Surprises et constantes polonaises

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Surprises et constantes polonaises


9 novembre 2005 — Les élections polonaises ont débouché, une fois de plus à la surprise des commentateurs, sur un gouvernement unitaire populiste qui constitue un coup d’arrêt aux réformes ultra-libérales. Federico Bordonaro, que nous avons déjà cité à plusieurs reprises, publie le 7 novembre une analyse à propos de la situation polonaise sur le site PINR. Nous allons nous appuyer sur cette analyse pour débattre de la question de la position européenne et internationale de la Pologne.

Bordonaro situe le sens politique de son texte du 7 novembre avec le titre qui se réfère à la fameuse “classification rumsfeldienne” de début 2003 : « Poland's Populist Turn: A Blow to the New Europe? » Nous écarterions sans aucun doute le point d’interrogation.

Bordonaro résume la situation polonaise de cette façon, rapportant une nouvelle fois une erreur majeure des prévisionnistes politiques autorisés qui analysent les faits en fonction de “la théorie de l’hyper-libéralisme triomphant”. (Nous mettons des guillemets pour indiquer une spécificité : il existe aujourd’hui une “théorie de l’hyper-libéralisme” et une “théorie de l’hyper-libéralisme triomphant” ; la première expose la thèse, la seconde tient la thèse pour acquise et annonce son triomphe nécessaire.) Bordonaro : « On October 31, 2005, talks between the Polish Law and Justice Party (PiS) and its designated liberal allies of the Civic Platform (P.O.) failed to produce a center-right government. As a result, a minority government, led by PiS, is now in place and will have to be backed by the right-wing populists of the Self Defense Party (Samoobrona) and by at least one party among the far-right League of Polish Families and the protectionist Peasant Party.

» Such news may sound surprising: on September 25, in fact, the right-wing Law and Justice Party won the Polish general elections with a slight advantage (26-28 percent) over the liberal-conservative P.O. Many foreign observers then thought the two parties would form a solid center-right coalition set to expand liberal reforms in Poland.

» However, Poland's recent political history suggested a much more cautious forecast regarding the two winners' ability to shape a common, coherent policy. Since the first negotiations, it appeared that a PiS-P.O. coalition would be filled with disagreement because of their conflict over economic liberalization and cuts to the welfare state. »

La décision des populistes de constituer un gouvernement, et leur réussite, conduisent Bordonaro à analyser l’évolution de la Pologne sous un jour différent de ce qui était annoncé. « Europe and the world are now trying to understand which direction the new Polish government's economic and foreign policies are headed. Because it was projected that the P.O. would enter into the new government, analysts and decision makers in the West thought that liberal economic reforms would be rapidly introduced in Poland, thus making Warsaw a sort of bastion of the reform-oriented Europe advocated by Tony Blair — often in public opposition to the so-called ‘European social model’ proposed by many French and German policymakers.

« Furthermore, Poland was expected to be the leader of a ‘neo-liberal axis’ in Eastern Europe, fostering economic reforms in the Baltic-to-the-Black Sea area and working together with Ukraine and Lithuania to facilitate the opening of markets in the region.

» Also, the pro-U.S. stance in Warsaw's foreign policy was expected to consolidate to such an extent that Poland would be the leader of a ‘New Europe’ — a formerly communist Eastern Europe — reorientated along the lines of neo-liberal reforms and a pro-U.S., pro-N.A.T.O. security policy.

» Now, the fundamental question is whether the failure of the liberal-conservative coalition and the rise of right-wing populists will have decisive consequences on these political trends. In fact, not only the Self-Defense populist party will enter the government, but the new president of the country — Lech Kaczynski — is known for supporting the Catholic social doctrine instead of the more classical liberalism advocated by the P.O.'s leader Donald Tusk, who lost the presidential election in October. »

L’analyse conduit à admettre qu’il y aura sans aucun doute un changement important par rapport aux prévisions d’une Pologne dirigeant un ensemble hyper-libéral, “anglo-saxonisé”, pro-américain, dans l’ex-Europe de l’Est. La nuance est désormais de rigueur, et également l’incertitude. Le poids et l’influence des grandes orientations historiques et socio-culturelles, le plus souvent ignorés par les théoriciens hyper-libéraux, apparaissent essentiels une fois de plus dans le développement de la situation. (Bordonaro renvoie à son excellent texte sur cette évolution, en date du 16 septembre.)

