, nous voyons qui s'est joint à nous.

Nous trouvons l'ancien PCF, le parti communiste. Ou ce qu'il en reste... très peu de choses. Et la galaxie fragmentée des socialistes. Plus ou moins démocratiques, plus ou moins dégénérés, héritiers de l'ère Mitterrand, aujourd'hui curiosité archéologique. Et aussi le POI, marxiste, ou plutôt trotskiste.

Et jusqu'ici...

Et puis il y a les Verts transalpins. Là aussi un archipel d'atolls dans le courant. Des écologistes, des socialistes écologiques. Des écologistes profonds (qu'est-ce que ça veut dire ?). Et même un parti de végétaliens.

Et, pour ne rien gâcher, des gaullistes de gauche (sic !), des nationalistes polynésiens, des radicaux de diverses extractions, des libéraux de gauche, des altermondialistes, des anticapitalistes, des régionalistes alsaciens, des nationalistes basques, des libertaires...

Sans oublier, bien sûr, l'univers syndical, complexe et conflictuel. De la CGT historique aux autonomes.

Voilà donc le NFP. Il n'est soudé que par la haine et la peur. Qui sont, bien sûr, de bonnes colles électorales. Mais... après cela ?

Sur quelle base pourraient-ils rester ensemble ?

Et surtout, comment pourraient-ils s'entendre avec le parti (personnel et plastique) de Macron ?

Des pacifistes avec des bellicistes ?

Des pro-russes déclarés avec des atlantistes en colère ?

Ceux qui descendent dans la rue contre la réforme des retraites avec celui qui l'a imposée ?

Les partisans des Palestiniens, et même du Hamas, avec celui qui va bras dessus bras dessous avec Netanyahu ?

Franchement, l'armée de Brancaleone, en comparaison, apparaît bien plus homogène et disciplinée.

Ces résistances auront peut-être pour effet d'empêcher un gouvernement Bardella. Mais aucun gouvernement ne pourra jamais en sortir.

Macron s'en moque. Il vise le chaos parlementaire pour gouverner seul et sans être dérangé. Sans contrôle ni contrepoids.

À long terme, et probablement à court terme, cela pourrait avoir un effet dévastateur sur la société française. Un désordre ingouvernable et ingouverné.

Et cela ne peut que favoriser Marine Le Pen.

Dont l'objectif, ne l'oublions pas, n'est pas de faire de Bardella le chef du gouvernement. Mais d'entrer, en tant que présidente, à l'Élysée.

Andrea Marcigliano