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37211er septembre 2015 – ... Vous n’imaginez pas qu’on puisse adresser la chanson d’Eddie Mitchell “Vieille canaille” ou le film de Lelouch avec Johnny, “Salaud, on t’aime”, au distingué et sémillant Tony Blair (qu’il nous arrivera de désigner sous le sigle TB). Par conséquent, nous le traiterons bien et le problème n’est pas si simple, mais il n’en est pas moins passionnant et instructif à la fois. Puisque Tony Blair n’est ni cette “vieille canaille” ni ce “salaud-on-t’aime”, il ne l’est pas plus lorsqu’il écrit un article comme celui qu’il a consacré à Corbyn, puis à quelques autres dont il se trouve qu’ils sont selon lui (TB) de la même eau (Trump, Sanders, Syriza, l’Écosse-qui-veut-être-indépendante, Marine Le Pen), le 31 août 2015 dans le Guardian . (La première publication est faite le 29 août 2015 à 20H30, et la “dernière modification” est effectuée le 31 août 2015 à 08H17, et notre petit doigt serait extrêmement intéressé de savoir de quelle modification il s’agit ; en attendant, il en tire, notre petit doigt, la conclusion que l’article est extrêmement sérieux et que TB y a mis tout son cœur et toute sa foi sincère, quitte à y revenir à plus de 24 heures d’intervalle.)
Le titre de l’article décrit bien le terrain où Blair, l’ancien Premier ministre qui mena l’expédition irakienne en 2003, de concert, juste un poil en-dessous, avec son ami GW Bush, veut nous conduire : «Jeremy Corbyn’s politics are fantasy – just like Alice in Wonderland.» Il y a au Royaume-Unis, semble présupposer Blair puisqu’il emploie le terme, une “Corbyn mania” (pourquoi pas “Corbymania“, cela eût été si proche de la “Gorbymania” autour de Gorbatchev en 1986-1989 en Europe occidentale), c’est-à-dire une sorte d’hystérie accompagnant ce qui semble être la marche vers la victoire pour la nomination à la tête du parti travailliste de Jeremy Corbyn ; de même mais très inversement, comme nous l’indique l’article de Blair, il y a une “anti-Corbymania” tout aussi hystérique dans le chef des adversaires de son élection à la tête du Labour, c’est-à-dire tout l’establishment londonien, comme si de cette élection dépendait le sort du monde, ou à peu près disons. L’article de Blair, en dénonçant le premier phénomène, alimente indiscutablement le second. Cela est d’autant plus vrai que son article est fondé sur un terrain assez intéressant, quoique friable, glissant, incertain et agité de fureurs et de tremblements : le terrain de la “réalité”. En un mot, Tony Blair accuse les fans de Corbyn, et Corbyn lui-même certes, de vivre dans une fausse “réalité”, comme une sorte d’Alice au Pays des Merveilles, une fausse “réalité” parallèle à la vraie mais sans aucun rapport avec elle.
... D’abord, il ne les comprend pas. Il les accuse mais il ne comprend rien à ce qui arrive («Someone said to me the other day re[garding] Corbyn mania: “You just don’t get it.” I confess they’re right. I don’t get it...») Il ne les comprend pas parce qu’il ne comprend pas qu’on soit si enthousiaste pour une personne (Corbyn) si manifestement enfouie dans le passé et dans des formules quasiment moyenâgeuses qui ont suffisamment montré combien elles étaient catastrophiques, au contraire de celle (la formule) qui règne aujourd’hui sur le vaste monde globalisé, avec un tel succès, un tel bonheur, un tel enthousiasme... Là-dessus, il passe aussitôt aux autres que nous avons mentionnés plus haut, et qui sont, eux aussi, chargés de formules et de promesses qui sont totalement absurdes (selon TB) et ne correspondent à aucune possibilité de rien, absolument de rien pour l’avenir. Il ne nie pas une seconde que ce mouvement soit puissant et forme une sorte d’“unité dans la diversité” (ils ont tous des buts différents, mais lui-même en fait “une tendance” significative par une sorte de cohésion qu’il leur reconnaît : «There is a new phenomenon in politics or perhaps the revival of an old one. But whatever it is, it is powerful...»). Par conséquent, il y comprend encore moins...
