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1358On s’arrêtera à un éditorial de l’Observer (Guardian) que nous tenons pour particulièrement significatif d’une tendance apparue, pourrait-on dire, de toute urgence dans les pays du bloc BAO les plus impliqués dans la crise syrienne. (“Les plus impliqués dans la crise syrienne” signifiant en réalité les plus agressifs à l’encontre du régime Assad, les pays qui parlent d’une intervention militaire possible.) Il faut avoir à l’esprit que le Guardian (l’Observer), ce fameux journal de centre-gauche à posture progressiste qui a pris la relève des neocons, est l’un des plus féroces partisans d’une intervention, évidemment humanitaire, évidemment anti-Assad, en Syrie… Néanmoins, cette posture doit être colorée de common sense et de responsabilité, selon ceux qui la prennent et l’animent, pour conserver quelque crédit.
Cet éditorial est du 3 juin 2012. Il s’agit d’un impressionnant catalogue de toutes les raisons pour lesquelles il serait pure folie d’envisager une intervention militaire. Tout y passe. Il y a d’abord la reconnaissance que toutes les interventions du bloc BAO dans la dernière décade ont conduit à à des situations de désordre, d’enlisement, d’extension des violences bien pires que celles auxquelles on prétendait mettre un terme. Il y a ensuite le constat qu’une intervention se heurterait à des conditions militaires beaucoup plus rudes que toutes les interventions qui ont précédé… (Paradoxalement, ce point nous démontre indirectement que le régime d'Assad, loin d'être isolé et aux abois comme l'affirme en général la narrative BAO, disposerait au conntraire de forces et d'un soutien très importants.)
«Military sources too have been at pains to point out the differences between Libya – where a western-led coalition did intervene in an air campaign – and Syria. The reality is that in Libya the opposition, which had seized heavy weapons in the first days of the uprising, had quickly secured large areas of territory from which to operate. An intervention in Syria would be much more difficult. Much of the conflict during the last year has not been in open desert but in large population centres in a state in which the geography of conflict is much more tightly enmeshed. As Israel discovered during its protracted adventure in Lebanon, with its complex sectarian rivalries, which mirror Syria's to a degree, it is an easy neighbourhood in which to become intractably bogged down…»
On passe ensuite à la situation de l’opposition à Assad… Divisée, composée de groupes disparates dont certains ont incontestablement des connexions directes avec al Qaïda, avec parfois des affrontements entre ces divers groupes : là aussi, la situation n’est pas favorable à une intervention, voire à une implication indirecte un peu plus prononcée que celle qui est déjà en cours. (L’éditorial ne mentionne pas le fait, mais il est pourtant avéré.) Même la création d’une “zone de sécurité” est envisagée avec une extrême réserve, avec le risque qu’un afflux de réfugiés créerait des potentialités graves de déstabilisation pour les pays voisins. Ainsi en arrive-t-on au sempiternel constat : c’est la Russie qui détient la clef, – comment convaincre la Russie de s’y mettre et de jouer complètement son rôle d’arbitre politique, c’est-à-dire de faire la politique du bloc BAO en permettant l’élimination d’Assad ? Car c’est bien le cas, dans l’esprit des “libéraux interventionnistes” (liberal hawks), se poser en “arbitre politique” dans la crise syrienne implique d’abord, prioritairement et on dirait exclusivement, l’élimination d’Assad.
La conclusion de l’édito permet de faire le point de toutes les contradictions remarquables qui caractérisent la position du bloc BAO. Il s’agit donc d’impliquer la Russie et, pour cela, d’avoir une politique plus habile, plus arrangeante vis-à-vis de ce pays et, enfin, d’arriver à une solution politique équitable et juste. Et cette “solution équitable et juste” devrait être amorcée dans une discussion générale, – à laquelle, sans nul doute, la Russie serait invitée à participer, – dont l’un des buts devrait être éventuellement d’accroître les sanctions contre le régime syrien.
«Any solution requires the agreement of Moscow without whom there can be no intervention. As Lord Ashdown wrote recently, the west's history of diplomatic mis-steps in its relationship with Moscow, far from making it harder for Russia to say "no" to a proposed solution, has made it easier. […] As Lord Ashdown has suggested, international diplomacy needs to become more purposeful, building an effective consensus that includes both Russia and regional players, stripped of moral posturing. That must include an insistence that Russia and other regional players with an influence take on a greater role in the search for an end to the violence, rather than fuelling it.
»In this light, the decision to discuss the crisis before the UN's General Assembly, thereby widening the scope of the debate, is to be welcomed, not least if it leads to even more punitive sanctions against the Syrian regime and a widening of the threat of prosecution to all and any involved in war crimes.
»With the growing threat of regional conflagration, a cessation of hostilities and exit strategy will cost fewer lives in the long run than a chaotic slip to an ever-wider war. What is certain is that a rush to military intervention, without an exit strategy or any notion of what might replace the present regime, will kill more children than those who died in Houla last week. For that is the nature of military interventions and why sometimes the most moral solution is the most complex.»
…On a retenu ce texte parce qu’il est significatif de l’évolution de la situation de la crise syrienne depuis le massacre de Houla. Le Guardian est particulièrement bien placé pour exprimer les sentiments et les fondements de la politique du bloc BAO, étant à la fois proche pour en être un des leaders des milieux libéraux-interventionnisters, et étant abondamment informé de l’évolution de la politique britannique qui est la plus active dans ce domaine (même si pas nécessairement la plus “visible”, – nous parlons de politique secrète et “covert”).
