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2 novembre 2006 — Le sommet de Riga, à la fin de ce mois, réunira pompeusement l’OTAN à 26. Chaleur artificielle garantie. Dans les coulisses, le climat sera frais. Ambiance? Une querelle fondamentale entre les habituels Français (et quelques autres) et les habituels Américains (avec le reste).
Le débat oppose la France (l’OTAN doit demeurer une alliance militaire euroatlantique) et les Etats-Unis (l’OTAN doit être transformée en une organisation à vocation mondiale). Ces divergences sont publiques depuis lundi, avec l’article de la ministre française de la Défense Michèle Alliot-Marie dans le journal parisien Le Figaro. Arguments contre la “dilution” de l'OTAN dans un “partenariat global” et dans “des missions floues”.
Extraits:
«Aujourd'hui, cependant, certains s'interrogent sur l'opportunité d'étendre les missions de l'Otan dans deux directions : l'une géographique, en développant le partenariat avec de nouveaux pays ; l'autre fonctionnelle, en opérant dans le domaine civil, notamment dans la reconstruction de pays sortis de crise.
»Sur le plan géographique, il convient en effet de reconnaître la contribution apportée par des pays non membres de l'Alliance aux opérations militaires de celle-ci. Ainsi en est-il de l'Australie ou du Japon en Afghanistan, selon des modalités différentes d'ailleurs. Je pense souhaitable d'améliorer les modalités pratiques de leur association aux opérations, sans pour autant changer la nature profonde de l'Otan qui doit, à mes yeux, demeurer une alliance militaire euroatlantique.
»Le développement d'un “partenariat global” risquerait en effet d'une part de diluer la solidarité naturelle entre Européens et Américains du Nord dans un ensemble flou, mais aussi et surtout d'adresser un mauvais message politique : celui d'une campagne à l'initiative des Occidentaux contre ceux qui ne partagent pas leurs conceptions. Quel prétexte offririons-nous ainsi aux tenants de la thèse du conflit des civilisations ! Cela serait parfaitement antinomique avec notre vision d'un monde multipolaire reposant sur le dialogue et le respect de l'autre.»
La querelle est aussi vieille que l’OTAN d’après 1989. Elle est apparue dès le débat sur le premier élargissement (aux trois/quatre premiers pays d’Europe de l’Est, Tchécoslovaquie puis Tchéquie et Slovaquie, Hongrie, Pologne), en 1994-95. Dès ce moment est né le soupçon, chez certains “membres fondateurs” que l’on voulait transformer l’OTAN d’une organisation atlantique et européenne en une organisation élargie à vocation finale implicitement globale. Rien de nouveau, sinon un débat actualisé à des zones plus larges; toujours la même explication du côté français, transmise à l’AFP par une source diplomatique: «nous sommes contre toute institutionnalisation de nos rapports avec les pays d'autres zones.»
Débat annexe et complémentaire du précédent: les Américains veulent faire de l’OTAN une organisation capable de faire de la reconstruction dans les pays pacifiés, lorsqu’il y a pacification. Les Français refusent, estimant que ces tâches sont celles de l’ONU et de l’UE.
Le même jour où paraissait l’article d’Alliot-Marie dans Le Figaro, l’ambassadeur des USA à l’OTAN, la terrible Victoria Noland, femme du néo-conservateur Robert Kagan et elle-même de cette tendance, détaillait la position US dans une conférence au CEPS de Bruxelles (selon Defense News/AFP du 1er novembre)
«On the same day U.S. ambassador to NATO, Victoria Nuland voiced much wider aspirations for the military alliance.
»“We want NATO to be able to demonstrate that we have an alliance that is taking on global responsibilities, that it increasingly has the global capabilities to meet those challenges and is doing it in concert with global partners,” Nuland said.
(…)
»US NATO ambassador Nuland, in her comments just hours after the publication of the Figaro article, opined that between now and the November 28-29 summit in Riga “allies are going to spend a lot of time on wrestling and mud wrestling about the words that we use in our NATO documents and communiqués”.
»”This is going to be a tense conversation,” Nuland warned, recognizing the differing opinions between the United States and some of its European allies, which she did not name.
»”I would argue that the reality of what’s going on in NATO is outstripping our ability to encapsulate in the NATO doctrine and theory here in NATO headquarters,” she continued, during a conference at the center for European Policy Studies.
»The situation on the ground is “outstripping theory most importantly where it counts, in Afghanistan,” said Nuland, describing the situation there as NATO’s most challenging and most important undertaking.
»”So as we struggle at NATO headquarters to reflect in communiqué language our global partnership ideas, remember that global partnership is a reality and out-of-area is a reality today in Afghanistan.”»
Querelle qui n’est pas neuve, disons-nous. C’est la querelle entre ceux qui croient que l’OTAN est ce qu’elle affirme officiellement être (une alliance multinationale et transatlantique conforme au traité de l’Atlantique Nord) et ceux qui veulent élargir encore le rôle qu’elle tient en réalité, — celui de courroie de transmission des intérêts US auprès des pays alliés des USA, — et l’on ne voit pas, selon cette logique, pourquoi cette réalité ne pourrait pas largement déborder le seul cadre euro-atlantique. Accessoirement, les Américains veulent transformer l’Alliance en une organisation multifonctionnelle capable de remplacer, c’est-à-dire d’éliminer l’ONU et l’UE.