«The Corbyn thing is part of a trend. So Donald Trump leads the field of Republican candidates with thousands at his meetings, despite remarks about women and Mexicans that you might think would be a disqualification in a nation where half the voters are women and Latinos, the fastest growing group of voters. Bernie Sanders is wowing the Democrats on a platform that wouldn’t carry more than a handful of states. The SNP win a landslide in Scotland after the collapse of the oil price means that the course they advised the Scottish people to take last year would have landed the country in the economic trauma unit.
»The former Greek prime minister led in the polls on a bailout programme significantly harsher than that of the government he put out of office precisely on the issue of the bailout. Marine Le Pen rides high in France advocating an extreme nationalism combined with a quasi-socialist economic policy, with small business appeal, when, let us say, the historical precedents for such a combination aren’t exactly comforting.
»There is a politics of parallel reality going on, in which reason is an irritation, evidence a distraction, emotional impact is king and the only thing that counts is feeling good about it all...»
L’autre “réalité”, leur “réalité”, leur “bulle” n’est-ce pas... Tony Blair a beau leur parler raison, mesure, sagesse, efficacité du réel, rien n’y fait. Pensez donc, ils se sont mis à trois, — Neil Kinnock, Gordon Brown et lui-même, plus de 150 ans de bons et loyaux services au service du Labour et du néo-hyperlibéralisme, – pour essayer de convaincre tel ou tel fan de Corbyn et rien n’y fait, Grands Dieux, rien du tout ! Les fans de Corbyn sont dans leur “monde parallèle”, dans leur “Alice au Pays des Merveilles”. Ainsi a-t-il cette formule : “C’est une révolution, mais une révolution dans une bulle”, pas à Westminster où se trouvent les gens sérieux qui depuis des siècles ont fait la grandeur de ce pays pour aboutir à ce résultat si solide et si satisfaisant, si bienheureux, si plein de civilisation qu’on voit aujourd’hui... Mais ils s’en fichent, Grands Dieux !
«Anyone listening? Nope. In fact, the opposite. It actually makes them more likely to support him. It is like a driver coming to a roadblock on a road they’ve never travelled before and three grizzled veterans say: “Don’t go any further, we have been up and down this road many times and we’re warning you there are falling rocks, mudslides, dangerous hairpin bends and then a sheer drop.” And the driver says: “Screw you, stop patronising me. I know what I’m doing.” In the Alice in Wonderland world this parallel reality has created, it is we who are backward looking for pointing out that the Corbyn programme is exactly what we fought and lost on 30 years ago, not him for having it. [...]
»It’s a revolution, but within a bubble – not the Westminster one they despise, but one just as remote from reality...» (Il ajoute un peu plus loin, le Tony : “Quelqu’un m’a dit : ‘Si vous écrivez quelque chose contre eux, ne leur parlez surtout pas de la nécessité de gagner les élections ; cela constitue une offense pour eux, cette sorte d’arguments...’ Cela serait vraiment très drôle si ce n’était tragique.”)
C’est sur ce dernier argument qu’il insiste ensuite, sur lequel il revient, qui est que ces gens-là vivent dans un autre “réalité”, qui est naturellement la fausse, qui est une “bulle”, etc. Il s’étend longuement là-dessus parce qu’il s’agit manifestement de la seule explication qu’il puisse trouver à un phénomène qu’il ne comprend pas. (Parce que, par ailleurs, nous faisons crédit à Tony Blair, dans ce cas, d’une réelle bonne foi sur le fond : il croit à ce qu’il dit, même si ce qu’il dit vous paraît monstrueux ; il y croit, c’est notre complète conviction.) Cette histoire de “bulle” versus “réalité” (la “réalité-vraie”, Westminster en l’occurrence comme symbole) le trouve tellement stupéfait que, lorsqu’il y revient pour terminer sa péroraison, il emploie la même phrase avec accentuation que celle écrite plus haut («It’s a revolution, but within a bubble – not the Westminster one they despise, but one just as remote from reality...»)