Pendant une semaine (depuis le massacre de Houla) au sein des capitales des pays du bloc BAO a prévalu l’idée que la Russie était en train d’évoluer, selon l’interprétation absolument persistante depuis le début février 2012 que la Russie ne fait qu’une politique basse d’intérêts immédiats et qu’elle se trouvait enfin sur la voie de comprendre qu’il est nécessaire de rejoindre la “grande” politique et la politique “morale” du bloc BAO. L’argument se nourrissait de la conviction que la Russie se sent isolée et qu’elle est donc vulnérable, et particulièrement réceptive aux arguments et aux pressions de bloc BAO, et de l’affirmation parallèle et quelque peu contradictoire de la précédente que la Russie détient pourtant toutes les clefs de la situation et que, sans elle, rien ne peut-être résolu. On y ajoute quelques autres affirmations complémentaires, comme celle-ci, particulièrement audacieuse au regard des faits, qu’un tel rapprochement allait enfin convaincre la Russie de chercher à aider à la fin des violences, plutôt qu’à les alimenter («That must include an insistence that Russia […] take[
Cet extraordinaire amoncellement de contre-vérités et de contradictions presque dites dans la même phrase et selon la même pensée constitue effectivement la perception du bloc BAO de la position de la Russie. Simplement, il s’est nuancé d’un constat des trois derniers jours de la semaine dernière (notamment avec les rencontres de Poutine avec Merkel et Hollande), selon lequel la position russe n’a pas bougé d’un iota, si même elle ne s’est pas durcie. Cela fut manifeste, notamment dans l’un ou l’autre accès de colère froide de Poutine, notamment durant la conférence de presse conjointe avec Hollande, à l’occasion de l’une ou l’autre question de l’extravagante presse-Système parisienne qui occupe aujourd’hui sans le moindre souci de la vérité des affaires du monde la planète “BHLiènne” (sorte de planète Sirius de l’univers postmoderne), pour pouvoir mieux juger des affaires du monde.
Ainsi le bloc BAO se trouve plus que jamais devant sa quadrature du cercle : son incapacité d’intervenir parce qu’il n’en a pas les moyens et parce qu’il se heurterait aux Russes qui ont, eux, quelques moyens ; donc, la nécessité que les Russes rejoignent le camp BAO alors qu’il en est de moins en moins question, selon la constance même des arguments intangibles de ce même camp BAO qui sont totalement et de plus en plus nettement rejetés par les Russes. Ces conceptions totalement schizophréniques et qui semblent absolument inexpugnables dans l’esprit des directions politiques du bloc BAO sont agrémentées, ou aggravées dans l’esprit et dans les faits, par la reconnaissance des divisions de l’opposition syrienne, voire de ses conflits internes, voire de ses conceptions et pratiques douteuses, – mais qu’importe, tout, absolument tout reste à charge du régime Assad, comme argument unique et ultime de l'intervention directe nécessaire et urgente, et qu'on ne peut pas faire. Les exhortations à la prudence, à la non-intervention, plus fortes que jamais dans ce cas, sembleraient un aspect nouveau et plus raisonnable, voire une évolution malgré tout du bloc BAO, sauf qu’elles sont faites au nom de pays qui ne cessent d’alimenter les groupes rebelles, en armement, en forces spéciales supplétives, depuis des mois et des mois, – cela, pour des forces rebelles dénoncées comme incontrôlables et incertaines. Tout cela, en vérité, décourage l’argument tant nous sommes dans le chaos de la psychologie dérangée et de l'idée fixe en fait de politique.
Objectivement, il convient d'observer que nous sommes plutôt dans une phase nouvelle d’une certaine prudence suivant les premiers jours d’hystérie, suivant le massacre de Houla ; nouvelle phase, avec de nouvelles manœuvres sans guère d’espoir de “séduction” des Russes, en attendant le prochain incident, le prochain massacre, plus ou moins manipulé, qui conduira à une nouvelle réaction hystérique, à de nouveaux appels à une intervention, de nouvelles illusions sur l’évolution de la Russie (“plus isolée que jamais”, – jugement posé sans le moindre intérêt pour la Chine et pour l’Iran qui sont sur la même ligne que la Russie, pour d’autres pays hésitants, comme l'Inde, comme la Turquie elle-même qui est en train d'évoluer, etc.). Cela sera accompli avant un nouveau constat d’impuissance dans un amoncellement de contradictions. Entretemps, il se pourrait bien qu’une véritable guerre civile et confessionnelle éclate en Syrie. Nous aurons alors droit à de nouveaux éditos geignard sur “les occasions ratées”, sur le poids des “illusions” diverses, sur ceux qui “ont trop hésité à intervenir” et ainsi de suite.
Le bloc BAO est enchaîné à la Syrie. Il est conduit par une narrative dont son esprit est totalement le prisonnier. Il est malheureusement raisonnable d’attendre et de craindre l’explosion générale dans ce du pays, sinon l’explosion générale du pays, qui seront le fait de l’action de toutes ces diplomaties vénérables emportées dans un épisode hypomaniaque complètement incontrôlable ; situation de violence devenue incontrôlable et en pleine potentialité de diffusion hors des frontières du pays, où le bloc BAO se trouvera tout de même entraîné mais dans les pires conditions et sans plus de moyens de puissance, peut-être pour accompagner et subir l’extension du désordre pouvant s’étendre à certains de ses pays “amis”, peut-être pour s'exposer à une défaite à côté de laquelle le revers cuisant des Israéliens contre le Hezbollah à l’été 2006 aura les caractéristiques d’une promenade de santé.
Mis en ligne le 4 juin 2012 à 04H49
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