T.C. 75 : La doctrine du « vent-divin »

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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T.C. 75 : La doctrine du « vent-divin »

12 juin 2019 – RT.com, qui a pourtant appris à ménager Trump selon la “tradition” établie par Russiagate et interprétée à front renversé, observe dès son titre que “la diplomatie US”, c’est-à-dire nommément le président lui-même et nullement l’un de ses adjoints-“fou”, Bolton ou Pompeo, a « franchi la ligne de l’absurdité ». Dans le texte, elle donne la parole à un expert chinois Sourabh Gupta, spécialiste principal des politiques à l'Institute for China America Studies, parlant de la péremptoire consigne de Trump à Xi (interview à NSBC) de se trouver au G20 en personne pour une rencontre en marge et en tête-à-tête, entre hommes, sans quoi un nouveau train ($300 milliards) de tarifs douaniers sur les importations chinoises sera automatiquement et instantanément mis en place par les USA :

« Il s’agit d’un nouvel abysse dans la diplomatie américaine... Qu'un président américain proclame qu’il imposera des tarifs douaniers à un pays homologue si le président de ce pays ne se conforme pas à son injonction de se trouver à une rencontre bilatérale en marge d'un sommet multilatéral est absurde, au point d'en être presque comique. »

On dira, avec presque un zeste d’indulgence comme l’on a pour un enfant turbulent, suivi d’une appréciation presqu’admirative (démarche classique d’un journalisteSystème français à qui on ne la fait pas, mais qui a basculé pro-Trump au fond de lui parce que l’Amérique c’est l’Amérique, tout en continuant à le dénoncer selon les consignes de la bienpensance mais avec une indulgence ironique propre à l’intelligence française qui n’est pas exempte d’une tendresse postmoderne) : “Encore un coup de ce Trump, il est incorrigible ! Il faut reconnaître tout de même, cela donne des fruits... »

Si l’on a la papille gustative indépendante par inadvertance du Système, il faut goûter que le fruit est amer, et il est amer pour tout le monde, y compris pour Trump au bout du compte s’il avait des papilles gustatives, mais pas le temps pour ça ; et il n’est pas “un coup”, il est un fruit parmi d’autres, – tous les autres, – d’un arbre qui se nomme “méthodologie d’un homérique-bouffe”, car désormais tous les actes de Trump sont à cette aune. “The Art of the Deal” est devenu la doctrine de l’administration Trump, et elle consiste à bondir, serrer la gorge de son “partenaire”, serrer, serrer, jusqu’à ce que l’étouffé n’ait plus qu’une alternative : signer en bas à droite l’accord rédigé par le ministre qui va bien selon les instructions de Trump ou mourir étouffé.

Il arrive même que le document à signer “en bas à droite” sous peine d’étouffer soit vierge, comme peut-être bien le “Deal of the Century” sur le Moyen-Orient (Israël-Palestine) du 25-26 du mois est inconnu au bataillon. « Si quelqu'un a vu le plan américain, merci de nous en informer ! », proclame le ministre Le Drian en conférence de presse. C’est-à-dire que la “méthode”, ou “doctrine-Trump”, est désormais universelle, et portant sur tous les domaines, tous les sujets, tous les concepts, toutes les lubies, toutes les néantisations, toutes les narrative. Le résultat, vous vous en doutez, est un désordre de type métahistorique qui enflamme régulièrement les coins & recoins non encore consumés des us & coutumes des relations internationales, et ré-enflammant le reste.

C’est dire que tout cela ne répond pas aux règles, n’importe quelles règles, y compris celles du simulacre Make America Great Again ; c’est dire que tout cela détruit tout ce qui s’apparente à une règle, – à un ordre, à une harmonie, à un équilibre. L’Amérique de Trump qui triomphe s’abîme, comme les autres et bien plus vite que les autres, dans une sorte de chaos d’une sorte de quartmondisme postmoderne. (Amis-économistesSystème, laissez vos calculettes au vestiaire, et avec elles l’espoir de nous dire que tout va mieux et que tout va bien ; vous savez bien que tous les chiffres du triomphe MAGA sont faussés-faussaires, travaillés, mâchonnés, simulacrés, trumpisés à 250%.)

Et voyez-vous, – non, plutôt écoutez bien ! Ce gigantesque phénomène qu’on croirait constituer un événement colossal plein de bruits de fracas et de fureurs de destruction comme autant de terribles spasmes telluriques, se fait selon les seuls moyens et la seule grâce de la communication, sans s’occuper d’aucune vérité-de-situation, dans une multitude de narrative échevelées, tweeteuses, glapissantes, impératives, joyeux bordel d’une agitation réduites à la simple et bonnasse extension d’une formidable dimension cosmique du verbe, des milliards de fois répercutés par les petites mains du type-Zuckerberg qui continuent à s’y croire type-“maître-du-monde”.

Pour cette raison de l’organisation systématique du chaos par la seule communication, par une personnalité si puissante dans l’art d’engendrer la déstructuration-dissolution du monde, nous gardons au président Trump, et moi-même en premier, toute notre confiance et notre considération la plus haute. Qu’il en soit assuré, et nous rassurés. Pour lui et par lui, le monde qu’il précipite dans le cours de son action déstructuration-dissolution, c’est le Système. Cet homme est donc l’instrument du Très-Haut, le bouffon métaphysique, l’ordonnateur qui a fait lever sur impérative consigne un kamikaze sans précédent de puissance tempétueuse, – car l’on sait bien que le mot signifie en japonais, non pas “avion-suicide” mais bien « vent-divin ».

Je sais bien, moi, qu’il existe dix, cent, mille situations crisiques dans ce chaudron de tourbillon crisique et du Trou Noir qu’est notre Grande Crise Générale. Mais celle qu’entretient ce bouffon effectivement métaphysique à force de médiocrité bombastique et dynamique les supplante toutes. Elle fait lever dix, cent, mille “vents-divins” autour et au cœur du monde.