«The explanation for this parallel reality is something to do with people feeling empowered by their ability through it, to “fight back” against “the system”, the traditional ways of thinking about politics with all its compromises, hard decisions and gradual increments. It is the clarity of full-throated opposition versus the chin-stroking nuance of: “What would we do if we were in government?”
» It’s a revolution but within a hermetically sealed bubble – not the Westminster one they despise, but one just as remote from actual reality. Those in this bubble feel good about what they’re doing. They’re making all those “in authority” feel their anger and their power. There is a sense of real change because of course the impact on politics is indeed real. The Labour party is now effectively a changed political party over the space of three months.
»However, it doesn’t alter the “real” reality. It provides a refuge from it. Because Trump and Sanders aren’t going to be president; Scotland did vote No and even if it votes Yes in the future, the pain of separation for all of us will be acute; Syriza may win but only by switching realities; and Jeremy Corbyn is not going to be prime minister of the UK. And Le Pen as French president? Let us hope not because that collision with “real” reality will be brutal for all of Europe.
»But people like me have a lot of thinking to do. We don’t yet properly understand this. It is about to transform a political institution we spent our whole lives defending. But it is part of something much bigger in politics. Because it is a vast wave of feeling against the unfairness of globalisation, against elites, against the humdrum navigation of decision-making in an imperfect world, it persuades itself that it has a monopoly on authenticity. They’re “telling it like it is”, when, of course, they’re telling it like it isn’t.»
Et Tony Blair termine, ce qui est tout à fait inhabituel chez lui et montre qu’il a au moins compris qu’il se trouvait devant quelque chose d’immensément important, en avouant sa complète impuissance dans le conseil de ce qu’il faudrait faire. D’habitude, Tony Blair sait tout, a réponse à tout, sait ce qu’il faut faire, il suffit de quelques mots de sa bouche et l’on est fixé, on démarre au quart de tour, tout cela avec un brio et une fluidité du langage exceptionnels. Là, il cale. Il ne sait plus. Il emploie des arguments qui se contredisent dans l’esprit, annonçant la victoire de Corbyn à la tête du parti travailliste, rappelant le victoire de Syriza en janvier dernier, mais annonçant que cela n’est pas ça, gagner, que Corbyn se plantera comme Syriza s’est planté, et que les autres ne gagneront pas, ou que s’ils gagnent leurs victoires seront leurs défaites et ainsi de suite ... (Sauf Marine, à qui il donne le bénéfice du doute, – alors là, semble-t-il dire, si elle gagne en 2017, cela fera du pétard, toute l’Europe et le reste trembleront sur leur base, – et là il distingue l’aveuglante réalité, TB.) ... Effectivement, pour terminer, tout cela, en avouant une fois de plus que, non seulement il n’y comprend rien mais qu’en plus, il ne sait vraiment pas quoi faire, et quel conseil il faut donner ...
«So the question is: what to do? Do we go full frontal and take it on or do we try to build a bridge between the two realities? I don’t know. But the answer will preoccupy the Labour party for years to come, provided that the space to examine it is permitted.»
Comme on peut le voir, c’est à peu près tout l’article de Tony Blair que nous avons disséqué, morceau par morceau, en y reconnaissant, dans chaque virgule, la sincérité de la foi. Répétons-le, il n’est en effet pas question de mettre en doute une seconde la sincérité et la foi de cet homme, chargé sans doute plus qu’aucun autre de la responsabilité de toutes les vilenies épouvantables produites par le bloc BAO depuis la fin du siècle dernier (bien avant l’ère GW, il tint un rôle majeur sinon le premier dans le montage que constitua le “première guerre virtualiste”, l’agression illégale et sanglante de l’OTAN contre la Serbie au printemps 1999). Qu’importe, foi et sincérité sont bien là parce que, simplement par inversion vertueuse, on conclut aussitôt que Blair vit dans sa “bulle” à lui, de la “réalité”-Système, – sa narrative, – au moins autant qu’il accuse les autres de se tenir dans la leur, – c’est-à-dire, en vérité, bien plus qu’eux comme on s’en doute.