C’est en (re)venir à ce que Richard Perle proposait il y a quatre ans: exactement une OTAN devenue ONU. Cela montre:
• Que les néo-conservateurs sont loin d’avoir des idées étrangères aux grandes tendances washingtoniennes.
• Malgré leur relatif effacement, ils restent toujours présents et influents. Victoria Noland n’a certainement pas à se forcer pour pousser à cette idée, dont la conception lui doit beaucoup.
Maintenant, que vaut cette querelle franco-américaniste?
• Elle montre qu’à l’OTAN, il n’existe que deux positions de réelle signification et de forte influence: celle des USA et celle de la France. Les USA expriment les exigences de la puissance dominante et manipulatrice. Les Français expriment la résistance à ces exigences, au nom du droit (toutes les nations ayant un poids théorique similaire) et appuyés sur leur forte souveraineté. Les autres pays choisissent leur camp en fonction de ces deux positions. La France n’est pas toujours seule (c’est le cas ici).
• La description de la querelle, de la mésentente, ramène à la sempiternelle opposition entre les deux pays. Les déclarations de bonnes intentions et les réconciliations régulières à grand renfort de promesses d’amitié durable sinon éternelle ne changent rien au fait fondamental. USA et France représentent deux conceptions opposées et ils se heurtent en tout. Ils se heurtent notamment lorsqu’il s’agit de placer leurs raisonnements dans le cadre d’une interprétation globale, comme ici. L’interprétation française est résumée par cette phrase d’Alliot-Marie: «Cela [l’idée US d’extension géographique et d’emploi de l’OTAN] serait parfaitement antinomique avec notre vision d'un monde multipolaire reposant sur le dialogue et le respect de l'autre.» Cette appréciation va absolument contre la conception assurée des USA qu’il y a un monde unipolaire et qu’ils en sont le seul centre possible. Aucune entente, aucun compromis n’est possible là-dessus.
• Qui va l’emporter? Est-ce bien utile de poser cette question? Peut-être repoussera-t-on le débat pour ne pas gâcher l’unanimité obligée et triomphale du sommet de Riga. (C’est la principale fonction du sommet: faire croire aux foules — pour ceux qui croient que les foules s’intéressent à la chose — que l’OTAN existe toujours). Tout cela n’est pas d’une importance essentielle.
• Les Français continuent à lutter pour leur conception du droit et pour que l’OTAN reste une organisation cohérente et contrôlable. Intention louable — mais est-ce bien utile? Les Français ont la manie du légalisme et la conception cartésienne de la logique utilitaire: “puisque l’OTAN existe, il faut en user selon les normes et d’une façon conforme à ses règles”. La réalité est que l’OTAN est un instrument d’influence US et la question devrait être posée, du point de vue des intérêts réels de la France, de l’utilité de tout faire pour conserver la bonne marche de cette chose qui mine toute tentative européenne sérieuse d’autonomie.
• Au plus l’OTAN s’élargit, au plus il devient un “machin” onusien, avec en plus la redoutable particularité du droit de veto accordé à chacun de ses membres; au plus l’instrument d’influence US se pervertit; au plus les choses progressent dans le sens qu’il faut si l’on acccepte un point de vue “européaniste” (l’affaiblissement de l’OTAN par son enflure démesurée). Par exemple, l’expédition otanienne en Afghanistan, qui marque un élargissement considérable de la zone d’action de l’OTAN, et qui pourrait faire craindre aux légalistes logiciens un renforcement de l’Organisation, contribue en réalité à sa dégradation parce que l’OTAN ne peut, par rapport à ses prétentions, qu’y essuyer des revers et mettre en évidence ses impuissances fondamentales dans cette occurrence de l’élargissement dans tous les domaines.
• L’OTAN élargie, c’est un peu comme l’Irak: “qu’ils y aillent, ils verront”. (Ils y sont allés, ils ont vu.)
• La cause française est objectivement bonne et juste du point de vue de la logique objective. On peut attendre que les Américains arriveront à la tourner en partie, comme ils ont l’habitude de faire, par des actes divers de piraterie juridique et par la tactique du fait accompli. Ce faisant, ils renforceront la confusion et la perte de contrôle de l’OTAN (au profit de personne: au profit du désordre) sans rien officialiser de façon fondamentale. Ainsi sera rencontrée la vraie cause de la France au travers de sa projection européenne, la cause subjective, non-dite ni même imaginée par les Français, qui est l’affaiblissement de l’OTAN en vue de sa dissolution et de sa disparition.
(*) Note du 6 novembre 2006: suite à une remarque d'un de nos lecteurs [voir Gilles GAMECHE], nous avouons: le 'Rigan' du chapeau annonçant ce texte en page une de notre site, c'était une coquille. Mais elle est si révélatrice que c'en est presque un lapsus révélateur, que notre lecteur a raison, que nous laissons 'Rigan' complété par 'Riga'.
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