La conclusion est celle-ci, et c’est d’elle que nous voudrions rapidement débattre: « The PiS-P.O. combine has failed because of the inescapable differences over the extent of liberal economic reforms between the two parties. As predicted, the populist right-wingers have rapidly profited from the failure of the two main parties to give birth to a viable government.

» The new Poland will be an interesting combination of different right-wing orientations. The geopolitical leader of the ‘New Europe,’ Poland will maintain its pro-U.S. and anti-Russian foreign policy, but it will not choose the British social model as its socio-economic way. Economic liberalism will probably be mixed with statist policies, because of both cultural and structural reasons. Once again, the weight of history and geopolitics has influenced economics and social models. »

La question soulevée ici est celle des rapports entre politique intérieure et politique extérieure. La conclusion est que la politique intérieure va être différente de celle qu’on attendait (plus proche de l’orientation franco-allemande) tandis que la politique extérieure, repliée sur la dimension régionale (anti-russe) restera pro-US. La question qu’il nous semble nécessaire de poser est de savoir si cela est possible.

• Les hyper-libéraux eux-mêmes, en annonçant prématurément le triomphe de leur ligne en Pologne, l’ont présenté dans un cadre clairement européen et de politique étrangère. Le “triomphe hyper-libéral” annoncé comme certain doit (devait) ré-orienter l’Europe, socialement et économiquement, mais aussi politiquement et diplomatiquement (dans un sens pro-US). C’est le fondement même de la thèse, d’ailleurs accordé à la politique extérieure US qui est l’affirmation d’une diplomatie agressive et belliciste appuyée sur l’affirmation de l’hégémonie d’un modèle idéologico-économique. Un coup d’arrêt de ce modèle idéologico-économique implique directement des effets au niveau de la diplomatie.

• La Pologne est dans l’Europe. Elle ne peut échapper, vu son poids, aux grands débats européens qui impliquent également les deux dimensions : modèle idéologico-économique et attitude diplomatique vis-à-vis des USA. L’abstention est impossible très longtemps, et même sur le très court terme. Va-t-elle conduire une politique générale qui serait intrinsèquement contradictoire (hostilité au modèle idéologico-économique prôné par les USA et soutien de la diplomatie US qui est basée sur la promotion de ce modèle idéologico-économique)? Cela paraît sur un terme également très court comme devenant très difficile, chaotique et dangereux.

• Cela le sera d’autant plus que les forces américaines et hyper-libérales ne cesseront pas d’exiger de la Pologne, en échange de bons rapports avec les USA, une évolution intérieure hyper-libérale. (Ces forces n’ont pas l’habitude de prendre des gants à cet égard. Leur suffisance les pousse aux exigences inconditionnelles.) La contradiction de la politique polonaise en sera exacerbée. C’est à ce point que des décisions de politique extérieure devront être prises sur des dossiers différents, orientant peu à peu la politique extérieure en général. Notre avis est qu’à cet égard, l’histoire et la géographie pousseront dans le même sens qu’elles poussent au niveau socio-économique (« Once again, the weight of history and geopolitics has influenced economics and social models »), — dans le sens d’une prise de distance, voire plus, à l’égard de l’alliance US. L’affaiblissement de l’influence US à cause des échecs de la diplomatie et des armes y aidera.

La conclusion générale et que l’évolution polonaise confirmera une grande évolution de notre époque, par contraste avec la Guerre froide ; la connexion très grande, la proximité irrésistible entre politique intérieure (y compris socio-économique) et la politique étrangère. L’influence intime de l’une sur l’autre, dans les deux sens, est irrésistible. Cette proximité rend plus faciles et évidents, bien sûr, le poids et l’influence de l’histoire et de la géographie. L’évolution de la Pologne devrait apporter également la confirmation de ce phénomène.