Quant à nous, nous ne parlerons pas de “réalité”, parce que ce concept de type après tout cognitif n’existe plus à cause de la puissance du système de la communication, et l’enfantement de narrative nombreuses, variées et opportunes qu’il permet. Nous parlons de “vérité de situation” qu’il nous échoie de reconnaître, de retrouver et de saisir pour telles dans un instant béni d'intuition haute, qui nous éclairent sur le sens des choses au-delà des manigances humaines. Cette “vérité de situation” nous dit de Tony Blair tout ce qu’il faut savoir, notamment de ses responsabilités sans nombre qui font de ce personnage ce qu’on en a décrit plus haut. Mais cela, c’est le cas personnel de Tony Blair, qui ne nous intéresse plus depuis longtemps tant la messe a été dite et redite à cet égard. Par contre ce Tony Blair plein de foi et de sincérité souvent aux plus ignobles et trompeurs des propos pour ce qui le concerne, devient un précieux éclaireur lorsqu’il parle de ceux qu’il veut dénoncer. A ce point et sur ce cas, ou plutôt sur ces cas multiples, Tony Blair intervient avec sa foi et sa sincérité pour nous donner dans notre analyse, bien contre son gré et hors de sa conscience, et par simple inversion vertueuse de notre part, une “vérité de situation” qui nous est profondément utile. Pour la première fois sans aucun doute, un des grands “chevaliers-blancs” parmi les serviteurs zélés du Système, peut-être le plus grand de tous, nous indique à nous, antiSystème, ce qu’est un antiSystème et à quoi il sert, dans une analyse d’une profondeur rigoureuse, et en plus écrite dans un langage bref et imagé qui ne laisse aucun doute.
... Car, bien entendu et comme on l’a déjà compris, c’est des antiSystème qu’il parle lorsqu’ils se penche sur ce phénomène, cette “tendance” à laquelle il ne comprend strictement rien. Ainsi Tony Blair nous donne-t-il une clef intéressante pour savoir qui sont les antiSystème, à quoi ils servent et comment ils font (qui nous sommes, à quoi nous servons et comment nous faisons)...
• Comment les identifier, les antiSystème ? «[...To “fight back” against “the system”, the traditional ways of thinking about politics with all its compromises, hard decisions and gradual increments» ; c’est-à-dire ceux qui “ripostent” contre le Système et tout ce que le Système produit, qui “résistent” et “contre-attaquent” dans tous les domaines où agit le Système, sans véritable discrimination, sans vraiment chercher à distinguer ce qu’il peut y avoir de défendable conjoncturellement dans tel ou tel acte du Système ... Ils se battent contre le Système (“against ‘the system’”) d’une façon radicale, absolue, sans la moindre concession, sans sembler avoir le moindre désir de faire vraiment quelque chose de constructif avec lui ... «I don’t get it...», confesse-t-il, – “Je n’y comprends vraiment rien”, – c’est bon signe...
• Ce que proposent ces gens (les antiSystème), observe Blair, est dépassé, sans aucune valeur, utopique, incompréhensible, sans la moindre conscience du possible et de l’impossible. Corbyn propose un retour au socialisme d’il y a 30 ans ; Trump insulte les femmes et les Latinos et veut fermer les frontières et renvoyer chez eux tous les immigrants ; l’Écosse veut être indépendante au moment où l’effondrement du prix du pétrole l’entraînerait vers les profondeurs ; Syriza veut faire la leçon à l’Europe et s’inflige une raclée mémorable après avoir entraîné le peuple avec lui ; Marine Le Pen veut revenir à un ultranationalisme, à un ultra-protectionnisme, un ultra-xénophisme (si cela se dit) et ainsi de suite. Les clichés défilent (ceux qui sont dans la tête de Tony Blair), avec parfois un clin d’œil vers une vérité rencontrée par hasard, tout cela conduisant, quoi qu’il en soit, à cette conclusion extraordinaire : tous ces gens vivent dans un monde irréel, comme Alice, et nous proposent des choses qui sont complètement absurdes dans le monde tel que le Système l’a établi. (Pardi ! On s’en serait douté...) De ce point de vue, Blair retarde un peu et montre une fois de plus qu’il n’y comprend rien («I don’t get it... [...] But people like me have a lot of thinking to do. We don’t yet properly understand this...»). Il n’a pas compris qu’objectivement considéré, il n’y a aucune importance dans le fait que tous ces programmes semblent d’une autre époque, d’un autre monde puisqu’ils ne sont pas dans la narrative du Système, parce que leur seul but est justement d’attaquer la narrative du Système, de la frapper encore et encore, de la trouer, de la percer, de la réduire à rien ... Lui, TB, n’y comprend rien, mais il continue à nous servir d’excellentes analyses involontaires pour susciter notre réflexion et nous faire bien comprendre à nous-mêmes ce qui, vu de chez l’ennemi, est si important, – ce qu’est et ce que doit être un antiSystème.
• ... Car (complément de ce qui précède), c’est sans doute, c’est certainement vrai, nombre de choses que Blair met en évidence. Ce que les antiSystème proposent est dépassé, absurde, sans aucune valeur (du point de vue du Système) . Il est caractéristique qu’on doive reconnaître que nombre des critiques concrètes que fait TB concernant ces divers personnages et groupements qu’il critique sans oser vraiment les attaquer parce qu’il n’y comprend rien, que nombre de ces critiques sont fondées. Le constat qu’il n’ose faire s’il le conçoit, TB, et qui complète ce qui précède, c’est que tous ces programmes ne sont pas faits vraiment pour réussir, certainement dans un premier temps et peut-être pour toujours, malgré tout ce que les antiSystème peuvent nous faire croire, ou même se faire accroire à eux-mêmes. Le premier but de ces programmes, après que la narrative du Système ait été percée et mise à jour, c’est d’attaquer directement le Système par toutes les voies et moyens possibles, sans se préoccuper une seconde de leur propre cohérence. Le Système a créé un monde où ce qui permet à un groupe, à un individu, à un programme de s’imposer dans son identité propre, c’est dans la seule mesure où le premier effet de son acte est de frapper le Système... Seule compte la bataille contre le Système et tout ce qu’il a créé, et qu’importe le reste... Alors nous, du côté du Système, nous dit TB, eh bien encore une fois nous n’y comprenons rien, sauf que, – excellente intuition, TB, – il y a quelque chose en cours dans ce phénomène qui est “beaucoup plus important qu’une simple occurrence dans l’évolution politique”, qui pourrait être un événement de première grandeur («But people like me have a lot of thinking to do. We don’t yet properly understand this. It is about to transform a political institution we spent our whole lives defending. But it is part of something much bigger in politics. Because it is a vast wave of feeling against the unfairness of globalisation, against elites, against the humdrum navigation of decision-making in an imperfect world, it persuades itself that it has a monopoly on authenticity. ..») Il est excellent, il est capital que TB nous fasse comprendre tout cela, nous, antiSystème, qui avons tant de difficultés à croire que notre action que nous aimerions si sophistiquée, si rationnelle, si porteuse de grandes théories politiques et d’autant d’idéologies vertueuses, se résume en fait à cette simplicité, à cette rectitude de l’action sommaire, à cette primarité de l’acte brut.
• Ainsi apparaît un point capital, une leçon magistrale qui nous est administrée par TB, qui devrait être méditée par nombre de ceux qui se veulent antiSystème et qui entendent en même temps garder toutes leurs vertus idéologiques, y compris et surtout quand ces vertus sont truffées de mots d’ordres terrorisants, d’obligations écrasantes, de conformismes étouffants, qui sont bien entendu dictés ou exploités par le Système depuis des décennies pour empêcher la constitution d’une résistance efficace. TB, lui, s’en fout ; il met dans le même sac un vieux travailliste de gauche comme Corbyn, un dingue d’extrême-business (plutôt que d’extrême-droite) comme Trump, les gauchistes-capitulards de Syriza, l’horreur brune au ventre encore fécond qu’est Marine Le Pen, etc. TB, lui, ne fait pas dans ces détails. Il les voit tous sur un pied d’égalité, tous comme autant de fantassins à l’assaut du Système, et là, il voit diablement juste ; il a compris la chose bien mieux que tant d’antiSystème. Il nous assène une leçon, dans son incompréhension béate des détails du phénomène, parce qu’il en a saisi l’essence profonde, le cœur même de la chose (il a compris d’instinct ce qu’est le Système, donc ce que doivent être les antiSystème). Quelle leçon, Tony Blair, ce personnage si méprisable selon nos habitudes de jugement et nos justesses d’appréciation, quelle leçon il nous donne, à nous, antiSystème ... Certes, une fois lu TB dans ce passage, chacun peut retourner à ses obsessions spasmodiques et à ses spasmes idéologique tout en continuant à se vouloir et à se croire antiSystème. Heureusement que TB et Cie n’en croient pas un mot et jugent que tous ces gens-là sont unis contre le Système. Peut-être le Système, avec des penseurs comme TB, finira-t-il par les mettre de force ensemble, tous ces antiSystème qui passent leur temps à se faire des procès en inquisition... On verra.
• Et si tout cela n’a l’air que d’une confusion incompréhensible, une absurdité stupide, un caprices de fous, même si tout cela est complètement inconsistant, nous dit TB, – ce que nombre d’antiSystème eux-mêmes ne seraient pas loin de croire, – eh bien malgré cela, s’exclame TB, quelle puissance ! Toutes ces vieilleries, ces contradictions, ces absurdités, quelle puissance, quelle puissance ! («There is a new phenomenon in politics or perhaps the revival of an old one. But whatever it is, it is powerful...»)
• ... Et quelle leçon nous donne cette “vieille canaille”, – et, du coup, hein, “salaud, on t’aime”... Dans ce texte absolument involontaire, l’ancien Premier ministre Tony Blair, magnifique exemple du grand-politicien Système, corrompu, écrasé de privilège, ayant accompli toutes les vilenies possibles, ayant trafiqué, boursicoté des plans, manigancé des false flags, monté des complots sans nombre, et pourtant paré d’un reste de foi et de sincérité qu’il nous réserve dans ce texte, nous donne à penser la plus complète, la plus juste et la plus explosive de toutes les définitions qu’on puisse imaginer d’un antiSystème. Il ne nous reste plus qu’à espérer que les antiSystème, qui sont bien plus forts qu’ils ne s’imaginent être puisque les plus prestigieux des employés-Système eux-mêmes n’y comprennent rien lorsqu’ils les considère, il reste donc à espérer que tous les antiSystème finiront par comprendre ce qu’ils sont en vérité, quelle est leur mission, quels sont les moyens qu’ils doivent employer, les changements qu’ils doivent opérer en eux eux-mêmes pour écarter ce “tout ce [qui] les sépare” et ne plus garder que cet “essentiel [qui] les rassemble”.
Nous sommes absolument persuadés que ce n’est pas encore fait, que c’est loin d’être fait, si jamais les personnes et les groupes concernés (antiSystème) finissaient un jour par comprendre ce qu’ils doivent faire et être. Cet perspective-là est mince, cette possibilité ténue. Par bonheur, il reste les forces extérieures, celles qui comptent, qui font que les antiSystème le seront comme-il-faut, contre leur gré et sans qu’ils n’y comprennent grand’chose. Enfin, il reste les Tony Blair qui, finalement, sont les premiers, par leur incompréhension, par leur inversion systématique de jugement, par leur propension à paniquer toujours plus et toujours plus que de raison, à susciter le plus sûrement les rassemblements antiSystème en signifiant précisément à l’antiSystème ce qu’il doit être.
“Vieille canaille, on t'aime”...
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